Fallait-il tuer l’enfant Foucault ?
04 juin 2012
L’affaire de l’enfant Foucault nous replonge au cœur de la France rurale, en plein XIXè siècle. C’est l’histoire d’un accouchement qui a mal tourné. Celle aussi d’un médecin qui, appelé en urgence, sauvera la mère d’une mort certaine. Le bébé lui, naîtra vivant mais lourdement handicapé. Il s’en suivra un procès, le premier en obstétrique ayant débouché sur la mise en cause de la responsabilité médicale. « Il marque en fait, le vrai début de la « judiciarisation » médicale », nous confie le Pr Claude Sureau, professeur honoraire de gynécologie-obstétrique et membre de l’Académie nationale de médecine. C’est avec une réelle passion que cet ancien président de l’Académie, revient sur cette histoire hors-normes. Car ses conséquences sont plus que jamais visibles aujourd’hui, pratiquement 200 ans plus tard.
Longtemps, le Pr Claude Sureau fut à la tête de la maternité Baudelocque de l’Hôpital Cochin, à Paris. Il est également l’un des pères de la surveillance électronique fœtale. Il a consacré une part importante de sa carrière à cette histoire de l’enfant Foucault. Il en a même tiré un livre passionnant, malheureusement épuisé aujourd’hui. Son titre ne manque pas d’interpeler : Fallait-il tuer l’enfant Foucault ?
Nous sommes en septembre 1825, au lieu-dit la Jambière, à Flers de l’Orne en Basse-Normandie. Marie-Anne Foucault, 34 ans, vit ici dans une maison au toit de chaume, typique du coin. Son mari Pierre, est le boulanger du village. Ils élèvent ensemble, leurs 5 enfants.
Mme Foucault se prépare à accoucher de son sixième enfant. « Les cinq premiers accouchements se sont déroulés sans encombre », nous explique le Pr Sureau. « Elle est confiante ». Mais cette fois-ci, les événements ne vont pas se dérouler comme prévu. Une sage-femme est auprès d’elle, Mme Duchesnay. Elle a 72 ans. Dans son ouvrage, Claude Sureau s’interroge : « était-elle instruite ? Compétente ? » Vu son âge « elle avait dû faire ses études (…) quelque 50 ans plus tôt, vers 1775. Or à cette époque-là, quelle était la qualité de l’enseignement de l’obstétrique ? »
Un accouchement tragique. Ce jour de septembre donc, cette sage-femme se retrouve face à une patiente dont le bébé est en présentation transversale et non verticale. « Il s’agit d’une présentation par l’épaule », précise le Pr Sureau. Il poursuit : « Si elle avait été compétente, elle aurait pu verticaliser le bébé, sinon le mettre en siège. Il lui suffisait pour cela d’appuyer légèrement sur sa tête pour le faire basculer. C’est une manœuvre d’une extrême simplicité, d’autant que l’utérus de Mme Foucault était mou. Si elle l’avait réalisée, il n’y aurait jamais eu d’affaire Foucault ».
Elle ne l’effectuera pas… « Au lieu de cela, Mme Duchesnay va commettre une erreur gigantesque. Elle se met à titiller l’utérus, sans aucune raison valable. Elle va aussi opérer un toucher vaginal. Au bout du compte, son acte aboutit à la rupture des membranes. La poche des eaux est rompue, le liquide amniotique s’écoule… »
L’utérus alors, se moule autour du fœtus. Le Pr Sureau enchaîne : « Celui-ci est alors figé en position transversale. A partir de là, il devient très difficile de le mettre en position verticale ». Mme Duchesnay ne sait que faire devant cette « pauvre madame Foucault qui hurle de douleur et face à un risque infectieux très important ».
La situation est critique. La sage-femme fait appeler le Dr Frédéric Hélie. Voilà un vrai personnage de roman. Claude Sureau d’ailleurs, ne se lasse pas de le décrire. « Il est bien connu dans le coin pour avoir procédé à des dizaines d’accouchements. Il a d’ailleurs plutôt bonne réputation sur le plan technique. Mais il est aussi un brin condescendant, voire méprisant ». Il se déplaçait toujours à cheval, bottes aux pieds. C’est ainsi qu’il arrive chez Mme Foucault.
Sauver la mère… Ses premières paroles vont à la sage-femme : « Vous n’êtes qu’une conne. Vous auriez dû m’appeler bien plus tôt ». Pour lui, la situation est claire : l’enfant est mort. Il doit se débrouiller pour l’extraire et sauver la mère, menacée de septicémie. « A cette époque, on n’auscultait pas le cœur », ajoute le Pr Sureau. « Il ne pouvait pas imaginer une seule seconde que l’enfant puisse être vivant ».
Le médecin s’enduit alors les mains d’huile et de saindoux. Claude Sureau raconte la suite : « La situation est critique. Mme Foucault hurle. Le Dr Hélie essaie alors d’attraper un pied mais prend une main. Il la sort du vagin. Au bout d’un certain temps, il se décide à faire quelque chose qui peut être considéré comme abominable aujourd’hui, mais qui ne l’était pas tant que cela à l’époque ».
