C’est quoi, une bonne santé mentale ?

04 septembre 2025

Êtes-vous en bonne santé mentale ? Cette question est bien plus complexe qu’on ne pourrait le croire. Le psychiatre David Masson, responsable du Département de réhabilitation psychosociale (Centre psychothérapique de Nancy) apporte de la nuance et de l’optimisme dans une actualité qui pourrait paraître bien sombre à propos de la santé mentale de la population. Il répond à Destination Santé, à l’occasion de la parution de son livre Santé mentale, Ce que peut vraiment la psychiatrie (éditions du Détour).

L’Organisation mondiale de la santé (OMS) définit la santé mentale comme « un état de bien-être qui permet à chacun de réaliser son potentiel, de faire face aux difficultés normales de la vie, de travailler avec succès et de manière productive, et d’être en mesure d’apporter une contribution à la communauté ». Vous lui préférez une autre définition, pourquoi ? 

Dr Masson : Nous avons tous une santé mentale. Elle a ses hauts et ses bas, ses difficultés, ses facilités… Je décrirais la santé mentale comme un trajet à vélo : un équilibre fragile et dynamique entre nos ressources et les obstacles du quotidien, qui nous permet de vivre une vie ordinaire et satisfaisante. Elle évolue en permanence entre les ressources que la personne peut mobiliser (individuelles et environnementales), et les obstacles rencontrés, cherchant à tendre vers le bien-être.   

Contrairement à l’idée répandue, santé mentale et troubles psychiques et psychiatriques (TDAH, schizophrénie, troubles du spectre autistique, dépression, anxiété…) sont bien distincts ?  

Il ne faut pas confondre troubles psychiques et santé mentale. On peut très bien avoir un trouble psychique et être en bonne santé mentale, tout comme on peut ne présenter aucun trouble et ne pas se sentir bien ! Par exemple, j’ai eu un patient qui entendait des voix et trouvait dans cette expérience une présence, un réconfort qui l’aidait à se sentir moins seul. Même si ses voix peuvent parfois être pénibles, elles faisaient partie de sa vie et contribuaient à son bien-être. 

Inversement, des personnes ayant traversé une dépression ou même un trouble schizophrénique peuvent récupérer complètement, ne plus présenter de symptômes, et pourtant ne pas ressentir une pleine santé mentale, c’est-à-dire un sentiment de bien-être. La santé mentale ne se réduit pas à l’absence de symptômes ou de troubles psychiques. 

Vous soulignez dans votre livre qu’affirmer que la santé mentale est un « bien-être qui permet à chacun de réaliser son potentiel » pourrait être culpabilisant pour ceux qui n’y parviennent pas, et même être contre-productif ? 

En effet, la grande limite – à mon sens – de la définition de l’OMS réside dans l’idée qu’une bonne santé mentale consiste à surmonter sans douleur toute difficulté et à réaliser nos aspirations. Elle se rapprocherait alors d’une injonction au bonheur, presque une ode au développement de soi.  

Il faudrait, à en croire cette définition, être heureux en permanence, mobiliser pleinement ses ressources et entretenir sans cesse ses compétences. Cela donne un aspect très compétitif, proche de certaines logiques de développement personnel qui prônent de « devenir la meilleure version de soi-même ». 

Or, ce n’est pas toujours possible. On peut être à 100 % de ses capacités à certains moments et à 50 % à d’autres. On peut ainsi ressentir de l’anxiété, de l’anticipation et de la culpabilité, avoir le sentiment de ne pas « être au top » et subir un jugement moral implicite. Le risque de cette vision est de croire que la santé mentale ne se mesure qu’à la performance : il faudrait être constamment performant pour se considérer « en bonne santé mentale ». Cette vision génère plutôt des émotions négatives et un sentiment de mauvaise santé mentale, justement parce qu’on ne parvient pas à répondre à ces injonctions de bien-être.   

Si le bien-être est un vœu légitime, vous allez jusqu’à interroger sur le fait qu’il soit souhaitable et réaliste ? 

Oui car les émotions, même celles considérées comme négatives, remplissent une fonction vitale. Ne plus les éprouver fragiliserait gravement notre survie. L’anxiété, la peur, nous alertent sur le danger et nous incitent à l’éviter. La colère signale une injustice et nous donne l’élan pour défendre nos droits. Le dégoût nous protège de ce qui peut nous nuire, qu’il s’agisse d’éléments physiques ou de situations contraires à nos valeurs. 

Souvent, les émotions négatives sont présentées comme désagréables et à éliminer. Ce n’est pas si simple. Le problème ne réside pas dans le fait de les ressentir, mais dans leur dérèglement. Par exemple, dans un trouble anxieux, ce n’est pas l’anxiété elle-même qui pose un problème, mais l’intensité, la durée ou l’inadaptation de la réaction : le signal d’alarme devient excessif et ne correspond plus à la situation. 

Ces émotions, que l’on qualifie souvent de négatives mais qui ont en réalité une fonction utile, deviennent problématiques lorsqu’elles ne sont pas régulées, qu’elles sont inadaptées et qu’elles n’aident plus à résoudre le problème. D’où un retentissement significatif sur la vie quotidienne, le bien-être… 

Finalement, notre santé mentale va-t-elle si mal ? On pourrait le croire à la lecture des articles de presse ou des rapports officiels.  

Selon Santé Publique France, en décembre 2022, 24,1 % de la population française présentait un état anxieux, soit 11 points de plus qu’avant la pandémie de 2020 liée au Covid-19. L’état dépressif concernait 17,1 % de la population (+ 7 points), et une personne sur dix déclarait avoir des idées suicidaires (+ 6 points). Même dynamique concernant le sommeil. Présentés sans nuance, ces chiffres peuvent générer une inquiétude dans le public, laissant penser à tort que la population irait de plus en plus mal. Déjà, une grande partie des chiffres provient d’auto-questionnaires, et il est difficile de déterminer si un état anxieux rapporté correspond à une pathologie ou simplement à un ressenti ponctuel.  

Autre exemple, le nombre global de suicides a diminué depuis les années 1980, d’environ 12 500 à un peu plus de 9 000 par an. Depuis 2020, on observe plutôt une stagnation, avec des populations à risque particulier, comme les jeunes. Ce qui justifie un focus sur ces groupes sans pour autant généraliser et conclure que tous les jeunes « vont mal ». 

De même, l’augmentation des prescriptions de psychotropes, notamment chez les jeunes, ne permet pas de conclure à une surconsommation inappropriée. Cette hausse pourrait refléter des troubles mieux repérés et traités, tout en occultant des dépressions non détectées et donc sous-soignées.  

  • Source : Interview du Dr Masson (20 août 2025). « Santé mentale, Ce que peut vraiment la psychiatrie » par le Dr Masson, sortie le 28/08/2025 (224 pages, 19,90 Euros TCC, ISBN : 978-2-38532-090-4) ;

  • Ecrit par : Hélène Joubert ; Édité par Vincent Roche

Destination Santé
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