Anticoagulants : la révolution en marche ?
10 décembre 2009
Changements de pratiques en vue ! Cette exclamation du Pr Noël Milpied (notre photo) – Service des Maladies du sang, CHU de Bordeaux Haut-Lévèque – traduit bien l’ambiance qui prévalait après que deux études majeures sur la prise en charge des thromboses veineuses aient été présentées au 51ème Congrès de l’American Society of Hematology (ASH). Et cela, aussi bien en phase aigüe pour prévenir un accident (infarctus myocardique ou cérébral, embolie pulmonaire…) qu’en phase chronique pour éviter les rechutes à distance.
L’enjeu il est vrai, est de taille. Comme l’a rappelé le Pr Sam Schulman (Université McMaster de Hamilton, au Canada), « aux Etats-Unis, pas moins de 2 millions de malades sont traités en permanence par la warfarine ». En France, ils seraient entre 600 000 et 800 000 dans ce cas, selon les estimations.
Cette anti-vitamine K (AVK) n’est rien moins aujourd’hui, que le traitement anticoagulant de référence au long cours…Efficaces donc, les AVK sont pourtant des médicaments contraignants, difficiles à manier. A eux seuls ils sont responsables en France, de 12,3% des hospitalisations pour accidents thérapeutiques. Administrés par voie orale, ils sont l’objet d’interactions médicamenteuses ou alimentaires. Leur utilisation suppose une observance très stricte et un suivi biologique minutieux, fondé sur de nombreuses prises de sang.
Deux nouvelles classes d’anticoagulants risquent de provoquer ces « changements de pratiques évoqués par le Pr Milpied. Ils diffèrent des AVK en ce qu’ils sont administrés par voie orale, et n’imposent ni régime ni suivi biologique particuliers. Et cela dans un profil de sécurité au moins aussi favorable semble-t-il, que les médicaments de référence.
Le dabigatran est le premier inhibiteur de la thrombine, qui joue un rôle central dans la formation des caillots sanguins. Au Congrès européen de Cardiologie de Barcelone il y a quelques mois, une étude sur 18 000 patients dans 44 pays, avait démontré son potentiel contre le risque d’accident vasculaire cérébral (AVC) ischémique, l’infarctus cérébral. A la Nouvelle-Orléans, son efficacité contre la thrombose veineuse aigüe – ou thrombophlébite- a été comparée à celle d’un traitement par AVK. Au total, 2 400 malades dans 6 pays –Allemagne, Canada, Etats-Unis, France, Pays-Bas, Royaume-Uni ont été suivis pendant 6 mois. Pour Sam Schulman, les résultats sont concluants. « Nous n’avons observé pratiquement aucune interaction médicamenteuse ni alimentaire, et l’observance s’est avérée plus facile pour les patients. L’efficacité thérapeutique à 6 mois est tout-à-fait comparable à celle de la warfarine, et les taux de saignement (un inconvénient fréquent des AVK, n.d.l.r.) ont été réduits. »
Autre nouveauté, le rivaroxaban s’oppose à un autre facteur de la coagulation parmi les 13 actuellement connus, le facteur Xa. Il est utilisé pour prévenir la thrombose dans les suites opératoires de chirurgie orthopédique. Or un travail coordonné par le Pr Harry R. Buller (Département des maladies cardio-vasculaires, Hôpital académique d’Amsterdam) a montré son intérêt dans la prévention à long terme des récidives de thrombophlébites.
La question qui se pose en effet, est de savoir comment éviter ces dernières après la première période de 6 mois de traitement anticoagulant. Elles affectent quasiment, 5% des patients chaque année. « Il y a plus de patients qui meurent d’embolie pulmonaire chaque année, que de victimes de cancers du sein, de la prostate et d’accidents de la route réunis… » Ayant ainsi « planté le décor », Harry Buller a rendu compte du travail qu’il a mené avec ses correspondants (dans 28 pays), en suivant près de 1 200 patients pendant 6 mois. La moitié ont été traités par rivaroxaban, l’autre moitié par un placebo. Et là encore les résultats sont parlants : baisse de 82% du risque de récidive, sans effets secondaires significatifs par rapport au placebo…