Dérives sectaires en santé : 730 signalements entre 2019 et 2020
22 avril 2022
Déni de l’existence d’un virus, refus de vaccins, pseudo-médecines : les fausses croyances ont la peau dure dans le domaine de la santé. L’Inserm fait le point sur les dérives sectaires rapportées en France, leur impact chez les patients et les solutions pour s’en prémunir.
Profiter d’une situation sanitaire, politique et/ou conflictuelle pour diffuser des opinions et certitudes plus que des faits, avec comme objectifs l’influence massive des esprits et la déconstruction du réel. Voilà le cœur des dérives sectaires. Dans le détail, elles se traduisent par « la mise en œuvre, par un groupe organisé ou par un individu isolé, de pressions ou de techniques ayant pour but de créer, de maintenir ou d’exploiter chez une personne un état de sujétion psychologique ou physique, la privant d’une partie de son libre arbitre », décrit la Mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires (Miviludes).
La survenue de ce phénomène est plus fréquente dans le domaine de la religion pour 89% des Français et dans le développement personnel pour 79% de la population. Des données issues d’une enquête Odoxa menée pour l’Union nationale de défense des familles et de l’individu et publiée en janvier 2022*.
38% des dérives sectaires liées à la santé
Quid de la santé ? Parmi les 1 006 volontaires interrogés, « près de 30 % des Français, soit 1 sur 3, considèrent que la santé est un domaine menacé par les dérives sectaires », relaie l’Inserm. Et selon les autorités ? Pour la Miviludes, la santé est aujourd’hui le domaine le plus inquiétant en termes de dérives et complotisme. Elle « concerne près de 38 % des signalements reçus entre 2019 et 2020 ». Des estimations sachant que tous les cas ne sont pas rapportés. « La majorité des victimes éprouvent un sentiment de honte qui les dissuade de faire un signalement ou de raconter leur expérience », détaille Samir Khalfaoui, conseiller santé à la Miviludes.
Pas de profil type
Mais quels sont les facteurs favorisant ces dérives ? « Ce danger est favorisé par ‘la souffrance ou l’inquiétude liées à une maladie, et la confiance accordée au ‘soignant’. Lesquelles fragilisent le patient et l’exposent au risque qu’un pseudo-thérapeute en profite pour exercer une emprise sur lui », précise Bruno Falissard, psychiatre et directeur du Centre de recherche en épidémiologie et santé des populations à Villejuif.
Les approches alternatives** ne faisant l’objet d’aucun protocole reconnu sont particulièrement à risque de dérives sectaires. « En plus d’être mal évaluées, voire pas du tout, ces approches ne sont pas réglementées, ni standardisées. Résultat, n’importe qui peut se prétendre thérapeute et appliquer des idées ou protocoles de soin plus ou moins fantaisistes. Ce qui accroît le risque d’emprise. » A noter que 40% des Français ont recours à l’une des 400 approches alternatives existantes en France. Parmi eux, 60% consultent dans le cadre de leur cancer.
Qui sont les patients les plus exposées aux dérives sectaires ? Pour 76% des personnes interrogées dans l’étude Odoxa, on trouve « les personnes dépressives, en situation de précarité et les adolescents ». Mais selon la Miviludes, « il n’y a vraiment pas de profil type. N’importe qui, fragilisé par une maladie ou en quête d’une bonne santé, peut être victime d’un pseudo-thérapeute ».
Argent, violences sexuelles, isolement
Que risque le patient ? « Il peut non seulement se voir soutirer une somme importante, subir des violences sexuelles, et rompre les liens avec ses proches, mais aussi – dans des domaines plus spécifiques au champ de la santé – perdre des chances de guérison en renonçant à des soins éprouvés, et mettre en danger la collectivité en cas de refus, par exemple, de la vaccination, si le discours sectaire est anti-vaccins… », complète Bruno Falissard.
« Il est vraiment temps que la recherche médicale étudie en profondeur ce risque », alerte Bruno Falissard. Par quels moyens ? Le gouvernement a alloué une enveloppe d’un million d’euros en 2021 pour lutter contre les dérives sectaires. « Le ministère de la Santé doit aussi réactiver une autre structure qui évaluerait les pratiques à risque ou prometteuses : le Groupe d’appui technique sur les pratiques non conventionnelles à visée thérapeutique, qui impliquait l’Inserm ». Créée en 2019, cette dernière avait été supprimée en 2020. Autre solution : repérer les praticiens « qui facturent des sommes importantes, dénigrent les traitements proposés par le médecin traitant et/ou poussent à couper les liens avec le système de santé ou les proches », conseille Bruno Falissard. Et se baser sur le guide Santé et dérives sectaires publié par la Miviludes qui délivre de nombreuses pistes de prévention.
A noter : l’Inserm a publié 12 rapports sur différentes approches (mésothérapie, chiropratique, décodage biologique, ostéopathie, auriculothérapie, acupuncture, jeûne, hypnose, kinésiologie, étiopathie, cryothérapie du corps entier et sophrologie) non reconnues à consulter sur cette page.