Il demande un couteau, désarticule l’épaule – ce qui témoigne « d’une remarquable maitrise gestuelle » – et… ôte le bras. Mais l’enfant est toujours bloqué. Il répète la manœuvre avec l’autre bras. Et… retire une main. Le bras cette fois-ci, est amputé au niveau du coude.
Soudain, un cri… Dans un bain de sang, « il refoule le moignon, atteint un pied, retourne l’enfant et l’extrait. Il est apparemment mort ». Le nourrisson est déposé dans un coin. Tout à coup, stupeur : il se met à crier. « On se précipite à l’église pour l’ondoyer, on pose des pansements au niveau de ses moignons. C’est le début de l’affaire Foucault », glisse Claude Sureau.
Le Dr Hélie, lui, n’a pas traîné dans les parages. Considérant qu’il avait fait son travail – il avait sauvé la mère et l’enfant, celui-ci au prix de mutilations – il est rentré directement chez lui, en ne se souciant guère du petit Victor, né doublement amputé. Il paiera très cher cette désinvolture.
Il sera en effet la cible d’un déchainement populaire effroyable. Comme le souligne le Pr Sureau, « il est considéré comme un mutilateur brutal, inconscient et incompétent. Sans compter qu’il n’a pas compris que tout cela pouvait déboucher sur la mise en cause de sa responsabilité ». Il faut dire qu’au début de ce XIXè siècle, il n’était pas courant d’attaquer son médecin. Et encore moins courant de le voir condamner.
Le procès s’étalera sur plusieurs mois. Il comptera pas moins de sept audiences au cours de l’année 1831, et trois autres en 1832. A cette occasion, « curieusement, la compétence de la sage-femme ne fut ni évoquée ni mise en doute », s’étonne encore le Pr Sureau. Le 16 mars 1832, accusé de n’avoir pu préserver l’intégrité physique de son patient, le Dr Hélie fut condamné à payer à l’enfant Foucault « à partir du jour de la demande, une rente viagère et alimentaire de 100 francs par an, jusqu’à ce que ledit enfant Foucault eût atteint l’âge de 10 ans. Puis de 200 francs par an pendant tout le restant de sa vie ».
Erreur ou faute ? Le Dr Hélie ne fit pas appel. A partir de ce jour de mars 1832, « le Dr Hélie disparut totalement de la circulation. Peut-être a-t-il pris un bateau pour les Amériques… personne ne sait ce qu’il est devenu », regrette le Pr Sureau. Celui-ci d’ailleurs, s’est rendu à La Jambière il y a quelques années, tel un enquêteur à la recherche de traces…. « J’ai même une photo de la maison où a accouché Mme Foucault. Au cimetière, il ya bien un M. Hélie, mais rien ne dit qu’il s’agit du fameux médecin ».
Quant à Victor, il survivra jusqu’à l’âge de 6 ans. « Nous ne disposons pas non plus de renseignements bien abondants sur son compte. Notamment sur son état neurologique », enchaîne le Pr Sureau.
Avec le recul, « cette histoire est également celle de la distinction ou de la confusion entre l’erreur et la faute. Hélie a commis l’erreur de croire que Victor était mort » écrit-il dans son livre. « Ce ne pouvait être une faute, au vu des connaissances de l’époque ».
Des médecins qui se couvrent. Cette affaire qui a bouleversé l’opinion, « fut surtout à l’origine d’un processus de réflexion judiciaire sur la responsabilité médicale. Celui-ci ensuite, s’est poursuivi tout au long du XIXè puis du XXè siècles ». Et encore aujourd’hui. Et pour cause, elle fait évidemment penser à l’affaire Nicolas Perruche, qui s’est déroulée en France au cours des années 1990-2000. Cet enfant était né gravement handicapé, alors que sa mère âgée de 26 ans seulement, avait contracté en cours de grossesse, une rubéole non diagnostiquée.
Pour Claude Sureau, « c’est bien Hélie qui a annoncé ce désir de couverture du corps médical et sa déresponsabilisation. La mise en cause de la responsabilité médicale conduit les médecins à se défausser. A dire : ‘je me couvre’ en prenant des assurances et en informant le patient. Ceci est parfaitement légitime mais jusqu’où peut aller cette information ? ‘Je me couvre’, cela signifie également : je ne fais peut-être pas l’acte que dans d’autres circonstances, j’aurais été amené à faire. C’est une évolution tragique que la loi, celle de mars 2002 pour ne pas la citer, n’a pas résolu »
Il ajoute : « il est vrai que si l’on ramène au nombre d’actes que pratiquent un médecin tout au long de sa carrière, il y a finalement peu de procédures. Mais quand il y en a une… C’est à un tel point qu’aujourd’hui je m’interroge parfois : si j’avais 25 ans, ferais-je ce métier ? ».