Le retour à l’école se prépare maintenant
28 avril 2020
C'est ce mardi que le Premier ministre doit présenter aux députés son plan de déconfinement. Sauf surprise, il devrait confirmer que les élèves reprendront progressivement le chemin de l'école à partir du 11 mai. Une rentrée loin d'être anodine qui doit se préparer dès maintenant, selon Aline Nativel Id Hammou, psychologue clinicienne, spécialiste de l’enfance, de l’adolescence et de la famille.
Destination Santé : Comment vos jeunes patients appréhendent-ils le retour à l’école ?
Aline Nativel Id Hammou : En téléconsultation, j’ai principalement des ados et la grande majorité est ravie d’y retourner, surtout pour retrouver les copains. Certains ont déjà préparé leur sac, savent quelle tenue ils vont mettre, comme pour une rentrée classique. Ils sont très contents de retrouver la liberté, mais ils sont conscients qu’individuellement, il faudra maintenir la vigilance et continuer d’observer les gestes barrière. Le principal risque, c’est l’effet de groupe, le côté pulsionnel qui peut générer de la perte de prévention et qui angoisse déjà certains parents. Ils ont peur du relâchement de leurs ados une fois qu’ils seront de retour au collège ou au lycée.
Destination Santé : Et les autres ? Ceux qui ont peur ?
Aline Nativel Id Hammou : Chez les enfants et adolescents qui présentent déjà un trouble anxieux, antérieur ou en réaction à la crise sanitaire, on observe déjà des stratégies dans la perspective du déconfinement. Certains élaborent des stratégies d’évitement, anticipent qu’ils vont faire des crises d’angoisse pour qu’on ne les oblige pas à retourner à l’école… Il faut savoir que l’enfant anxieux rationalise tout, il intellectualise des faits qui vont alimenter son trouble. Il dit : « Il n’y pas de vaccin, il n’y a pas de traitement, les scientifiques ne sont pas d’accord entre eux… » et il a raison ! C’est à l’adulte d’avoir une réponse adaptée. Il faut s’y préparer dès maintenant pour alléger la peur, et ne pas attendre le dernier moment. Une peur infantile ne disparaît pas comme ça.
Destination Santé : Quelle peut être cette réponse ?
Aline Nativel Id Hammou : Il ne faut surtout pas nier sa peur, et lui dire : « tu as raison, mais des choses existent pour se protéger du virus ». J’ai par exemple parlé à une jeune fille de 12 ans qui a déjà prévu de mettre dans son sac 5 bouteilles de gel hydroalcoolique, 5 masques et 3 tenues différentes pour pouvoir se changer à l’école. J’ai conseillé à ses parents de la laisser faire. Parce que les enfants anxieux ont besoin d’être dans le contexte stresseur pour se rendre compte qu’ils n’ont pas un comportement adapté. Ils vont ensuite rationaliser, objectiver… et adapter ce comportement. On peut aussi les laisser partir à l’école avec un « objet talisman » qui rassure, qui sécurise, et qui ne dérange personne. Il est d’ailleurs probable que le jour de cette « rentrée », tous les enfants seront un peu stressés par la situation. S’ils ont besoin d’avoir avec eux une certaine tenue, un bijou, un vieux doudou qu’ils avaient abandonné… Là aussi, il faut laisser faire, car l’objet leur permettra d’être dans l’illusion du contrôle, de parer à l’imprévisible. Repartir à l’école est plus important que ce que l’enfant utilise pour se donner du courage.
Destination Santé : Et les parents, comment envisagent-il cette reprise de l’école ?
Aline Nativel Id Hammou : Beaucoup se laissent encore du temps pour réfléchir car ils ne savent pas encore quoi décider. Si un enfant interroge un parent là-dessus, il faut dire son incertitude car ça le sécurise de savoir que ses parents aussi ne savent pas. Lui répondre : « A ce stade, je ne sais pas. Ton école ne sait pas comment ça va se passer, le gouvernement réfléchit, les instances scientifiques ne sont pas d’accord entre elles… Je sais que tu veux retourner à l’école, j’ai envie de te faire plaisir, mais le Covid est encore là donc en tant que parent, j’ai un peu peur pour toi, pour la famille. Même moi, par rapport au travail, je ne sais comment faire ». Se montrer irritable, agressif ou mal à l’aise parce qu’on est soi-même angoissé par le sujet, c’est contribuer à alimenter les pensées négatives de l’enfant, jusqu’à lui faire penser que c’est lui le problème. Alors que le problème, c’est l’adulte qui ne parle pas.
Destination Santé : Pour certains parents, cette décision est un véritable cas de conscience…
Aline Nativel Id Hammou : Beaucoup acceptent sans problème que ce retour, « sur la base du volontariat », relève de leur responsabilité, parce qu’ils estiment que c’est leur rôle. Pour d’autres, ceux qui ont peur mais qui seront obligés de renvoyer leurs enfants à l’école parce qu’ils n’ont pas le choix, ce sera peut-être plus compliqué. Ils risquent d’être très précautionneux, d’appeler sans cesse leurs enfants… Ils risquent de faire exploser leur niveau de stress. Or, on doit être dans la vigilance, sans tomber dans l’hypervigilance.
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Source : Interview d'Aline Nativel Id Hammou, psychologue clinicienne, spécialiste de l’enfance, de l’adolescence et de la famille, réalisée le 27 avril 2020
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Ecrit par : Charlotte David - Edité par : Emmanuel Ducreuzet