Radioactivité en mer : pourra-t-on encore consommer du poisson ?

06 avril 2011

C’est une évidence mais on l’oublie un peu facilement : la pollution radioactive affecte aussi les océans. Il n’est donc pas surprenant que l’Institut de Radioprotection et de Sûreté nucléaire (IRSN) signale « une forte contamination du milieu marin par divers radionucléides rejetés lors de l’accident survenu dans la centrale nucléaire de Fukushima-Daiichi ». Les taux de radioactivité observés seraient même plusieurs millions de fois supérieurs à la normale, dans la zone affectée. Que va-t-il advenir de cette pollution ? Va-t-elle persister durablement dans les fonds marins ? Cette contamination concerne-t-elle les poissons et les autres espèces marines ? Et enfin, faudra-t-il cesser de consommer des produits de la mer ?

« Bien sûr, les espèces marines présentes dans la zone de Fukushima vont être contaminées », souligne Dominique Boust, directeur du Laboratoire de Radio-écologie de Cherbourg-Octeville, dans la Manche. Et cette contamination se développera aussi longtemps que des éléments radioactifs seront rejetés dans l’eau de mer. « Pour le moment, il est difficile de quantifier l’importance de cet impact, car on n’a pas encore pu évaluer la source même de la contamination », souligne Jean-Marc Peres, responsable de la surveillance de la radioactivité dans l’environnement à l’IRSN.

En effet, les sources de contamination sont multiples. « Elle est constituée en partie des eaux utilisées pour refroidir le cœur du réacteur, entrées en contact avec tout le cocktail de radioéléments de celui-ci », explique cet expert. Une seconde source de pollution provient du panache atmosphérique lui-même, poussé vers la mer par les courants aériens. La contamination des eaux de mer trouve enfin une dernière origine dans le transfert par les rivières, des polluants déposés au sol à la suite des rejets atmosphériques, puis lessivés par la pluie. « Cette accumulation peut se poursuivre très longtemps, même après que les rejets auront été interrompus », ajoute Jean-Marc Peres.

Des concentrations variables selon les espèces

Dans l’océan, toutes les espèces animales et végétales ne concentrent pas les radionucléides de la même manière. « Leur capacité d’accumulation dépend du radionucléide ET de l’espèce », précise Dominique Boust. « Des phénomènes d’accumulation dans les espèces vivantes pourraient conduire à des concentrations supérieures à celles que l’on a mesurées dans l’eau. » Et ces différences pourraient aller « d’un facteur 10 à un facteur de quelques milliers, selon le radionucléide et l’espèce considérés », souligne l’IRSN.

« Par exemple, une exposition à 1 Becquerels par litre d’iode 131 dans l’eau peut entraîner une concentration de 10 à… 100 Bq/kg dans un poisson », précise Jean-Marc Peres. Pour ce radionucléide dont la demie-vie est de 8 jours à peine, elle pourrait toutefois décroître en quelques mois. Mais pour d’autres éléments comme le <a href="https://destinationsante.com/IMG/pdf/CS137SAN(1).pdf” target=”_blank”>césium 137 dont la demie-vie est de 30 ans, le problème se posera sur le long terme…

« Ces phénomènes d’accumulation sont de nature à justifier la mise en place de programmes de surveillance radiologique », note l’IRSN. Les zones géographiques à étudier, tout comme les espèces végétales et animales entrant directement ou indirectement dans la chaîne alimentaire humaine, doivent toutefois encore être déterminées. Les experts précisent en outre qu’« une attention particulière devra être apportée aux installations aquacoles (algues, mollusques et poissons) situées sur le littoral proche de la centrale nucléaire ».

Dans toutes les mers du globe ?

Quel risque y aura-t-il à présent à consommer du poisson pêché dans le Pacifique, comme le saumon sauvage ? « Avec le temps de transfert des masses d’eau, la dispersion et la dilution des éléments dans l’océan, les concentrations radioactives devraient être, selon nos estimations, très faibles dans les espèces marines situées à distance », explique Jean-Marc Peres. De plus, « les espèces mobiles sont naturellement exposées pendant une période plus courte que les sédiments et les algues, à la pollution radioactive », ajoute Dominique Boust.

Les spécialistes estiment à environ 10 ou 15 ans le temps nécessaire pour que l’eau de mer transfère la pollution du Pacifique nord-ouest à la zone équatoriale. Par ailleurs, une partie des eaux du Pacifique nord passe dans l’océan Indien en traversant les mers indonésiennes… avant d’être transportée vers l’Atlantique sud. La période de transfert est alors estimée à 30-40 ans environ. « Lorsque les différentes sources de rejet en mer seront mieux évaluées, les simulations de dispersion marine devraient permettre d’améliorer l’estimation de l’évolution à moyen terme des concentrations en radionucléides », ajoute l’IRSN. Les inconnues sont donc encore nombreuses…

  • Source : Institut de Radioprotection et de Sûreté nucléaire (IRSN), 4 avril 2011 ; Interview de Dominique Boust, directeur du laboratoire de radio-écologie de Cherbourg-Octeville de l’IRSN, 6 avril 2011 ; Interview de Jean-Marc Peres, responsable de la surveillance de la radioactivité dans l’environnement, IRSN, 6 avril 2011

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