La lutte contre le tabac, un feu qui a longtemps couvé

21 mai 2013

Entre 2005 et 2010, la prévalence du tabagisme en France a augmenté de 2 points. ©Phovoir

Clope, cibiche, sèche… la cigarette est aujourd’hui considérée comme un ennemi intime. Durant de longues années, elle fut pourtant un emblème de la décontraction voire un symbole de la libération féminine. Témoin privilégié de cette histoire, le Pr Gérard Dubois du Service Santé Publique au CHU d’Amiens et membre de l’Académie nationale de médecine nous en conte les épisodes les plus marquants. Il nous explique aussi pourquoi les méfaits du tabac ont eu bien du mal à trouver un écho…

C’est en 1825 que la cigarette est introduite sur le sol français. « Le succès n’est pas vraiment au rendez-vous » s’en amuse le Pr Dubois. « Il faudra attendre sa production industrielle à la fin du XIXe siècle, pour que les Français commencent à s’y intéresser. Et pour cause, elle a permis notamment, un effondrement des prix. »

A l’époque, le tabac n’est bien entendu pas nouveau. Les Français pourtant découvrent la cigarette, plus facile à utiliser que la pipe. « On la sort et on l’allume » continue Gérard Dubois. « Sans compter qu’elle permet d’inhaler plus profondément la fumée. Celle-ci en effet,  est moins âcre que celle du cigare. »

Il ne faudra pas attendre longtemps pour que les premiers opposants à la cigarette se manifestent. En 1868 naît  l’Association française contre l’abus du tabac (aujourd’hui le Comité national contre le tabagisme ou CNCT). « Mais ne nous y trompons pas. Si à l’époque certains la soupçonnent, la nocivité du tabac n’est pas encore connue. Le but  de cette première entité est seulement de lutter contre la gêne provoquée par la fumée, notamment dans les transports publics. »

La consommation se banalise

L’usage de la cigarette se répand très rapidement. Les industriels développent des stratégies de communication pour le moins agressives. Principal cœur de cible, les hommes appartenant un à niveau socio-économique élevé. Fumer relève quasiment de la culture. Les hommes de la haute société se réunissent au fumoir, mettent une blouse qu’ils retirent en sortant… Celle-ci deviendra le fameux  smoking…

« Dans le cas de la cigarette, la dépendance se crée très rapidement » déplore l’académicien. « On ne s’en passe plus. D’ailleurs, lors d’une pénurie monétaire, les cigarettes servent parfois de monnaie d’échange. Jusqu’en 1972, en France, on en distribuait même dans les paquetages des militaires : la fameuse cigarette-troupe. » Petit à petit, les industriels ont compris tout l’intérêt à chercher de nouveaux publics. Les femmes en tête. « Dans les années 1920, la femme qui fume, c’est la prostituée. Puis les professionnels du tabac se sont arrangés pour faire défiler les mannequins avec une cigarette. Elle deviendra alors un symbole de la libération féminine, au même titre que le pantalon ou les cheveux courts. » Et quand les consommateurs changent, les produits s’adaptent. Le filtre apparaît. Et si le succès va grandissant, c’est aussi en raison de l’ignorance du danger…

Le cancer du poumon : une maladie rare !

« Une absolue rareté ! » C’est ainsi que notre académicien qualifie la fréquence du cancer du poumon au début du XXe siècle. « Je me souviens de cette anecdote rapportée par le cancérologue Maurice Tubiana. Dans les années 1940, alors étudiant, il fut invité à observer quelque chose qu’il était censé ne plus jamais revoir de sa carrière : un cas de cancer du poumon. »

Ce n’est que dans les années 1950 qu’un épidémiologiste britannique, Sir Richard Doll du Medical Research Council s’interroge sur la multiplication des cas de cancers du poumon. La pollution atmosphérique serait-elle responsable ? Ou bien le goudron étalé sur les routes ou les trottoirs ? Ce n’est que de façon hasardeuse qu’il place le tabac parmi la liste des suspects. En s’intéressant à des patients décédés de cette pathologie (seulement des hommes à l’époque), il s’est aperçu que tous étaient des fumeurs. Les réactions à la découverte de Doll ne se font pas attendre. De son propre responsable de service au monde scientifique plus généralement, personne ne le croit ! « Notre cerveau ne comprend pas que quelque chose de banal puisse être dangereux. C’est cette incrédulité qui habitait les scientifiques de l’époque. »

