Le bruit, un problème de santé publique…

01 août 2000
Le bruit est responsable de 20% des internements psychiatriques et 15% des journées de travail perdues en France. Il entraîne aussi des dépenses de santé considérables : plus de 5 milliards d’euros par an et il n’est pas surprenant que les Européens le placent en première position parmi les nuisances de santé. A Nice, la plupart des experts mondiaux de cette question se sont réunis dans le cadre du congrès Internoise. Le problème du bruit ne se résume pas à ses aspects les plus caricaturaux : l’habitat riverain des grands aéroports ou le travail sur machines lourdes. Ce serait oublier les bruits infiniment plus ordinaires qui sont à l’origine de problèmes parfois graves. A cause de leur intensité ou de leur caractère permanent, obsédant. Le bruit de l’eau qui tombe goutte à goutte, celui des mobylettes en échappement libre. Ceux du voisinage sont à l’origine de tensions qui, régulièrement, dégénèrent en drames. Nous pourrions multiplier les exemples à l’infini. Dans le Gers, ce pays où le bonheur est dans le pré, certains habitants de Nogaro vivent un calvaire. Construit en 1961, le circuit Paul Armagnac jouxte la ville. Depuis vingt ans il est surexploité. Des engins motorisés y tournent en moyenne trois cent soixante jours par an ! Alain Broca, dont le jardin est à 40 mètres de la piste, vit dans un état d’angoisse permanente. « J’essaie le plus souvent de rester à l’intérieur de la maison, car c’est souvent infernal. Cela dure toute une journée et finalement nous sommes obligés de rester terrés comme des lapins. » Ces nuisances ont un effet direct sur sa santé. « J’ai des troubles du sommeil, des pertes d’appétit, des vertiges. J’ai perdu l’audition de l’oreille gauche. Cette situation ne pourra pas durer des années. Parce que je m’affaiblis, j’ai des pertes de mémoire dues justement à tout ce bruit que nous supportons depuis une vingtaine d’années. C’est harassant, je ne vous dis pas tout ce que nous devons subir. » Subir, c’est bien le mot qui convient. Pour le Dr Philippe Dupont, ORL à Aire sur Adour, c’est précisément dans ces conditions que peuvent apparaître des troubles de l’humeur. « Il y a une sensation d’agression par un bruit que l’on ne maîtrise pas. Plus on le subit, plus on est agressé. Cette impuissance est psychologiquement difficile à vivre. On dort mal à cause du bruit, mais aussi parce que l’on se sent déprimé, agressé. Donc ces troubles du sommeil ne font qu’accroître les troubles de l’humeur. Le bruit subi est une source de stress immense. » Le bruit s’attaque au corps et aux organes Voilà pourquoi, si « Le bonheur est dans le pré », ce n’est pas dans la campagne gersoise ! Surtout pas pour Jacques Fortinon, le Président épuisé de l’association de défense intercommunale des riverains contre le bruit, l’ADIR. « Nous vivons dans un environnement très calme. A partir de 18h, nous entendons les oiseaux chanter, les musiques de la vie. Le soir nous sommes stressés, mais le corps se détend un petit peu. Le matin au réveil, c’est l’angoisse. A quelle heure vont-ils commencer, quand vont-ils terminer ? Et au fur et à mesure que cette angoisse monte et que les essais commencent, le stress devient de plus en plus important. Alors quand on peut partir, on s’en va. Mais on ne peut pas partir 360 jours par an. Nous sommes donc obligés d’accepter ce bruit et de se préparer psychologiquement. J’augmente le volume de la télé ou de la radio pour créer un autre environnement sonore. Si vous lisez et que vous avez une grosse mouche qui tourne vous allez prendre une bombe et essayer de tuer la mouche. Mais nous, la mouche, on ne peut pas la tuer. » Le bruit n’est pas seulement épuisant. Il s’attaque au corps, aux organes ! Il rend physiquement malade. Bien avant 20 ans, des jeunes en nombre croissant souffrent de problèmes auditifs irréversibles. Le Dr Jean-Jacques Valenza, ORL à Nantes, s’alarme « de voir des jeunes qui entendent bien et qui abîment leurs oreilles (…) avec des baladeurs ou en allant à des concerts de musique. On voit des patients qui après (…) des concerts ont des problèmes d’audition, ou des jeunes qui vont en boite où il y a des sonos tonitruantes. Il m’est arrivé de soigner une personne, qui travaillait pour des concerts. Son critère de niveau sonore était absolument astronomique : plus de 110 décibels à 20 mètres de la scène ! C’est énorme. En 8 heures, un bruit