Chagrin d’amour : « non, le propranolol n’est pas une pilule magique »

15 février 2019

Se relever d’une séparation amoureuse grâce au propranolol, un bêtabloquant indiqué pour atténuer la charge des émotions négatives ? Les bénéfices précis de cette molécule dite « pilule de l’oubli » ont récemment été plébiscités. Selon le Pr Roger Gil, neuropsychiatre au CHU de Poitiers, cette prescription ne constitue pas une solution miracle pour se relever d’un chagrin d’amour.

Prescrit de façon très encadrée, le propranolol est indiqué depuis des décennies pour ralentir le cœur (angines de poitrine, hypertension artérielle, arythmie…). Ce bêtabloquant fait aussi ses preuves contre la migraine et pour atténuer des états de stress post-traumatique (ESPT), auprès de victimes des attentats français au sein de l’essai Mémoire vive* notamment. Le Pr Alain Brunet, psychiatre à la tête de cet essai, a récemment testé une approche thérapeutique à base de propanolol pour aider les cœurs chagrinés à se désencombrer des émotions négatives.

N’est-il pas inquiétant de prendre des médicaments pour sécher des larmes ?

Pr Roger Gil : On semble tout à coup découvrir ce qui est logique : l’action du propranolol sur le stress est connue depuis longtemps. A mon sens, il s’agit d’excès de ces effets d’annonce. Cette molécule agit sur la composante émotionnelle du souvenir. Mais l’être humain ne peut s’en débarrasser. Sur le plan neurobiologique, les émotions, notamment la déstabilisation, consolident les souvenirs. Ce dont on se souvient d’une époque précise dans un contexte précis est interconnecté aux émotions. Ainsi, on se souvient de nous-même dans notre totalité, sans trou dans la construction de notre personne mais nourri par tous les événements, joyeux et tristes.

Peut-on comparer un chagrin d’amour à un état de stress post-traumatique ?

Pr Roger Gil : Un état de stress post traumatique (ESPT) se traduit par des critères diagnostics précis : des réminiscences obsédantes, une incapacité à se libérer du souvenir. Un chagrin d’amour, ce n’est définitivement pas la même chose.

Il n’empêche, un chagrin d’amour, ça fait mal…

Pr Roger Gil : Oui, une douleur existe tant les traumatismes physique et psychologique sont connectés. On sait que toute situation d’exclusion psychosociale active les mêmes zones cérébrales que celles de la douleur physique. Nausées, vertiges, cœur affolé… le chagrin d’amour comporte son lot de symptômes physiques. Mais prendre des bêtabloquants peut constituer une solution de facilité. Et va de pair avec la tendance à cacher les symptômes plutôt que de travailler sur l’origine de la souffrance, de la tristesse, la regarder en face pour mieux s’en départir et avancer. Etre triste, ce n’est pas être déprimé. Et il faut savoir que le propanolol va diminuer la charge émotionnelle mais ne permet pas d’oublier.

Comme le deuil, les chagrins d’amour ne sont-ils pas des épreuves de la vie faites pour nous renforcer ?

Pr Roger Gil : En effet, et nous avons toutes et tous des ressources intérieures qui nous permettent de les traverser ces épreuves. Selon une étude du Journal of neuroscience datée de mars 2017, l’impact résilient du « rejet romantique » est équivalent à la réaction d’une douleur physique sous placebo. Preuve que même des produits apparemment inertes comme le placebo incitent la personne à mobiliser ses ressources. A moins de vouloir se dissocier de toute émotion, la prescription médicamenteuse ne peut suffire à la cicatrisation d’un cœur chagriné. Si elle intervient, cette indication doit être accompagnée d’une relation d’aide, de parole, d’accompagnement avec un proche, ou un psychologue si besoin.

A noter : les bêtabloquants peuvent entraîner certains effets indésirables comme une diminution importante de la pression artérielle, des troubles de la sexualité, des gonflements des chevilles et des mains, une fatigue, une somnolence, des cauchemars et parfois une dépression.

*Essai clinique Paris mémoire vive, menés par deux psychiatres, Prs Alain Brunet « Université Mc Gill, Hôpital Douglas de Montréal » et Bruno Millet (Assistance publique des Hôpitaux de Paris), entre 2016 et 2018 après de 360 rescapés du Bataclan et du 14 juillet – Hôpitaux universitaires Pitié-Salpêtrière, Charles Foix, Institut du cerveau et de la moelle épinière, médecine Sorbonne Université

  • Source : Interview du Pr Roger Gil, neuropsychiatre au CHU de Poitiers et directeur de l’espace de réflexion d’éthique de Poitiers, le 14 février 2019 - www.coeuretavc.ca

  • Ecrit par : Laura Bourgault - Edité par : Emmanuel Ducreuzet

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