Alcool et grossesse : l’information passe mal

06 décembre 2011

« La recommandation d’abstinence alcoolique pendant la grossesse n’est toujours pas comprise comme devant être absolue ». C’est l’un des constats pour le moins navrants de la sociologue Stéphanie Toutain (Université Paris Descartes), au terme d’un travail qu’elle vient de mener auprès de plusieurs dizaines de femmes enceintes. A cette occasion en effet, elle a recueilli et analysé les verbatim de 35 femmes enceintes, échangeant sur des forums internet. Elle en tire des conclusions inquiétantes sur l’efficacité des campagnes de prévention et d’information…

Zéro alcool…. Bien des femmes enceintes (33% de celles qui ont été ainsi suivies) considèrent en réalité que le message de prévention « Zéro alcool » pendant la grossesse est destiné… aux alcooliques. « Elles s’autorisent en conséquence quelques écarts de temps à autre », explique Stéphanie Toutain. C’est ainsi que Karine, 26 ans, écrit sur un forum : « quelques gorgées, un fond de verre, pas de quoi être saoule ». Quant à Caroline, elle avoue s’octroyer parfois « une bière légère à l’apéro ou un verre de vin ». Ces « petites » consommations se constatent le plus souvent chez les femmes qui ont un niveau d’études secondaires ou supérieures, et/ou lorsque leur propre mère consommait de l’alcool pendant ses grossesses.

… pendant toute la grossesse. Pour notre sociologue, les échanges qui se déroulent sur les forums illustrent à quel point les futures mères manquent de repères scientifiques. Elles estiment ainsi que le premier mois de grossesse est une période dénuée de risque… « Les premières semaines, Bébé n’est pas relié à maman par le cordon ombilical » écrivent certaines d’entre elles. Et en la matière, le plus grand flou scientifique règne. Les informations dispensées par les gynécologues « ne semblent toujours pas homogènes ». Or les risques liés à la consommation d’alcool sont tout aussi élevés en début qu’en fin de grossesse.

Où sont les gynécos ? « Les recommandations des professionnels de santé sont peu présentes dans les discours des internautes », explique Stéphanie Toutain. « La majorité d’entre elles ont évoqué soit l’absence de discussion avec leur gynécologue concernant la consommation d’alcool, soit… leur accord pour en consommer occasionnellement ». Les verbatim sont ici évocateurs : « il ne m’a pas interdit l’alcool mais conseillé de vivre normalement, sans abus » (Agnès) ; « ma gynéco me confirmait qu’un verre ne faisait pas de mal. Elle m’expliquait qu’on est obligé d’interdire complètement car il y a toujours des personnes qui ne savent pas être raisonnables » (Marine).

Allô maman. En réalité, la mère et, dans une moindre mesure la grand-mère, demeurent la source d’information de référence. Plus particulièrement pour les internautes des milieux les moins favorisés. « Au cours de ces discussions, plusieurs femmes ont évoqué le fait que leur propre mère consommait de l’alcool pendant ses grossesses. Et surtout, l’absence d’effets délétères (de cette consommation) sur le fœtus », précise Stéphanie Toutain. Résultat, elles sont très influencées par les recommandations de leurs aînées, se référant à leurs expériences pour justifier leur choix. « Ta mère, ta grand-mère n’avaient pas de consignes anti-alcool et on est loin d’être une population de malformées en France » (Laura).

Sensibiliser également les médecins. Pour l’auteur, l’ensemble de ces résultats illustre la nécessité de poursuivre le travail d’information. « De nouvelles orientations pourraient être données aux campagnes de prévention. Certaines devraient cibler les professionnels de santé, et les mères des femmes (qui sont) actuellement enceintes ».

C’est en effet plus qu’essentiel : retard de croissance, modification du périmètre crânien, troubles psychiques… Les effets de l’alcool sur l’enfant à naître sont réels et sont regroupés sous le terme de syndrome d’alcoolisation fœtale. Voilà pourquoi, pendant la grossesse, c’est zéro alcool ! A noter que le deuxième congrès international sur le SAF se tiendra les 15 et 16 décembre, à Strasbourg.

Aller plus loin : lire l’étude de Stéphanie Toutain sur l’alcool et la grossesse en France.

  • Source : Alcoologie et Addictologie, 2011 :33(3) : 197-204

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