de 85 décibels provoque un certain dégât dans l’oreille. Et le même dégât sera obtenu en une seule minute à 112 décibels ! » Car les dommages provoqués n’augmentent pas au même rythme que le niveau sonore. Ils se trouvent en fait multipliés, avec des conséquences beaucoup plus graves, alors que le bruit semble n’avoir augmenté que dans des proportions limitées. Avant 17 ans, 11% des adolescents souffrent d’une perte auditive supérieure ou égale à 20 dB. Un jeune de 25 ans qui n’est pas préservé souffre des mêmes troubles auditifs qu’un quinquagénaire indemne de traumatisme sonore. Enfin, 44% des jeunes qui écoutent de la musique trop forte présentent un certain degré de surdité. Quand le bruit occulte un signal d’alarme ! Un bruit de fond intense, comme dans des bureaux en travaux ou une cantine, provoque un effet de masque. Il faut faire effort pour percevoir les bruits utiles, s’époumoner pour être entendu. Comme nos oreilles sont le centre de notre système d’équilibre, il en résulte fatigue, chute de la vigilance et désorientation. Les conséquences peuvent en être dramatiques. Par exemple lorsqu’un ouvrier, épuisé par le bruit, ne perçoit pas un signal d’alarme. Comme l’explique Dominique François, du Bureau régional pour l’Europe de l’OMS, le bruit augmente considérablement la sécrétion des hormones de stress. « Normalement, elles sont sécrétées en situation de frayeur, de grande peur. Comme une défense de l’organisme. Or l’adrénaline entraîne une augmentation des taux sanguins de cholestérol et de triglycérides. Ce qui augmente de manière significative les risques d’infarctus du myocarde. » Mais ce n’est pas tout ! « Une exposition relativement longue provoque une augmentation d’une autre hormone, le cortisol. C’est un facteur important de la composition du sang (et ce phénomène) entraîne une baisse de fluidité, un épaississement du sang. Ce sont des facteurs aggravants lors d’une attaque cardiaque. » Le bruit affecte donc notre corps. C’est le moins qu’on puisse dire… Le cœur s’emballe. La production d’hormones est altérée. L’organisme exprime son malaise : hypertension artérielle, troubles du sommeil, état dépressif. … La consommation de tranquillisants, le nombre des consultations psychiatriques sont plus élevés dans les zones urbaines bruyantes. Si le cerveau essaie d'oublier le bruit, s’il parvient à le filtrer, notre système nerveux lui, l'enregistre continuellement. Biologiquement, l'homme ne s'habitue pas au bruit ! Des enfers multiples et quotidiens Pourtant des politiques de prévention et d’éducation clairement définies peuvent empêcher qu’il ne soit traumatisant. Encore faut-il s’en donner les moyens. Pour le docteur Valenza, « nous recevons régulièrement des patients qui, après avoir utilisé une tronçonneuse, ont des acouphènes, des sifflements d’oreilles, des pertes auditives. Tout simplement parce qu’ils ne se sont pas protégés avec un casque antibruit. Lorsque j’étais conseiller municipal, avec le maire adjoint à l’enseignement nous avions écrit aux directeurs des lycées professionnels pour leur demander de faire porter des casques antibruit dans les classes de menuiserie ou chaudronnerie. Un des proviseurs nous a répondu que c’était anti-pédagogique de boucher les oreilles ! » Voilà qui laisse rêveur… « Car ces jeunes, une fois passés dans la vie active, si on ne leur à pas appris à se protéger, ne se protégeront pas. Et quand j’étais au Conseil national du Bruit, on nous avait rapporté que 5% des jeunes des lycées professionnels souffraient d’atteintes auditives dès la 1er année (contre) moins de 1% dans les lycées classiques. » Nos sociétés sont fondées sur les moteurs, le béton, l'électronique. C’est le prix d’une exigence absolue de croissance. Nous considérons le vacarme comme une pollution mineure, moins grave que celles au plomb ou à l'ozone. Comme un désagrément réel mais inévitable. Quelle erreur ! Pour résoudre le problème, il faudrait commencer par supprimer les autoroutes qui traversent les banlieues populaires sans murs anti-bruit, les habitations le long des voies ferrées ou des périphériques, les concentrations urbaines proches des aéroports… Bref, la situation n’évoluera pas sans une vraie prise de conscience politique. C’était l’un des objectifs du congrès qui vient de se tenir à Nice… Espérons que les politiques auront entendu ses participants...
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