Assurance maladie : une demi-réforme ?

08 juillet 2004
Or les mesures annoncées par le ministre de la Santé et de la Protection sociale, Philippe Douste-Blazy sont perçues comme trop limitées, sauf peut-être pour le volet concernant la coordination des soins. Et en dehors des analyses purement politiques, beaucoup d’observateurs regrettent que le vrai problème, celui du système hospitalier, ne soit abordé à aucun moment. L’urgence financière posée par le déficit de la Sécurité sociale en général, et de l’assurance maladie en particulier, plonge les responsables politiques dans une spirale infernale. Le trou se creuse chaque seconde de 383 euros, ce qui représente 23 000 euros par minute ! Pour l’année 2004, il manquera près de 13 milliards d’euros dans les caisses. Du jamais vu ! Si rien n’est fait ce déficit atteindra le chiffre hallucinant de 100 milliards d’euros en 2020. Il y a donc bien urgence ! Tout le monde en convient. Mais la réforme proposée présente-t-elle les garanties nécessaires pour assurer la viabilité du système de soins à la française ? La moitié des dépenses concerne le secteur hospitalier D’après la Caisse nationale d’Assurance maladie, la branche médicament représente 21% des dépenses, l’hôpital 45%, les honoraires des professionnels de santé 27%. Il reste encore 7%, que les responsables de l’Assurance maladie rangent malicieusement dans une case commodément intitulée « Autres »... Si le poste médicaments est, depuis 1997, celui qui contribue le plus à la croissance de la consommation avec +6,2% chaque année, il ne représente en fait qu’un quart du total des dépenses, contre pratiquement la moitié pour l’hôpital. Or les observateurs regrettent le silence assourdissant qui s’est fait, concernant le secteur hospitalier, durant la discussion de la réforme… Ainsi dénoncent-ils « l’absurdité » d’une démarche visant à combler le déficit de l’assurance maladie en focalisant les recherches d’économies sur le médicament et les actes professionnels. Seules sont prévues la hausse du forfait hospitalier - un euro d’augmentation chaque année de 2005 à 2007 - et la rationalisation des achats hospitaliers. Mais c’est bien peu et surtout peu ambitieux. Pour les professionnels, si les politiques n’osent pas toucher au fonctionnement même de l’hôpital, c’est pour « acheter la paix sociale » ! Philippe Douste-Blazy a-t-il cherché ailleurs les sources d’économies ? En fait, il apparaît bien que son objectif principal ait été d’améliorer la coordination des soins.Le dossier médical ? Un chantier lourd ! Commençons par le dossier médical personnel informatisé, qui sera obligatoire au-delà de 16 ans. Sa généralisation est prévue pour 2007. Le ministre escompte 3,5 milliards d’euros d’économies par an. Comment cela ? Grâce à une limitation du nombre d’actes, de prescriptions de médicaments et d’examens, en mettant fin en particulier aux redondances entre la médecine de ville et l’hôpital. Et en l’absence de l’inscription des soins sur le dossier, ceux-ci ne seront pas remboursés. Purement et simplement. Le patient pourra consulter son dossier à partir de sa carte Vitale et d’un mot de passe. Tous les professionnels de santé pourront le consulter et le modifier. C’est là certainement, une idée intéressante et novatrice. Mais il s’agit d’un chantier lourd, à la fois financièrement et techniquement. Le coût du dispositif est estimé entre 3 et 15 euros par an et par dossier. Soit 120 à 160 millions d’euros chaque année pour les 40 millions de Français concernés. Par ailleurs, le calendrier de réalisation s’avère plus que serré. D’après notre confrère Les Echos, un groupe de travail planche depuis fin 2003 sur un projet de dossier électronique assez similaire. Il était prévu de l’expérimenter courant 2005 sur un million de personnes et en impliquant 5 000 professionnels de santé. Mais les retours d’expérience ont montré que la mise en place de ce dispositif au niveau national n’interviendrait pas avant… 2008 ! Le développement d’un parcours de soins coordonnés autour d’un médecin traitant, c’est le deuxième moyen retenu par le gouvernement français pour favoriser la coordination des soins. Chaque assuré de plus de 16 ans –là encore…- devra choisir un médecin traitant, qu’il soit généraliste ou spécialiste. Les patients devront donc passer par ce médecin avant de consulter un spécialiste, sauf si la visite est prévue dans le parcours de soins, comme pour les maladies graves. Ainsi la consultation directe chez un spécialiste, en ville comme à l’hôpital, sera-t-elle moins bien remboursée. Et le spécialiste pourra dans ce cas opérer des dépassements d’honoraires. Dans quelles limites ? Ce sera l’objet de négociations serrées entre l’assurance-maladie et les syndicats de médecins. Le générique, rien que le générique… Quant au volet médicament de la réforme, il s’appuie principalement sur le développement des génériques. Le but est de réaliser un milliard d’euros d’économies chaque année ! Un objectif très ambitieux, c’est le moins qu’on puisse dire. Pour y parvenir le ministre compte réduire la durée durant laquelle un médicament sera protégé de la concurrence des génériques, en alignant rapidement le droit français sur le droit européen. En France, un médicament qui perd son brevet peut encore être protégé pendant 10 ans si le laboratoire modifie son dosage. Une prolongation qui disparaîtra dès lors que sera appliquée la nouvelle directive européenne de mars 2004 sur le médicament. Mais la mesure phare du plan génériques restera l’élargissement du champ d’application du tarif forfaitaire de responsabilité (TFR). Lequel permet de rembourser un médicament tombé dans le domaine public au prix de ses génériques. Jusqu’à présent, cette disposition n’était appliquée que pour les produits dont les génériques étaient peu vendus. Moins de 45% du marché. Désormais ce tarif s’appliquera plus largement, à tous les