La greffe du rein : les premiers pas de la transplantation d’organes

02 juillet 2012

Le rein est un filtre. Il nettoie l’organisme de toutes sortes de toxines, et les évacue dans les urines. Souvent victime de défaillances, il est le greffon le plus demandé. Plus de 12 000 patients se trouvent chaque année en France en attente d’un rein, au lieu de « seulement » 2 300 pour un foie et 800 pour un cœur… Le Pr Bernard Charpentier, membre de l’Académie nationale de médecine, est à la fois néphrologue et doyen honoraire de la Faculté de médecine Paris Sud 11. Il retrace pour nous, l’histoire de la greffe de rein.

Décrite dans la littérature comme le Mal de Bright, l’insuffisance rénale conduisait à une mort certaine dans d’atroces douleurs. « L’impuissance des médecins était terrible lorsqu’ils se trouvaient confrontés à la mort de patients parfois jeunes, due à la défaillance de « grands organes », et en particulier du rein », raconte Bernard Charpentier. Avant de tenter une transplantation d’organe, la chirurgie de remplacement avait débuté par les greffes de membres. « Son illustration la plus ancienne se trouve dans un tableau figurant Saint-Côme et Saint-Damien greffant à un sacristain une jambe prélevée sur le cadavre d’un Maure. Tous les chirurgiens l’ont en tête », assure-t-il d’un ton passionné.

Il fallut ensuite attendre le début du 20e siècle – 1904 pour être précis – pour assister à la première tentative de transplantation d’un rein d’animal sur un homme par Mathieu Jaboulay. « La patiente, une Lyonnaise, avait tenté de se suicider avec des sels de mercure. Le rein ainsi greffé avait émis quelques millilitres cubes d’urine avant que le rejet ne se manifeste… ».

Les chirurgiens n’ont pas baissé les bras pour autant. En 1933, la première transplantation rénale d’homme à homme fut réalisée par Serguey Voronoy, en Ukraine. Il implanta un rein de cadavre dans la cuisse de son patient, sans succès. « Evidemment, cela n’a pas fonctionné. Le phénomène de rejet, encore inexpliqué à l’époque, fit une nouvelle victime », poursuit Bernard Charpentier.

La recherche de la compatibilité génétique

« Jusqu’en 1950, bien des tentatives empiriques ont été menées. Toutes ont échoué. Mais en 1952, Jean Hamburger à l’hôpital Necker de Paris, réussit à faire fonctionner pendant 3 semaines un rein qu’il avait greffé. Il avait transplanté le rein d’une mère sur son fils de 17 ans ». Même si le rejet est intervenu moins d’un mois après la transplantation, ce résultat fut considéré comme une première victoire. En effet, la parenté du donneur et du receveur permettait de soupçonner qu’une proximité génétique améliorait les chances de réussite. « La notion d’histocompatibilité faisait ainsi son apparition ».

Quatre ans plus tard, en 1954, l’équipe de John Merrill et Joseph Murray à Boston, réussit – enfin ! –la première transplantation rénale entre des jumeaux monozygotes. « Cette prouesse a permis de valider l’hypothèse selon laquelle une compatibilité génétique entre le donneur et le receveur était indispensable pour diminuer le risque de rejet » explique le Pr Charpentier. Mais c’est Jean Dausset qui en 1958, décrivit précisément le phénomène, baptisé depuis complexe majeur d’histocompatibilité (MHC). Grâce à cette découverte, il s’est vu remettre le prix Nobel de physiologie et de médecine en 1980.

La ciclosporine, un médicament « miracle »

De nombreux tâtonnements furent encore nécessaires pour parvenir à traiter le rejet par les médicaments et la radiothérapie. « Dans les années 1955-1960, les transplantés étaient intégralement irradiés pour réduire le risque de rejet. Et naturellement, ce traitement était lourd et induisait d’importants effets secondaires », explique Bernard Charpentier, conscient des difficultés rencontrées par ses illustres prédécesseurs.

En 1960, l’équipe de René Küss réalisa pour la première fois une transplantation chez deux patients non-apparentés. « Grâce à la corticothérapie et à l’azathioprine, un médicament qui bloque la synthèse de l’ADN des cellules immunitaires, cela commençait à marcher ». Mais c’est en 1972 que se produisit le grand bouleversement. « La découverte de l’effet immunosuppressif de la ciclosporine par Jean-François Borel, chez Sandoz, en Suisse, marqua un tournant dans la greffe de rein », s’enthousiasme-t-il. « Cette molécule, un peptide cyclique de onze acides aminés synthétisé par un champignon microscopique, est un immunosuppresseur puissant. Elle a tout changé dans le domaine de la transplantation ».

« Une société qui veut être transplantée doit donner »

Aujourd’hui, « même si les techniques se sont affinées, la manière de procéder reste la même », indique le Pr Charpentier. « On laisse en place les vieux reins, sauf s’ils sont infectés. Le nouveau rein est placé dans la fosse iliaque gauche ou droite en connectant l’artère rénale de l’organe transplanté à une des branches de l’aorte. Les malades peuvent sentir, du bout des doigts, leur rein sous la peau », raconte-t-il.

Et si des évolutions thérapeutiques et techniques ont amélioré les greffes, de nombreux patients souffrent encore du phénomène de rejet, qui n’est pas totalement maîtrisé. « Mais le véritable problème réside dans le manque de donneurs et de greffons. Or quand une transplantation échoue, je ne connais aucun malade qui ne veuille plus être greffé », s’emporte Bernard Charpentier, militant du don d’organes. « Cela prouve bien que la transplantation offre un gros « bonus » en termes de qualité de vie par rapport à la dialyse ».

« Tous les Français souhaiteraient se voir greffer un organe en cas de besoin. Malheureusement, ils sont beaucoup moins nombreux à vouloir donner leur rein ou leur cœur », se désole-t-il. Ainsi martèle-t-il qu’ «une société qui veut être transplantée doit donner ».

La médecine régénérative

Mais comme le Pr Daniel Loisance pour la greffe de cœur, Bernard Charpentier mise sur la médecine régénérative. « Nous n’en sommes qu’aux balbutiements dans ce domaine. Je pense toutefois que là se trouve la voie d’avenir, pour la chirurgie de transplantation », assure-t-il. « Votre propre organe sera régénéré, ce qui résoudra une fois pour toutes le problème du rejet. C’est encore de l’ordre du rêve, mais probablement pas si loin de la réalité que cela », conclut-il, l’air songeur.

  • Source : Interview du Pr Bernard Charpentier, néphrologue, doyen honoraire de la Faculté de médecine Paris Sud 11 et membre de l'Académie nationale de médecine, 3 mai 2012

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