Attend-on trop longtemps avant de consulter un sexologue ?

28 juillet 2022

Parmi les nombreuses idées reçues qui circulent autour de la consultation d’un sexologue, il y en a une qui a la vie dure : « lorsque l’on consulte un sexologue, c’est qu’il est déjà trop tard ». Pour démêler le vrai du faux, nous avons recueilli l’avis du Dr Francis Collier, ancien directeur du diplôme de sexologie à l’université de Lille et ancien président de la Fédération française de sexologie et de santé sexuelle.

Destination Santé : Est-il vrai que lorsque l’on consulte un sexologue, c’est qu’il est déjà trop tard ?

Dr Francis Collier : C’est une question compliquée. Ce qui est certain, c’est que dans la majorité des cas, lorsque l’on a un problème sexuel, on consulte tardivement. On ne sait pas à qui s’adresser, on a peur de se mettre à nu, au sens propre comme au sens figuré car il s’agit de révéler ses secrets les plus intimes. Cela déclenche des sentiments de honte, de culpabilité, des choses négatives… On peut comprendre qu’il est plus facile d’aller parler à un médecin de son cœur ou de ses genoux, que de parler de son sexe et de sa sexualité.

D.S. : L’examen clinique est-il systématique ?

Dr F.C. : Non. Chez le sexologue, on n’est pas toujours obligé de se déshabiller physiquement pour régler un problème sexuel. Ce qu’il faut savoir, c’est que si vous avez un fonctionnement mécanique satisfaisant mais que vous êtes mécontent de votre sexualité, vous pouvez consulter un sexologue.

D.S. : Quelles sont les autres raisons qui peuvent expliquer ces consultations tardives ?

Dr F.C. : Bien souvent, c’est parce que l’on s’accommode très bien du symptôme, en particulier si le conjoint a un symptôme concordant. Par exemple, un homme qui éjacule avant la pénétration ne consultera pas si sa partenaire n’a aucun intérêt pour la sexualité : leurs deux symptômes « s’entendent » très bien. Cela peut durer une éternité comme cela, jusqu’au jour où ils décident d’avoir un enfant. Ils consultent à ce moment-là, parce que cela commence à poser des difficultés.

D.S. : Ces réticences concernent-elles aussi bien les femmes que les hommes ?

Dr F.C. : Je dirais que la démarche est moins difficile pour les femmes : elles ont eu l’habitude de parler de leurs règles, de leurs cycles, de leurs grossesses, etc. à des gynécologues ou des sage-femmes, des professionnels spécialistes de cette partie du corps. Les hommes, eux, ne parlent pas souvent de tout cela, sauf sur le ton de la plaisanterie. De plus, « l’identité virile » et « l’identité féminine » ne sont pas les mêmes. Une femme qui consulte pour un problème sexuel ne se sentira pas forcément diminuée par le regard que l’on porte sur elle. Pour les hommes, encore aujourd’hui, c’est différent.

D.S. : Comment expliquez-vous la persistance de la croyance selon laquelle lorsque l’on consulte, il est en fait déjà trop tard pour le couple ?

Dr F.C. : Le travail d’un sexologue n’est pas de raccommoder les ménages ; sa compétence n’est pas liée au taux de couples qu’il a sauvés de la séparation. En réalité, on consulte quand on est mûr pour le faire. J’ai souvent entendu, au cours de ma carrière : « Si on avait su, on aurait consulté plus tôt ». Mais cela ne sert à rien de dire cela : si on avait fait la même chose plus tôt, on n’aurait pas eu la même efficacité de traitement. La vraie question, c’est : le problème sexuel est-il le seul du couple, qui par ailleurs fonctionne bien sur le plan social, familial, professionnel, etc. ? Ou est-il un épiphonème dans un contexte où rien ne fonctionne, où tout est sujet de conflit ? Dans ce dernier cas, il est effectivement plus compliqué de trouver une solution pour que le couple fonctionne bien à deux.

D.S. : Il n’y a donc pas de bon ou de moins bon moment pour consulter ?

Dr F.C. : Les thérapies de sexologie les plus rapides et les plus efficaces sont celles qui consistent à faire en sorte que les deux membres du couple se comprennent l’un et l’autre. Car le problème vient souvent du fait que ce que dit l’un est interprété par l’autre de manière erronée, et réciproquement. Parce qu’ils ne parviennent plus à se comprendre, ils ne sont donc plus sur la même longueur d’onde. Il suffit de leur réapprendre à s’écouter et se comprendre, et cela va très rapidement beaucoup mieux. Ce qui joue le plus sur la durée et la réussite d’une thérapie, c’est la capacité et la volonté de se remettre en question. Si les deux membres du couple le veulent et en sont capables, ils vont écouter avec objectivité ce que la tierce personne, le sexologue, a à leur dire, et cela ira alors très vite.

  • Source : Interview du Dr Francis Collier, ancien directeur du diplôme de sexologie à l’université de Lille et ancien président de la Fédération française de sexologie et de santé sexuelle - 15 juin 2022

  • Ecrit par : Charlotte David - Edité par : Emmanuel Ducreuzet

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