Ebola : les dommages collatéraux de la surveillance sanitaire
20 mai 2015
Le virus Ebola a une durée d’incubation de 21 jours au maximum. ©FrederickMurphy
Lorsqu’un cas de fièvre à virus Ebola est déclaré, la mise à l’isolement à domicile et la surveillance de toutes les personnes entrées en contact avec le malade sont établies. Un dispositif essentiel pour enrayer la propagation de l’épidémie. Mais qui n’est pas sans effets sociaux et psychologiques sur les populations concernées. Des chercheurs du projet EBSEN (Epidémie d’Ebola et production sociale de la confiance au Sénégal) ont mené une enquête sur l’impact des mesures de surveillance au Sénégal. Ce pays a déclaré un seul cas confirmé d’Ebola et mis en place le suivi de 74 personnes contact, parmi lesquels 40 agents de santé.
« Le dispositif de surveillance à domicile a été efficace (au Sénégal n.d.l.r.) », indique l’Institut de Recherche et Développement (IRD), associé à ce travail. « Mais contesté par la majorité des 40 agents de santé concernés. » En effet, au cours de l’épidémie, les professionnels de santé sont les plus exposés au risque de contamination. De ce fait, ils sont nombreux à avoir été maintenus à domicile pendant les 21 jours d’incubation du virus.
« Mal informés sur le risque et notamment l’absence de contagion avant l’apparition des premiers symptômes, ils ont considéré que la surveillance communautaire sacrifiait leur entourage, en l’exposant à une contamination en cas d’infection avérée », expliquent les chercheurs. En effet, confinés à domicile, ils restaient quand même en contact avec leur famille. « Ils ont vécu cette situation avec angoisse et ont parfois caché des informations à leur entourage pour ne pas l’affoler ou être sujets à la stigmatisation. » Toutefois, « l’empathie de l’équipe de suivi et le dispositif d’aide psychologique par téléphone leur ont permis de traverser cette épreuve », assurent les auteurs.
Des difficultés économiques immédiates
Autre conséquence indésirable de ce dispositif, la perte de revenus. Ainsi, « plusieurs personnes ont perdu leur source de revenus pendant leur mise en surveillance et certaines ne l’ont pas retrouvée ensuite », poursuivent-ils. « Ceci a perturbé leur vie quotidienne et leurs habitudes alimentaires, et remis en question des projet à long terme… » Dans tous les cas, les autorités ont fini par leur apporter un appui matériel, « mais de façon tardive et limitée. » C’est pourquoi, certaines personnes « ont été tentées de quitter leur domicile pour subvenir à leurs besoins », au risque de favoriser une propagation de l’épidémie en cas d’infection.
« Ces observations révèlent la nécessité de mettre en place un accompagnement psychosocial [pour ces personnes], afin de prévenir les tensions sociales dans leurs quartiers et favoriser leur réinsertion professionnelle », concluent les auteurs. D’autant que la confiance accordée au dispositif sanitaire est essentielle, notamment de la part des professionnels de santé. L’épidémie d’Ebola a montré à quel point « un sentiment de méfiance, amplifié par les médias, peut avoir des effets sociaux dévastateurs entretenant l’épidémie ». Ce fut le cas dans les pays les plus touchés, la Guinée, le Libéria et la Sierra Leone, par le biais de déni, de théories diverses sur l’origine de la maladie et par l’évitement du système de soins.
Au total, environ 25 000 cas, dont plus de 10 000 morts ont été victimes d’Ebola au cours de la pire épidémie de l’histoire de cette maladie.