Briser les obstacles entre prévention et précarité
14 octobre 2015
©Phovoir
La France a mal à sa prévention et la douleur est particulièrement aiguë pour les plus précaires. D’autant plus, comme le confirme un récent sondage, qu’ils ont tendance à rogner sur les budgets alimentation, sport et santé, lorsque les fins de mois sont difficiles. Autrement dit les trois piliers de la prévention. Dans ces conditions, quels seraient les leviers pour améliorer l’accès à la prévention ? Une question complexe au cœur d’un colloque qui vient de se dérouler à Paris. L’occasion de faire remonter à la surface de nombreuses initiatives astucieuses mais aussi les sempiternelles contraintes de financement.
« Il faut veiller à ne pas descendre de la marche car il est bien plus difficile de remonter… » Cette phrase de François Soulage, Président du collectif ALERTE, a marqué les esprits des 200 participants du Colloque « Démocratiser l’accès à la prévention » organisé par l’Institut Pasteur de Lille et la Fondation PiLeJe, le 1er octobre à l’Assemblée Nationale. Comme une triste illustration de la problématique du trio santé- précarité- prévention…
Précarité ou pauvreté ? « Les inégalités de santé ont des origines multiples et elles conditionnent notamment l’accès à la prévention », a rappelé le Pr Jean-Michel Lecerf, chef du service nutrition de l’Institut Pasteur de Lille. « Il faut mobiliser nos efforts pour trouver les leviers du changement et éviter que les concepts de précarité et de santé précaire soient inexorablement accolés ».
Certes mais « encore faut-il savoir de quoi l’on parle », a expliqué François Soulage. L’ancien président du Secours catholique a d’emblée tenu à s’arrêter sur le mot précarité, trop souvent confondu, selon lui avec celui de pauvreté. Cette dernière est déterminée par un seuil (de pauvreté donc) qui se situe en France à 993€ par mois (60% du revenu médian) et par personne. Pour un couple avec deux enfants, il est ainsi de 2085€. Pour la grande pauvreté, le plafond est de 662€ par mois (40% du revenu médian).
Quant à la précarité, « elle est liée à une incertitude de conserver ou de retrouver une situation acceptable », poursuit-il. « C’est une instabilité. Nous ne savons pas de quoi demain sera fait. La tendance est donc de conserver sa modeste situation. Elle peut ne pas être durable. Mais avec la crise, les possibilités d’en sortir deviennent plus rares ». C’est pourquoi à ses yeux, « la question du reste à vivre est essentielle et se gère différemment selon l’endroit où l’on vit. L’enjeu est de ne pas la traiter globalement sur un mode statistique ».
Individualisme et responsabilisation. Rendus publics à l’occasion de ce colloque, les résultats d’un sondage IFOP/Fondation PiLeJe ne vont pas forcément rassurer François Soulage. « Nous avons demandé à un échantillon de Français ce qu’ils pensaient de la prévention santé et de son accès pour les précaires », a précisé Damien Philippot, directeur adjoint du département Opinions et Stratégies d’entreprises à l’IFOP. Résultat, ces derniers temps, 63% des interrogés ont dû resserrer le budget alimentation, 48% celui relatif à la pratique d’une activité physique et 47% à la santé.
Par rapport aux solutions liées à la prévention, 6 Français sur 10 jugeraient plutôt efficace le remboursement des activités physiques prescrites sur ordonnance pour certains patients. Dans le même temps, 47% d’entre eux considèrent que leur prise en charge est une affaire purement individuelle si ces activités ne font pas l’objet d’une ordonnance. Pour Damien Philippot, « nous nous orientons-là vers une volonté individuelle de prise en charge des frais de santé et de prévention. C’est une forme de responsabilisation individuelle qui semble se dessiner pour une part non-négligeable des Français ».
©Fondation Pileje
Pas de financements… La question est désormais de savoir si le projet de loi de financement de la Sécurité sociale (PLFSS) pour 2016 laissera une place à la prévention. Et traduira ainsi dans les faits, les volontés affichées dans le projet de loi de santé actuellement en débat parlementaire. Peu d’espoirs sont permis… Député PS de Haute-Garonne et rapporteur du PLFSS, Gérard Bapt évoque d’une part la difficulté de « l’évaluation médico-économique de la prévention ». Et d’autre part, le peu de perspective de financement public… « Nous sommes surtout concentrés à rechercher des économies… »
L’ancien ministre de la Santé Claude Evin appelle toutefois à « sortir de ce système de soins pour le déplacer vers l’évitement de la maladie. C’est un mouvement qui va demander du temps mais il faut le conduire ». Et pourquoi pas avec le secteur privé ? De nombreuses initiatives existent déjà. Directeur Santé d’AG2R La Mondiale, Philippe Quique a par exemple conduit des campagnes de prévention sur la carie du boulanger. Avec succès. A la tête du groupe Cerba European Lab, Catherine Courboillet travaille « depuis 3 ans avec un groupe de médecins sur la prise en charge du VIH ». Elle regrette toutefois qu’il soit « très compliqué de mettre en place des partenariats publics-privés ».
Novartis s’est engagé il y a quelques années en faveur de la proximologie. Cette dernière vise à s’intéresser aux aidants. « Problème : si intéressantes soient-elles, ces actions sont toujours considérées avec scepticisme car pilotées par des laboratoires », regrette le Dr François Pelen, ancien vice-président de Pfizer.
Ce colloque a permis de faire remonter à la surface de nombreuses initiatives conduites sur le territoire, à Paris, comme en Province. Notamment en matière de nutrition. A l’image des Bons Verts sur la commune de la Madeleine (Nord) pour faciliter l’achat de fruits et de légumes. Ou de Tous à Table, une association qui finance notamment des repas gastronomiques pour les plus précaires. Sans oublier des fondations d’entreprises comme celle de Décathlon qui œuvre sur l’insertion par le sport.
Des propositions. « Beaucoup de ces actions mériteraient d’être mieux connues », synthétise Jean-Michel Lecerf. « Pourquoi pas à l’aide d’une plateforme spécifique, un annuaire ? ». C’est d’ailleurs l’une des propositions qui émerge de ce colloque. Elles seront bientôt mises en ligne sur le site www.education-preventionsante.fr. Il ajoute qu’il « convient surtout de rendre la prévention plus positive à travers les messages délivrés. Facilitons aussi les partenariats publics-privés ». Il appelle encore à cibler les actions sur les populations concernées et éviter ainsi le saupoudrage. Un exercice plus compliqué qu’il n’y paraît. « Nos sociétés ne seront humaines que si elles ne laissent pas de côté les plus démunis », conclut-il. Un appel à tendre la main pour éviter la fameuse descente de marche…
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Source : Colloque « Démocratiser l’accès à la prévention », Paris, 1er octobre 2015 – Etude IFOP/Fondation PiLeJe réalisée auprès de 10002 personnes, échantillon représentatif de la population française de 18 ans et plus. Interviews réalisées par questionnaire en ligne, les 3 et 4 septembre 2015
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Ecrit par : David Picot – Edité par : Emmanuel Ducreuzet