Cancer colorectal : faudrait-il débuter le dépistage avant l’âge de 50 ans ?

28 mars 2025

Alors que Mars Bleu s'achève, la campagne de sensibilisation a rappelé l'importance du dépistage du cancer colorectal. Mais une question devient de plus en plus pressante, soutenue par un nombre croissant de publications scientifiques : faut-il abaisser l'âge du dépistage généralisé à 45 ans ? Certains pays ont déjà franchi le pas. Mais en France, ça n’est pas si simple, explique le Dr Frédérick Moryoussef (CHI de Poissy-Saint-Germain-en-Laye).

Le dépistage en population générale du cancer colorectal s’adresse en France aux personnes de 50 à 74 ans sans facteur de risque autre que l’âge, c’est-à-dire sans symptômes ni antécédents personnels ou familiaux de maladie touchant le côlon ou le rectum.

USA, Australie, le dépistage c’est dès 45 ans !

Aux États-Unis, depuis 2021, le dépistage du cancer colorectal chez les personnes – jeunes (de moins de 50 ans), débute dès 45 ans. En Australie, la même mesure a été prise en 2024. Ces décisions font suite à l’augmentation réelle de l’incidence du cancer colorectal chez les jeunes adultes dans ces pays. Fin décembre 2024, une étude a estimé que jusqu’à 15 % de ces cancers touchait des adultes de moins de 50 ans (contre 5 à 6 % en France). Cette tendance à l’augmentation du cancer colorectal du sujet « jeune » est aussi en train d’apparaître dans les pays en développement, notamment en Amérique latine et en Asie.

« En Europe, cette tendance semble en cours, notamment entre 20 et 35 ans, bien qu’elle soit moins marquée pour le moment, commente le Dr Frédérick Moryoussef, gastroentérologue et membre du conseil d’administration de la Société française d’endoscopie digestive (SFED). En France, l’augmentation de l’incidence du cancer colorectal chez les jeunes reste un sujet de débat.t Toutefois, les pays anglo-saxons étant souvent en avance sur les tendances épidémiologiques, il est très probable que cette augmentation touche également la France dans un futur proche. »

Une progression du cancer colorectal chez les plus jeunes

En Europe, une étude publiée en 2019 se basant sur les données de 143,7 millions de personnes vivant dans 20 pays européens, dont la France, a montré qu’entre 2004 et 2016, les cas de cancers colorectaux avaient augmenté de 7,9 % chaque année chez les 20-29 ans. Pour les 30-39 ans, une hausse de 4,9 % a été observée sur la même période. Et ceci sans qu’aucune explication scientifique claire ne soit identifiée. Bien que cette hausse soit observée dans la plupart des pays européens, des disparités existent.

« Les données récentes de Santé publique France montrent que l’incidence du cancer colorectal chez les moins de 50 ans est relativement faible et stable. Toutefois, on note une légère augmentation ces dernières années, bien moindre cependant que dans d’autres pays », souligne le Dr Frédérick Moryoussef

Quelle augmentation en France ?

L’agence française a en effet publié début mars 2025 les résultats d’une vaste étude épidémiologique (registres de cancers du réseau Francim) sur la période 2000-2020. En ce qui concerne les cancers colorectaux (hors appendice), une augmentation annuelle de 1,43 % a été observée. Accompagnée d’une forme de cancer plus agressive chez les jeunes patients.

L’augmentation des cas de cancers colorectal chez les jeunes adultes pourrait inclure la prévalence croissante du surpoids, du diabète, une alimentation « occidentale » non équilibrée (consommation accrue de viandes rouges ou transformées, régime pauvre en fibres, trop riche boissons sucrées…). Le tabac, l’alcool et la sédentarité, le manque d’activité physique sont aussi pointés du doigt. Certains facteurs étant liés. « Toutefois, la principale piste reste l’impact de l’obésité, du syndrome métaboliques et des modifications des habitudes alimentaires », souligne le spécialiste.

Et pourquoi pas d’abaissement de l’âge du dépistage en France ?