médicaments tombés dans le domaine public dès lors que le taux de pénétration des génériques y sera inférieur à 60% au bout d’un an, et de 70% à 80% au bout de deux ans. Enfin, les prix des génériques vont être diminués. Ils seront réduits de près de 10%. Quant aux prix des nouveaux génériques, ils seront de 40% à 50% inférieurs à ceux des médicaments de marque, contre 28% en moyenne actuellement. Voici donc un plan ambitieux, qui devrait permettre à la France de rattraper son retard dans ce domaine. Mais un milliard par an, c’est un calcul, une projection, un souhait… Et non une réalité objective. Et comparé à l’abîme du déficit envisagé dans les prochaines années, c’est bien peu de chose ! En fait, Philippe Douste-Blazy parie sur un changement radical des comportements, des patients comme des professionnels de santé. A travers le dossier médical personnalisé et le parcours de soins, il entend responsabiliser les acteurs. Mais pour des raisons techniques, ces outils ne seront mis en place que progressivement. Beaucoup d’inconnues encore, par conséquent. Ce qui provoque un bilan en demie-teinte de la part de Michel Chassang, le président de la Confédération des Syndicats médicaux français, la CSMF. Le principal syndicat de médecins en France. Il nous a confié ses impressions. Positives, d’abord. « Cette réforme va globalement dans le bon sens. D’abord parce qu’elle tourne le dos à la maîtrise délibérément comptable qui avait été un échec en 1995. Désormais les médecins ne sont plus les seuls coupables. Deuxièmement une responsabilisation des acteurs est d’actualité via le dossier médical partagé ou personnel qui permettra d’avoir une meilleure connaissance pour chacun des acteurs sur le passé, sur le présent et donc d’améliorer leur état de santé. » Mais il y voit aussi des zones d’ombre, voire de véritables lacunes. Et il appelle déjà, à une poursuite de l’effort.Le Québec lui, a bien réussi sa réforme «A côté de ces éléments positifs il y en a de très négatifs. En particulier l’exclusion des professionnels de santé à tous les étages de décision de cette assurance maladie. Deuxième point noir, le principal pourvoyeur de dépenses qui est l’hôpital est exclu de la réforme. Troisième élément, nous ne pensons pas que la contribution qui va être demandée aux Français, c’est-à-dire le fameux euro par consultation soit de nature à les responsabiliser. Le ticket modérateur n’a responsabilisé personne nous ne voyons pas cette contribution les responsabiliser davantage. Par ailleurs nous la jugeons discriminatoire. Nous ne voyons pas pourquoi il y aurait une culpabilisation sur les consultations médicales et pas sur les autres actes médicaux.» La réforme est-elle une entreprise sans espoir ? Bien sûr que non. Le Québec par exemple, a réussi la réforme de son système de santé. Invité d’honneur au dernier MEDEC, son ancien ministre de la santé et des Services sociaux, Jean Rochon, a lui-même conçu et piloté ce processus dans son pays, entre 1994 et 1998. Et l’expérience canadienne confirme bel et bien que la réforme d’un système de santé est chose possible. Mais elle montre aussi que toute réforme pour être viable, doit recevoir l’adhésion de l’ensemble des acteurs. Et plus particulièrement bien sûr, de la population et pas seulement des politiques et des professionnels. La stratégie canadienne a été élaborée autour de plusieurs principes. «En premier lieu» explique Jean Rochon, «cibler l’impact des compressions budgétaires, pour éviter d’ébranler l’ensemble du système». Puis développer des services ambulatoires, pour compenser les coupes effectuées par ailleurs dans des services lourds. Améliorer la continuité et la complémentarité des services existants grâce au regroupement des établissements. Mais aussi assurer la fourniture de médicaments à l’ensemble de la population... Car au Québec à ce moment-là, pratiquement 15% de la population n’avait pas accès au remboursement des médicaments ! Le cinquième élément reposait sur le renforcement des actions de santé publique. L’objectif, intervenir en amont des problèmes grâce à une meilleure prévision. Enfin, le sixième élément a été de développer la recherche fondamentale, clinique et épidémiologique. Une réforme ambitieuse donc, qui s’est attachée à changer le système en profondeur. Jusqu’à présent une telle initiative n’est pas à l’ordre du jour en France. Peut-être dans une seconde phase…? EN SAVOIR PLUS... Le scandale de la chirurgie esthétique Saviez-vous que la chirurgie esthétique coûte un milliard d’euros à l’assurance maladie chaque année ? La faute à des praticiens qui transforment, pour la Sécu, une opération de confort en une intervention de haute nécessité. Ainsi, derrière des paupières qui tombent avec l’âge, certains iront dénicher une lésion tumorale neurologique. Aujourd’hui, neuf «paupières» sur dix seraient ainsi prises en charge ! Pour un nez de travers rien de plus simple, puisque la réparation d’une cloison déviée est remboursée. Banco ! Pour les liftings déclarons un naevus, ou encore une dermabrasion cicatricielle. Sous ce joli terme, la résorption d’une petite cicatrice qui retend la peau. Idem pour les liposuccions soudain transformées pour la paperasse, en ablations de lipomes… Le tout dans l’indifférence générale, puisque l’assurance maladie vérifie très rarement les motivations réelles des patients et la véracité des annotations. Et que le gouvernement ferme les yeux sur ce milliard et ces pratiques pourtant hors-la-loi. Tout savoir sur la réforme Le ministère de la Santé et de la Protection sociale fait preuve de transparence. Il a créé un site internet sur lequel vous pourrez retrouver l’ensemble de la réforme, son pourquoi, son comment. Alors n’hésitez pas à vous rendre au http://www.assurancemaladie.sante.gouv.fr/. Un numéro indigo, le 0825 396 396 est également à votre disposition.
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