Cancers : combattre aussi pour la qualité de vie

01 janvier 2003
Au terme d’une évolution progressive mais continue, la préservation de la qualité de vie du malade cancéreux est devenue un objectif central de la démarche de soins. Un constat partagé par le Pr François Laffargue, gynécologue-obstétricien à Montpellier. «En matière de cancers, il y a toujours eu deux combats à gagner. Le premier est de ne pas avoir de récidive locale. Le second bien sûr, est de lutter contre les métastases. Il faut désormais en ajouter un troisième, celui que nous menons avec les malades pour le respect de la qualité de vie.» Cette évolution est évidemment à mettre à l’actif des progrès réalisés dans le domaine des traitements. Particulièrement pour ce qui concerne la prise en charge de la douleur, aujourd’hui quasiment considérée comme une spécialité à part entière. Il n’y a pourtant pas si longtemps, en juin 1997, des spécialistes français dénonçaient le fait qu’un cancéreux sur deux qui souffre ne soit pas traité pour la douleur ! Dans ce contexte, En 1998, le lancement du premier plan Kouchner contre la douleur produisit un effet de choc ! Depuis, l’idée fait son chemin. Les initiatives se multiplient un peu partout en France. La dernière en date est à mettre à l’actif du CHU de Nantes, qui a mis en place en novembre dernier un comité de lutte contre la douleur. Un taux de guérison passé de 20% à 45% en 25 ans ! Avant-gardiste, la démarche traduit la prise en compte, avec sérieux, d’un sujet longtemps tenu sous le boisseau. Alors qu’il est prééminent dans un grand nombre de domaines au premier rang desquels la prise en charge des cancers ! Avec 145 000 décès par an dans un pays comme la France, ces derniers représentent la première cause de mortalité prématurée. C’est-à-dire avant 65 ans. Ces données ne doivent pourtant pas nous faire oublier que les avancées thérapeutiques réalisées depuis 25 ans ont fait passer le taux de guérison de 20% à 45%, tous cancers confondus. L’objectif de survie atteint, les efforts se sont peu à peu concentrés ailleurs. Les soignants ont d’abord visé la «survie sans rechute» puis la qualité de la survie. Ce que l’OMS traduit par une formule très explicite, rappelant aux médecins – et aux politiques… - que nous devons tout faire pour «ajouter de la vie aux années, et non pas seulement des années à la vie.» Reste à savoir ce qui se cache derrière le concept éminemment subjectif de qualité de vie. Pour le Pr François Laffargue, «la qualité de vie c’est vivre aussi bien qu’avant la maladie mais forcément autrement, parce qu’on a appliqué certaines thérapeutiques qui vont modifier le schéma corporel, modifier pas mal de choses, notamment d’ordre psychologique et corporel.» Le traitement du cancer du sein reste la meilleure illustration des progrès réalisés ces dernières années. Le fait de retirer la glande mamaire - la mastectomie - était auparavant le traitement le plus souvent pratiqué. Aujourd’hui dans deux cas sur trois, il est possible de préserver le sein avec le même niveau de sécurité. D’une manière générale, la chirurgie est donc devenue de moins en moins mutilante. La radiothérapie aussi a bénéficié des nouvelles technologies. Quant à la chimiothérapie, elle a réalisé des pas de géant. La maladie de Hodgkin, les leucémies aiguës, les tumeurs de l’enfant, les cancers des os ou des tecticules sont désormais accessibles au traitement. Elle est aussi très utilisée comme approche complémentaire dans les cancers du sein, du colon ou de l’ovaire. La fatigue : un effet secondaire durement ressenti par les patients Mais les progrès techniques ne règlent pas tout. Les traitements sont encore trop souvent accompagnés d’effets secondaires plus ou moins durement ressentis. Dans une étude publiée en février 2002 dans la revue américaine Cancer, le Français David Khayat et ses collaborateurs, du service d’oncologie de la Pitié-Salpêtrière à Paris, se sont intéressés aux dossiers de 100 malades. Ils ont comparé leur vécu du traitement avec les résultats d’un travail similaire réalisé aux Etats-Unis 20 ans plus tôt. Fréquemment cités dans l’étude américaine, nausées et vomissements ont disparu du classement des dix effets secondaires les plus souvent rapportés par les