Suis-je normal, docteur ?
21 mars 2012
Qui est normal ? Cette question était au cœur des débats des Journées annuelles d’Éthique qui se sont tenues en janvier à Paris. En termes de santé, peut-on vraiment définir une normalité ? Et comment l’établir ? Le Pr Alain Grimfeld, pédiatre et président du Conseil consultatif national d’Éthique pour les Sciences de la Vie et de la Santé, a dessiné pour l’Agence de Presse Destination Santé, les contours d’une notion souvent difficile à cerner.
« Il existe bien évidemment une normalité en santé. Elle s’entend dans un premier temps au plan statistique », explique le Pr Grimfeld. En clair, un être humain est normal au regard de la médecine, lorsque ses constantes biologiques et comportementales se situent dans une moyenne. Encore celle-ci est-elle prise en compte après addition ou soustraction de marges, d’écarts types, nous précise-t-il. Par exemple, la valeur normale à jeun de la glycémie (le taux de sucre dans le sang) est comprise entre 0,80 gramme et 1,10 gramme par litre de sang. Un individu dont la glycémie sera située dans cet intervalle sera donc considéré comme ayant un taux de sucre dans le sang normal. Il en va de même pour toutes les autres constantes biologiques, comme le taux de graisses dans le sang, la tension artérielle, le pouls ou la concentration du sang en oxygène. « En tant que médecin, ces éléments nous permettent de nous repérer, et de déceler des états anormaux relevant de la pathologie ».
Mais pour autant, être malade ou blessé fait-il de nous pour autant, des êtres… anormaux? Evidemment pas. « La pathologie est un état anormal de la santé. Ce qui n’induit pas forcément que l’individu soit, en lui-même, anormal », rectifie Alain Grimfeld. L’objectif est alors pour le praticien, de permettre le retour du malade à un état normal. « Lorsqu’un patient s’est fracturé une jambe, l’anomalie est temporaire, et le retour à la normal est total dès lors que la fracture est consolidée ». Qu’en est-il des patients souffrant de maladies chroniques ? « Les diabétiques par exemple, sont dans un état anormal permanent de régulation des sucres. Le médecin doit aider dans ce cas son malade à maintenir un équilibre, et le ramener à un état biologique de base « normal » s’il en est sorti, mais le trouble « métabolique » persistera sous-jacent », souligne-t-il.
Vers une nouvelle normalité ?
Une fracture peut-être réparée par la chirurgie et/ou l’immobilisation, une maladie sera soignée avec des médicaments ou d’autres traitements… Plus les connaissances et les techniques médicales évoluent, plus les scientifiques proposent d’atteindre une nouvelle normalité. « Pour vous donner un exemple, il y a 25 ans on considérait que la tension artérielle était normale lorsqu’elle ne dépassait pas 16/9 », explique le Pr Grimfeld. La pression systolique est alors de 160 millimètres de mercure (mmHg). Et la diastolique de 90mmHg. « Des années plus tard, il a été considéré qu’elle devait être inférieure à 14/8. Aujourd’hui, au-dessus de 12/7 elle n’est plus considérée comme normale », raconte le Pr Grimfeld. « Que faire alors des patients qui présentent une tension de 16/9 aujourd’hui ? Sont-ils pour autant devenus anormaux et doit-on tous les traiter ? », s’interroge-t-il face à ce changement de critères de normalité en santé.
Ainsi, « certains laboratoires vont plus loin et orientent leur recherches vers le traitement de… la vieillesse ». Il s’agit de lutter contre la maladie et de repousser la mort. Certains scientifiques estiment d’ailleurs qu’il sera bientôt possible, grâce aux avancées médicales, de faire vivre un être humain plus de… 150 ans. « Ils souhaitent se diriger vers une nouvelle normalité », explique le Pr Grimfeld. , « l’objectif étant de dépasser le seul soin, et d’atteindre l’homme « augmenté ». Ainsi, un enfant qui souffre d’une pathologie de la croissance peut, dans certains cas, être traité par des hormones de synthèse. « Mais lorsqu’un enfant est petit sans pour autant être atteint de perturbation notamment hormonale, il est considéré comme normal au regard de la médecine. Pourtant, certains parents le perçoivent comme anormal par rapport à la majorité des enfants de son âge. Il s’agit alors d’une anormalité perçue, sans fondement scientifique. Le traitement expose alors l’enfant à un risque d’effets indésirables, sans raison objective de santé », conclut-il.
Ainsi la normalité peut-elle devenir une question purement subjective, qui ne doit plus rien à la rigueur scientifique. Elle en appelle alors, à la responsabilité de chacun…