« Dans notre pays, la situation est un peu plus complexe et abaisser l’âge de début du dépistage reste discuté», fait remarquer le Dr Moryoussef. L’un des freins en France « est la capacité du système de santé à absorber un dépistage généralisé dès 45 ans, soulève le Dr Moryoussef. Aujourd’hui, l’organisation actuelle peine déjà à assurer un accès optimal aux endoscopies pour les patients de plus de 50 ans qui ont un test immunologique positif ou qui sont particulièrement à risque de cancer colorectal, alors qu’environ 6 % des cancers colorectaux concernent des sujets plus jeunes. Il existe donc une crainte légitime que l’élargissement du dépistage ne mobilise des ressources considérables, au détriment des patients de plus de 50 ans qui présentent un risque plus élevé et doivent pouvoir bénéficier d’un examen dans des délais raisonnables. » Mais la situation pourrait évoluer dans les années à venir.

Des cancers diagnostiqués à un stade avancé

En termes de profil, il s’agit souvent de cancers du côlon gauche et du rectum. Ces cancers sont généralement symptomatiques : « dans 9 cas sur 10, des signes cliniques sont présents, contrairement aux cancers colorectaux chez les sujets plus âgés, qui évoluent de manière plus insidieuse et progressive », souligne Frédérick Moryoussef.

Cependant, il existe des données discordantes concernant la gravité de ces maladies. « Ce qui est certain, poursuit-il, c’est qu’ils sont souvent diagnostiqués à un stade plus avancé. » Pourquoi ? Les patients ne s’imaginent pas qu’un cancer puisse survenir avant 50 ans. Il persiste dans la population l’idée que cette maladie concerne surtout les personnes âgées. En conséquence, face à des symptômes digestifs, ils ne consultent pas leur médecin. Cette méconnaissance des signes devant alerter est la première explication.

Ensuite, « les médecins eux-mêmes, indique le gastroentérologue, en particulier ceux de première ligne, ne sont pas toujours suffisamment formés pour suspecter un cancer colorectal chez un patient jeune. Des études l’ont montré. Ce manque de sensibilisation peut retarder la mise en place d’un suivi adapté, qu’il s’agisse d’une surveillance rapprochée ou d’une endoscopie. »

A quoi faire attention chez les individus de moins de 50 ans ?

La première étape consiste à identifier correctement les patients ayant des antécédents familiaux de cancer colorectal et à les orienter vers un parcours adapté. Aux États-Unis, une coloscopie est recommandée dès 40 ans pour les personnes ayant un antécédent au premier degré, tandis qu’en France, l’âge retenu est de 45 ans ou 10 ans avant le cas index (la première personne diagnostiquée avec une maladie dans une famille). En fonction du nombre de cas familiaux ou de l’existence d’une mutation génétique, il est parfois nécessaire de débuter plus tôt et de rapprocher encore ces examens. Mieux repérer ces patients permettrait d’accélérer leur prise en charge.

Indépendamment des antécédents familiaux, la recherche de signes d’alerte est essentielle. Les signes d’alarme de cancer colorectal sont :

  • des saignements digestifs bas (rectorragies) ;
  • une modification persistante du transit (alternance diarrhées/constipation, par exemple) ;
  • une douleurs abdominales persistantes ;
  • une anémie par carence en fer (martiale) ;
  • une melæna (selles noires) ;
  • une perte de poids rapide et inexpliquée.

Si des examens d’imagerie ou d’endoscopie ne sont pas systématiquement prescrits lors d’une première consultation pour signe d’alerte, une réévaluation clinique après un traitement des symptômes est indispensable dans les deux mois.

  • Source : Incidence et son évolution entre 2000 et 2020 des cancers chez les adolescents et jeunes adultes (15-39 ans) Étude à partir des registres des cancers du réseau Francim (Projet EPI-AJA 2022) publié le 3 mars 2025 ; Institut Gustave Roussy ; Hyuna Sung et al. Thelancet oncology Vol 26 2025 ; Vuik, Fanny ER, et al. Gut, vol. 68, no. 10, 16 May 2019, pp. 1820–1826, ; Andrea N et al. Cancer Gastroenterology 2021;160:1041–1049 ; Red Flag Signs and Symptoms for Patients With Early-Onset Colorectal Cancer JAMA Network Open. 2024;7(5):e2413157.

  • Ecrit par : Hélène Joubert - Édité par Emmanuel Ducreuzet

Destination Santé
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