L’accès aux données de santé : l’affaire qui monte…

03 juillet 2013

©Phovoir

Acteurs institutionnels, organismes de recherche, sociétés privées, associations de patients… Qui peut accéder aujourd’hui aux données de santé des Français, détenues par la Caisse nationale d’Assurance-maladie (CNAM)? Et seront-elles demain, mises à la disposition de tous ? Avec quelles conséquences potentielles ? Un rapport d’un Inspecteur général des affaires sociales sur l’accès aux données de santé devrait être remis ces « prochaines semaines » à Marisol Touraine, la ministre en charge de la santé. Il est particulièrement attendu. Tour d’horizon des principaux enjeux.

Le calendrier… L’affaire couve depuis de nombreux mois. Une première étape a été franchie le 24 janvier 2013 avec la publication d’un manifeste intitulé « Liberté pour les données de santé ». Une seconde, en mars dernier. Trois députés appartenant à trois partis différents ont interpelé le ministère de la santé sur ce sujet : il s’agit de Christine Pires Beaune (Groupe Socialiste, républicain et citoyen, Puy-de-Dôme), de  Charles de Courson (UDI, Marne) et de Jean-Pierre Door (UMP, Loiret). Leurs questions, rédigées dans des termes quasi-superposables –  ont été publiées au Journal officiel le 5 mars.

Elles portent sur le « déploiement et la généralisation des flux de données anonymisées (…) au profit des autorités sanitaires, des pouvoirs publics et des instituts de recherche ». Aucune mention, donc, de sociétés privées. Ils ont toutefois fait référence à une autorisation de la CNIL délivrée en 2011 – à une société privée, justement – pour le traitement de ces données. Aucun de ces trois députés ne mentionne le bénéficiaire de cette autorisation dans le libellé de sa question. Après vérification, il s’agit de la société Celtipharm, celle-là même qui vient de déposer « une plainte pour abus de position dominante sur le marché de la fourniture de données de santé auprès de l’Autorité de la concurrence contre la CNAMTS et le GIE SESAM-Vitale ». Son objectif affiché est de mettre en œuvre un « projet d’études épidémiologiques ».

Qui peut accéder à cette base ? Ces données de santé sont pour l’heure, détenues par la Caisse nationale d’Assurance-maladie (CNAM). Un arrêté fixe la liste des heureux élus qui peuvent accéder à ces informations, anonymisées bien-sûr. Et ils sont particulièrement nombreux. L’on trouve ainsi :

  • Des agents du ministère de la Santé, désignés par leurs directeurs d’administration ;
  • Des agents des institutions sanitaires (ATIH, ANSM, Agence de la Biomédecine) ;
  • Des agents des ministères de l’économie et du budget ;
  • Des membres du Haut Conseil pour l’avenir de la l’Assurance-maladie ;
  • Des membres de l’Institut des Données de Santé, lequel regroupe 13 membres dont le CISS, la MSA, la FHP, la FEHAP, la FHF
  • Des membres de l’Union nationale des Professions de Santé (UNPS) ;
  • Des chercheurs de l’IRDES, de l’INSERM et encore du CNRS ;
  • Des agents de l’INCA, de la HAS ;
  • Des membres de l’OFDT et encore de l’UNOCAM.

A l’heure actuelle donc, les sociétés privées ne peuvent accéder à cette base de données.

Quelles seraient les conséquences d’une ouverture ? Antoine Flahault, professeur de biostatistique à l’Université Paris Descartes se dit favorable à « ce mouvement d’ouverture vers le citoyen.  La surveillance d’informations comme la vente de médicaments dans les pharmacies de ville présente un véritable intérêt sur le plan de la veille sanitaire. Actuellement, ces données sont sous-utilisées. A mon sens, les bénéfices que l’on peut attendre d’une ouverture en dépassent les risques potentiels ».

Le Pr Flahault ajoute toutefois « être parfaitement conscient qu’une politique d’ouverture et de transparence comporte toujours des risques, notamment lorsqu’elle s’ouvre à des acteurs privés. Bien-sûr, ces derniers n’ont pas que des motivations d’ordre épidémiologique. Mais après tout, n’ont-elles pas aussi leur sens dans une économie de marché ? »

Préserver la confidentialité. L’épidémiologiste Marcel Goldberg (INSERM) fait partie des scientifiques qui peuvent accéder à la base nationale. Il est d’accord sur le fait que « cette base de données est sous-exploitée. Et pour cause, à l’origine, elle n’a pas été conçue pour être utilisée à des fins épidémiologiques ou de veille sanitaire. C’est une base de données de gestion ».

Dans tous les cas, il confirme que « ces informations exceptionnelles peuvent rendre services à de nombreux acteurs, y compris du privé. Je ne pense pas qu’il faille leur en interdire tout accès mais une politique d’ouverture doit être accompagnée de mesures d’encadrement pour veiller à ce qu’elles ne soient pas utilisées contre l’intérêt public. Un contrôle serré par les autorités de santé et les régimes d’assurance maladie est indispensable ».

Marcel Goldberg s’avoue toutefois  plus préoccupé par le respect de la confidentialité. « Certes, l’identifiant individuel des personnes dont les données sont collectées est rendu anonyme, par des processus complexes. En revanche, contrairement à ce que l’on dit, dès que l’on croise quelques données, il est possible d’identifier une personne. A condition bien-sûr que l’on cherche à l’identifier. Par exemple, si une personne que vous connaissez est hospitalisée en psychiatrie à tel endroit, à telle date, il suffit d’assez peu d’informations croisées pour disposer du diagnostic du psychiatre. Il convient donc vraiment de prendre en compte cet aspect essentiel. »

Le sujet est brûlant. Pour toutes ces raisons, le rapport de Pierre-Louis Bras, Inspecteur général des Affaires sociales, est très attendu. Il sera rendu « au cours des prochaines semaines » nous a confirmé le ministère en charge de la Santé.

Ecrit par : David Picot – Edité par : Emmanuel Ducreuzet

  • Source : Ministère de la Santé, 3 juillet 2013 – Interview du Pr Antoine Flahault, 1er juillet 2013 – Interview du Pr Marcel Goldberg, 1er juillet 2013 – Communiqué de presse de Celtipharm, 27 juin 2013 – Antoine Flahault déclare à ce jour deux conflits d’intérêts indirects : un membre de sa famille travaille au LEEM (Les Entreprises du Médicament) depuis 1994, et lorsqu’il dirigeait l’EHESP (2008-2012) il a passé avec CELTIPHARM une convention CIFRE pour un doctorant du réseau doctoral.

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