« La peur de l’eau, ce n’est pas inné »
28 juillet 2020
Partir en vacances à la mer, mais ne pas oser s'en approcher. Choisir une maison avec piscine, mais craindre de s'y baigner. Si ces émotions vous parlent, si la vue ou la pensée de l'élément liquide vous mettent dans tous vos états ou vous paralysent, il est possible d'y remédier. En douceur et en sécurité.
Pourquoi ai-je peur de l’eau ? Est-il possible de se débarrasser de cette frayeur ? Oui, répond sans hésiter Jean-Pierre Boumati, cofondateur d’une méthode qui fait se preuves : « Le Pied dans l’eau ». Maître-nageur sauveteur formé en psychopédagogie, il accompagne depuis près de 40 ans des adultes qui ont développé une véritable peur de l’eau, mais qui souhaitent malgré tout découvrir ou retrouver le plaisir de s’abandonner dans l’élément liquide. A l’heure des vacances au bord de la mer ou de la piscine, il donne quelques conseils.
Destination Santé : D’où vient la peur de l’eau ? Que vous disent les participants à vos stages ?
Jean-Pierre Boumati : Un stagiaire m’a raconté que quand il était petit, il n’allait jamais à moins de 50 mètres de la mer. Sa grand-mère lui serrait fort la main et disait : « la mer prend, elle ne rend jamais ». Cette transmission de la peur par les adultes était courante en Bretagne ou en Normandie, et aujourd’hui encore dans les DOM-TOM où beaucoup d’adultes ne savent pas nager parce qu’on leur a fait peur quand ils étaient petits. Autre « classique » : les enfants poussés à l’eau par leur maître-nageur pendant un cours de natation. On fait fi de la souffrance de l’enfant, qui croit qu’il va mourir. Ce n’est pas systématique mais cela peut créer des traumatismes et perturber la relation de confiance avec l’adulte. Ces pratiques existent encore. Il y a enfin, même si c’est plus marginal, des personnes qui étaient à l’aise dans l’eau et qui ont perdu cette capacité à la suite d’un choc émotionnel pas nécessairement lié à l’eau. Dans tous ces cas de figure, on voit bien que la peur de l’eau n’est pas innée.
Destination Santé : Quelle est votre méthode pour permettre à ces adultes de découvrir ou retrouver le goût de l’eau ?
Jean-Pierre Boumati : Elle consiste avant tout à faire prendre conscience à ces personnes qu’elles peuvent flotter. L’immense majorité est convaincue du contraire, ce qui traduit une énorme carence de perception de la réalité. Elles pensent que pour flotter, elles ont besoin d’effectuer les gestes techniques de nage. Alors qu’il suffit d’avoir l’ensemble du corps et la moitié de la tête immergés dans l’eau ! Nous apprenons donc l’immersion à nos stagiaires, le plaisir de mettre son visage sous l’eau, d’ouvrir la bouche… pour qu’ils puissent sentir qu’ils flottent. Ensuite, ils découvrent comment s’allonger et se redresser calmement, d’abord où ils ont pied. Puis le passage du ventre au dos, plonger pour aller chercher un objet… Et, à la toute fin seulement, les techniques de nage.
Destination Santé : Que conseiller aux personnes qui souhaiteraient se lancer pendant leurs vacances, et à celles qui les accompagnent ?
Jean-Pierre Boumati : Il faut avant tout se respecter et se sécuriser le plus possible. On commence par s’acheter des lunettes de natation pour voir la zone où on a pied, ce qui s’approche de nous, etc. On reste dans la zone où on a pied et on s’immerge, on se laisse flotter, pourquoi pas en restant à côté de l’échelle si on est dans une piscine. Si on veut s’y accrocher, la main doit être sous l’eau sinon l’immersion ne peut pas fonctionner. Et on lâche quand on se sent en confiance. Si quelqu’un nous accompagne, il faut de l’empathie, de la patience et du respect. Il n’y a rien de pire que le conjoint qui pense régler le problème en 5 minutes. Quand une personne a peur, elle résiste.
Destination Santé : Vous dites que vos stagiaires ne sont pas aquaphobes…
Jean-Pierre Boumati : Les personnes qui sont réellement phobiques ne viennent pas nous voir, car elles sont dans une stratégie d’évitement caractéristique. Il s’agit au contraire d’adultes profondément attirés par l’eau. Malgré ce qu’ils ont pu vivre de traumatisant ou d’humiliant 20 ou 30 ans auparavant, ils veulent reprendre contact avec cet élément. C’est une démarche éminemment thérapeutique : nous sommes tous nés dans l’élément liquide, la charge émotionnelle est donc considérable ! Beaucoup de stagiaires évoquent un regain de confiance en eux lorsqu’ils ont dépassé cette peur de l’eau. Et aussi le plaisir de se laisser porter. Certains nous sont adressés par des psychiatres.
Destination Santé : Que conseillez-vous aux parents qui voudraient inscrire leurs enfants à des cours de natation mais redoutent des méthodes traumatisantes ?
Jean-Pierre Boumati : Il faut qu’ils soient sélectifs. Le mieux, s’ils le peuvent, c’est d’assister à une séance et d’observer le maître-nageur. S’il est souriant, aimable, positif, fait preuve d’attention, d’empathie, et s’il est lui-même dans l’eau pour sécuriser ses élèves, c’est bon signe. On peut aussi se rapprocher des maîtres-nageurs qui s’occupent des bébés nageurs.
A noter : Les stages « Le Pied dans l’eau » reprendront mi-septembre, à Paris.
-
Source : Interview de Jean-Pierre Boumati, cofondateur de l'association « Le Pied dans l'eau », le 29 juin 2020
-
Ecrit par : Charlotte David - Edité par : Emmanuel Ducreuzet