Comprendre et accompagner la dysphorie de genre chez l’adolescent

28 octobre 2021

Lorsque l’identité de genre ressentie ne correspond pas au sexe biologique d’une personne et que cette différence engendre une souffrance, on parle de dysphorie de genre. Ou plutôt, de « non-congruence de genre », précise le Pr Philippe Duverger, pédopsychiatre et chef du service de psychiatrie de l'enfant et de l'adolescent au CHU d'Angers. Suite de son interview aujourd’hui avec un focus sur les adolescents.

Destination Santé : Pour l’enfant, vous conseillez aux parents de ne pas se précipiter chez le médecin. Et pour l’adolescent ?

Pr Duverger : C’est un peu différent. Du fait de cette adolescence justement, il aura deux questionnements tout à fait normaux : des questions de choix de genre et des questions de choix de sexualité. Il devra s’affirmer en tant qu’homme ou femme dans un choix de genre, mais aussi en tant qu’hétérosexuel, homosexuel, bisexuel… dans un choix de sexualité. Ce sont deux choses différentes, qu’il ne faut vraiment pas confondre. Et chez l’adolescent, le choix de genre peut être fluctuant : pendant une année, on peut avoir quelque chose qui s’affirme du côté du féminin, et l’inverse l’année suivante. Là aussi, il ne faut pas aller trop vite, mais cela ne veut pas dire qu’il ne faut rester passif.

DS : Que peut-on faire en attendant que les choix soient fixés ?

Pr D. : D’un point de vue psychologique, et sans psychiatriser les choses, il faut accompagner le jeune dans sa réflexion. Cela peut être intéressant pour lui, s’il est d’accord et s’il s’en sent capable, de parler, de s’informer, de penser les choses auprès d’un pédopsychiatre ou d’un psychologue. Si les choses s’affirment et se confirment, le temps suivant sera social et scolaire : y a-t-il une demande de changement de prénom ? L’adolescent veut-il qu’il s’applique au collège ou au lycée ? Si c’est le cas, il faut qu’il y ait l’accord des parents. Rien ne doit se faire sans l’accord des parents. Ce sont eux qui ont l’autorité parentale jusqu’aux 18 ans de l’enfant.

DS : Quand et comment répondre à une éventuelle demande d’intervention sur le plan médical ?

Pr D. : Jusqu’à ce que la puberté se fasse, il est à mon avis très compliqué voire pas acceptable de faire des changements irréversibles (comme la chirurgie, ndlr). Et certains types de traitements, endocriniens par exemple (qui consistent à « bloquer » la puberté, ndlr), ne sont pas si réversibles que ça. Certains effets sont persistants, il peut y avoir des effets secondaires… Ce n’est jamais anodin. Il ne faut vraiment pas précipiter les choses, même lorsqu’il y a une pression du jeune, de ses parents, etc.

DS : Quels sont les « lieux ressources » pour se renseigner sur les différents aspects du sujet ?

Pr D. : Les Maisons des Adolescents, qui sont implantées dans chaque département, sont par exemple très bien placées pour accueillir les jeunes qui se posent des questions. Ce qui est intéressant, c’est qu’elles sont pluridisciplinaires : il y a des assistants sociaux, des pédopsy, des pédiatres, des médecins… On peut donc y aborder tous les aspects du changement de genre : psychologiques, sociaux, médicaux, hormonaux… On peut également se rendre à l’hôpital et se renseigner sur les médecins qui peuvent être formés sur la question. On ne peut pas improviser sur ces sujets-là.

DS : Certaines associations estiment que la psychiatrie prend trop d’importance dans le parcours de transition. Qu’en pensez-vous ?

Pr D. : On peut entendre et comprendre ce rejet : la transidentité n’est pas une pathologie, alors pourquoi devrait-on voir un psychiatre et pourquoi est-ce lui qui devrait donner le feu vert, s’agissant notamment d’une intervention chirurgicale ? Si c’est vécu comme cela, je peux comprendre que c’est insupportable. Mais il faut comprendre que le psy n’est pas là pour juger, valider ou invalider un choix. Il est là pour accompagner et penser avec le jeune. Penser les enjeux et les effets de cette transformation, le vécu, le regard des autres, l’estime de soi… Certains jeunes, surtout ceux qui sont livrés à eux-mêmes, pensent en effet que changer de genre résoudrait tous leurs problèmes : « je suis un autre, donc je change d’histoire et tout ce que j’ai vécu de difficile jusqu’à présent va disparaître ». Mais cette transformation ne les fera pas repartir de zéro. Notre rôle est donc d’accompagner ces jeunes avec bienveillance sur des questions importantes qui touchent à l’identité, et qui sont donc fondamentales.

 

  • Source : Interview du Pr Philippe Duverger, pédopsychiatre et chef du service de psychiatrie de l'enfant et de l'adolescent au CHU d'Angers, le 26 octobre 2021

  • Ecrit par : Charlotte David - Edité par : Emmanuel Ducreuzet

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