Qu’à cela ne tienne. Richard Doll a une autre idée : réaliser une étude prospective sur un public particulier : les médecins eux-mêmes. Son travail va durer… 50 ans. « Il se dit que si la dangerosité du tabac est démontrée chez les médecins, ils deviendront de merveilleux agents d’éducation » analyse le Pr Dubois. Et les résultats sont probants. Les fumeurs perdent dix ans de vie par rapport aux non fumeurs. Autre constat, et non des moindres, plus les accros à la clope arrêtent tôt, plus leur courbe de survie revient à la normale.

Politique de santé publique, mieux vaut tard…

Un demi-siècle. C’est donc le temps qu’il aura fallu entre l’incursion de la cigarette et les premières conclusions de leur nocivité ! Il faut avouer que jusque là (et depuis le XVIIe siècle), le tabac est considéré comme une ressource fiscale. « Cela a donc été très long avant que l’Etat ne réagisse » déplore Gérard Dubois. « Bien après les Britanniques, les Français ont pris conscience que la tabac est le seul produit de consommation courante qui tue la moitié de ses fidèles consommateurs. Il aura fallu attendre 1975 pour qu’apparaisse la première campagne de l’Etat mettant en cause le tabac. » Son slogan : Sans tabac, prenons la vie à pleins poumons.convetion cadre

Les consciences s’éveillent alors peu à peu même si les dangers restent sous-estimés. En 1976, Simone Veil, alors ministre de la Santé prend une décision importante. Une loi à son nom limite la publicité à la seule presse écrite. La notion d’ « abus dangereux » apparaît sur les paquets… Les associations comme le CNCT peuvent désormais se constituer partie civile pour défendre les intérêts de la santé publique en matière de prévention du tabagisme. L’année suivante, le CNCT est reconnu d’utilité publique.

En 1989, Claude Evin (ministre en charge de la Santé) demande à cinq spécialistes de la santé publique de lui remettre des propositions pour l’action gouvernementale. Un groupe de 5 sages : le Pr Dubois donc, le Pr Maurice Tubiana, le Pr Claude Got (spécialiste en anatomie), le Pr François Grémy (épidémiologiste) et le Pr Albert Hirsch (pneumologue).

Leur objectif est d’améliorer la loi Veil. En 1991, est donc adoptée la loi Evin. Elle comporte quatre dispositifs clés : l’interdiction de la publicité, la hausse des prix, de nouvelles obligations pour les avertissements sanitaires et la défense des non-fumeurs.

En finir avec la pandémie tabagique !

Si tardive soit-elle, la prise de conscience est désormais mondiale. A ce jour, 174 pays sur les 193 que compte l’Organisation mondiale de la Santé (OMS) ont signé la Convention-cadre de l’OMS pour la lutte anti-tabac. Son but est bien sûr de faire reculer la consommation de tabac. La répression du commerce illicite et la protection des non-fumeurs figurent parmi ses points forts. Au même titre que « l’influence néfaste de l’industrie du tabac » qui, pour notre spécialiste est bien plus qu’un adversaire, « c’est un ennemi ! »

« Il reste des défis à relever. La pandémie tabagique est devant nous et non derrière » conclut le Pr Dubois. Et de citer Sir Richard Peto, élève de Richard Doll, « cette pandémie  a tué 100 millions de personnes au XXe siècle. Si rien ne change, elle en tuera 1 milliard au XXIe siècle. » Rappelons en effet qu’en 2013, le cancer du poumon sera la cause de 82 640 morts en Europe… rien que dans la population féminine.

Ecrit par : Vincent Roche – Edité par : David Picot

  • Source : Interview du Pr Gérard Dubois, 10 avril 2013

Aller à la barre d’outils