malades de David Khayat. En revanche, la fatigue est aujourd’hui l’un des effets secondaires qui revient le plus souvent. Alors qu’elle était peu citée il y a 20 ans. Ces résultats sont confirmés par ceux de «Parcours de femmes», une étude réalisée de février 2001 à novembre 2001 par l’Institut Louis Harris et Bristol Myers Squibb. Plus de 2 800 patientes et 104 médecins répartis dans 8 centres de lutte contre le cancer en France ont été interrogés. Pour François Laffargue, «cette étude a mis en chiffres ce que chaque praticien ressentait par ses consultations journalières. Manifestement les patientes ne se sentent pas assez soutenues psychologiquement après l’annonce du diagnostic et pendant la thérapeutique. Soutenues psychologiquement pourquoi ? Et bien, parce qu’on manque de temps. On le vit mal parce qu’on a toujours l’impression qu’on a donné le maximum de temps que l’on pouvait donner. La qualité de la vie commence dès l’annonce du diagnostic et ça, on ne nous apprend pas à le faire. Mais comment annoncer une maladie aussi grave ?» Des psychologues ou plus précisément des psycho-oncologues, ont ainsi fait leur apparition dans quelques centres. Mais ils sont encore trop peu nombreux à enrichir les équipes, déjà composées d’un ou plusieurs chirurgiens, radiothérapeute et chimiothérapeute. Résultat, ce travail d’écoute revient souvent aux infirmières, placées en première ligne. En France comme dans beaucoup d’autres pays, le combat pour la qualité de vie n’en est donc qu’à ses prémices. Car nous accusons un retard réel. «La prise de conscience peut être a été plus tardive qu’ailleurs», souligne le Pr Dubois. «Je crois que c’est la différence culturelle qui explique qu’on peut voir dans le développement de la psychologie et de l’approche du patient cancéreux, un certain retard en France par rapport à d’autres pays en particulier anglo-saxons.» WHOQOL : un outil à la disposition des soignants Est-ce à dire que devrait s’appliquer, à la qualité des soins, une nouvelle exception culturelle française ? Car les outils de mesure existent et sont disponibles. Depuis deux ans, l’OMS met à la disposition des praticiens un véritable outil de santé publique qui porte le nom disgracieux de WHOQOL, pour World Health Organization Quality of Life ou OMS qualité de vie. Cet outil est fondé sur l’utilisation conjointe d’une centaine de critères, notés de 1 à 100 et regroupés dans un questionnaire complet. Lequel peut être rempli au cours d’un entretien avec un professionnel ou, le cas échant, auto-administré par le patient. WHOQOL existe en une vingtaine de langues et justement, pour tenir compte au maximum de toutes les exceptions culturelles possibles, il a été développé à partir d’un échantillon de pays vraiment représentatifs. S’y retrouvent en effet des sociétés et des cultures aussi diverses que celles de l’Australie, la Croatie, la France, l’Inde, Israël, la Thaïlande ou le Zimbabwe… Méthodiquement, WHOQOL explore nos six espaces de vie les plus courants. En premier lieu la santé au sens physique du terme : état de fatigue, qualité du sommeil, bien-être physique... Puis la santé mentale et psychologique ( état d’esprit, image de soi…) et le niveau d’autonomie personnelle. Les relations sociales, l’environnement économique et social – accès aux soins, loisirs, transports – et même l’épanouissement spirituel. Mais dans la pratique, l’exploitation de ces questionnaires reste difficile. «Ces grands questionnaires de qualité de vie sont intéressants pour évaluer une équipe, nos méthodes, mais on peut pas le faire en permanence pour chaque patient», rapporte François Laffargue. «C’est excessivement compliqué, et puis… on n’aurait même pas le temps de les exploiter.» Entre ne pas avoir le temps et ne pas le prendre, la marge est parfois bien étroite… Le manque chronique d’effectifs hospitaliers trouve ici une traduction particulièrement douloureuse, qui frappe le malade dans son corps et dans son esprit. C’est une réalité incontournable : les outils existent mais nos soignants n’y ont pas toujours accès. Puisque la prise en charge des cancers est érigée en priorité de société, voilà un défi qui mérite d’être pris au pied de la lettre.
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