Armée : la vision des pilotes sous l’oeil des chercheurs de l’IRBA

25 mai 2016

Poser un hélicoptère tigre dans le désert ou sur un terrain montagneux, en pleine nuit. Mission impossible ? Pas pour les pilotes spécialisés de l’armée française. Mais les militaires, même les plus entraînés, ne sont pas des surhommes. Ils ne voient pas dans le noir. Alors, pour les aider à mener à bien leurs tâches, leur casque est équipé de capteurs de vision de nuit. Des dispositifs complexes qui modifient la perception de l’environnement. A l’Institut de Recherche Biomédicale des Armées (IRBA) basé à Brétigny sur Orge au sud de Paris, des équipes de scientifiques étudient le fonctionnement de l’œil humain et œuvrent à améliorer les dispositifs techniques militaires. Pour la sécurité des pilotes.

Les casques de certains pilotes d’hélicoptères militaires sont qualifiés d’équipements à réalité augmentée. Deux capteurs de vision de nuit étaient jusqu’en 2010 fixés à l’avant du casque pour être placés devant les yeux. Mais leur poids de plusieurs centaines de grammes les rendait handicapants. Les pilotes souffraient trop fréquemment de cervicalgies. C’est pourquoi, le fabricant a proposé de placer un capteur de chaque côté du casque. Les chercheurs ont été chargés d’étudier l’effet visuel de cette solution technologique.

Des yeux sur-écartés

Un nouveau problème se pose en effet. Avec ce nouveau dispositif « le système visuel humain fonctionne dans des conditions inhabituelles d’observation », explique Pascaline Neveu, chercheuse civile à l’IRBA. Tout se passe comme si l’on observait l’environnement avec des yeux sur-écartés. « La demande en vergence est augmentée », précise-t-elle. « Autrement dit, l’effort de convergence effectué par les muscles oculaires est plusieurs fois supérieur à la normale ». La vision de près s’en trouve altérée. Poser l’hélicoptère, par exemple, devient délicat pour le pilote. Il éprouve en effet des difficultés à évaluer précisément sa hauteur par rapport au sol dans les derniers mètres. Résultat, « il leur est difficile de se poser car le sol leur paraît plus loin par rapport à la réalité », poursuit-elle. Au début, « ils ont l’impression d’atterrir au fond d’une baignoire ». Ensuite, « le cerveau s’adapte à ces nouvelles conditions d’observation et la perception correcte des distances se rétablit. »

L’équipe de Pascaline Neveu étudie l’impact de cette sollicitation visuelle inhabituelle. « Nous essayons de comprendre le processus d’adaptation de la vision à ces contraintes mais aussi les impacts qu’elles peuvent entraîner », note-t-elle. « L’utilisation de ces capteurs peut notamment être une source de fatigue ou de maux de tête car ce phénomène n’est pas naturel pour l’œil ».

Y voir plus clair !

Dans un laboratoire voisin de celui de Pascaline Neveu, le Dr Stéphane Buffat, médecin en chef à l’IRBA, mène des recherches complémentaires. Il étudie en effet un autre aspect de la perception visuelle de nuit au travers du casque : les mécanismes perceptifs des formes.

Dans son laboratoire unique en France, les pilotes se retrouvent face à un écran géant. Dans l’obscurité totale, l’opérateur voit au travers de capteurs un environnement reproduit sous une forme de dégradés de verts. « Cette mise en situation très réaliste nous permet d’étudier les éléments de perception visuelle », explique-t-il. « La difficulté réside principalement dans le besoin de passer d’un capteur à l’autre sans cesse. » Du capteur infrarouge aux jumelles de vision de nuit. Entre l’amplification des photons résiduels dans l’environnement – le peu de lumière présente – et les sources de chaleur. Ces deux types de données sont complémentaires mais difficiles à distinguer au travers d’un œil humain non habitué.

Objectif : améliorer la capacité des pilotes à « lire » les images qu’ils voient au cours de leurs missions de nuit. « Pour qu’ils analysent ce qu’ils voient et puissent échanger sans erreur les informations sur ces mêmes images avec leurs collègues », poursuit-il. Enfin, « nos résultats ont pour vocation à inspirer des recommandations pour les pilotes eux-mêmes, mais aussi les constructeurs ». En ayant toujours à l’esprit que « notre mission, en tant qu’institut biomédical, est fondamentalement tournée vers la sécurité des opérateurs de défense », précise le Dr Buffat. « Eviter qu’un pilote ne s’écrase en se posant de nuit ou qu’un hélicoptère ne subisse un accident sur une ligne à haute tension », conclut-il.

  • Source : de nos envoyés spéciaux à l’Institut de Recherche Biomédicale des Armées, mars 2016

  • Ecrit par : Dominique Salomon - Edité par : Emmanuel Ducreuzet

Aller à la barre d’outils