Accès aux médicaments : l’affrontement des inconciliables?

28 mai 2003

A la veille du Sommet du G8 qui va rassembler, à quelques kilomètres de là, les dirigeants les plus riches de la planète, l’ambiance est curieuse au Palais des Nations de Genève. Car l’agenda coince. La question qui fâche ? Celle de la « propriété intellectuelle » des médicaments.

Une formulation purement diplomatique, qui recouvre la question de la possibilité pour les pays pauvres, d’accéder à des médicaments génériques produits localement à des prix… locaux. Inscrite à l’ordre du jour de samedi dernier, la question avait été repoussée à ce lundi : le Brésil et les Etats-Unis, isolés dans un face-à-face tendu auquel les autres délégations à leur grand dam’ n’étaient pas conviées, peinaient à s’accorder…

Mais ce lundi, point d’accord. Ni le matin, ni même le soir venu. On était loin à Genève, des déclarations faites à la veille de Doha. L’OMS saluait alors « une occasion historique de veiller à ce que l’Accord sur les aspects des droits de propriété intellectuelle qui touchent au commerce (ADPIC) ne barre pas l’accès aux médicaments indispensables, notamment dans les pays les plus démunis. »

Après le malencontreux procès de Pretoria sur les médicaments de l’infection à VIH, après Seattle où les Seigneurs du commerce mondial tendaient à considérer la santé comme un débat accessoire, l’OMS avait fini par faire entendre sa voix… et celle des malades ! Mais le veto américain, posé à la dernière réunion de l’OMC, le 20 décembre dernier à Genève, face au consensus de 141 pays, semble perdurer.

La situation va-t-elle se débloquer ? Les producteurs potentiels s’y disent déterminés. Bon nombre de pays développés aussi mais… jusqu’où ira leur résolution ? Aujourd’hui, un être humain sur trois n’a toujours pas accès aux médicaments essentiels. L’OMS rappelle en toute occasion que « l’accès aux soins est un droit universel (qui) implique l’accès aux services de santé, à la prévention, aux soins, aux traitements, au soutien et, bien-sûr, aux médicaments indispensables. »

30 années de salaire moyen!

Ce mardi matin, les acteurs ont jeté les masques en réunion de commission. Deux conceptions se sont affrontées toute la matinée : l’une soutenue par les Etats-Unis qui affirment la primauté des droits industriels et temporisent l’adoption d’une ligne politique définitive ; et l’autre qui au contraire, va jusqu’à nier le bien-fondé de l’existence des brevets face à des malades qui représentent une menace globale. Cette deuxième approche, menée par le Brésil, est soutenue par un très grand nombre de pays.

Malgré l’intervention de la France et de l’Italie qui ont demandé la mise en place d’un groupe de travail permettant d’aboutir dans la journée à un accord sanctionné par un vote, l’avenir immédiat demeure très incertain.

En attendant, comme le soulignait le réprésentant du Zimbabwe, dans ce pays, « 2 500 malades meurent chaque semaine d’une maladie liée au VIH, faute d’accès aux soins. Si nous retardons l’adoption d’une résolution, nous aurons une attitude inacceptable et contraire à l’éthique. » Une position partagée par tous ces pays où comme en Bolivie par exemple, « le traitement d’un cas de VIH-SIDA quand il est disponible, coûte l’équivalent de 30 années de salaire moyen ! » A la veille de Sommet d’Evian que d’aucuns voudraient marquer au sceau de la solidarité mondiale, voilà un blocage qui prend tout son sens.

Dernière minute : accord sur l’accès aux médicaments

Après une ultime négociation marathon, les membres du groupe de travail spécialisé de l’OMS sur les droits de propriété intellectuelle sont parvenus à un texte consensuel de résolution qui vient d’être adopté par l’Assemblée mondiale de la Santé à Genève. Il garantit l’accès des plus démunis aux médicaments dans des conditions qui respectent « les principes fondamentaux de la santé publique et des valeurs sociales. » Si les délégations brésiliennes et celles qui soutenaient l’un des projets en lice ont renoncé à leurs exigences les plus extrêmes et notamment à la négation du principe des brevets en situation d’urgence, la délégation américaine, en retour est convenue qu’il était justifié de reconnaître « que les nouveaux médicaments, innovations de santé et découvertes présentant un potentiel thérapeutique devaient être rendus disponibles de manière universelle et sans discrimination ».

Les bons offices des pays de l’Union européenne et de la Commission des communautés européennes paraissent avoir été déterminant dans ce succès. Le nouveau texte met un terme à un affrontement qui, aux Etats-Unis, opposait pratiquement l’ensemble des Amériques latine et centrale, les pays africains et la Thaïlande. Il garantit surtout l’engagement de la communauté internationale dans la voie d’une accessibilité élargie aux soins pour des centaines de millions de malades démunis.

  • Source : de nos envoyés spéciaux à Genève, 26 mai 2003

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