Chronobiologie : la vérité démarre au fond de la grotte

25 mars 2013

Quand l’horloge biologique s’enraye… ©Phovoir

L’existence des rythmes biologiques date de la nuit des temps. Mais curieusement, la chronobiologie, autrement dit la discipline scientifique qui les étudie, est très récente. Membre de l’Académie nationale de médecine et ancien Président de l’Académie nationale de pharmacie, le Pr Yvan Touitou est un éminent spécialiste de la question. Il nous propose une plongée au cœur de sa discipline. Avec passion et envie de partager.

Un point commun entre la plante et le mammifère. Existe-t-il une discipline scientifique plus transversale que la chronobiologie ? Pas sûr, à en croire le Pr Touitou. « Son objectif est d’étudier la structure temporelle des organismes vivants, quels qu’ils soient ». Par « structure temporelle », il fait référence au fait que les plantes, les insectes et les mammifères ne fonctionnent pas de façon linéaire. Prenons l’exemple d’une plante : « dès le XVIIe siècle, des travaux ont montré que telle ou telle plante éclorait à tel ou tel moment en fonction de la présence lumineuse, le naturaliste Linné a décrit  les caractéristiques de floraison des plantes heure par heure, travail connu sous le nom  d’horloge de Linné », explique le Pr Touitou.

L’Homme aussi fonctionne selon « un système complexe avec des pics et des creux de ses différentes fonctions qui ne sont pas disposés au hasard dans les  24 heures ». Pour illustrer ses propos, le Pr Touitou s’appuie sur les fonctions hormonales : « Nous savons aujourd’hui que certaines hormones comme le cortisol atteignent un pic entre 6h et 8h du matin. Pour la mélatonine, c’est entre 2h et 4h. Cette temporalité existe dans tout être vivant : les insectes, les plantes et les mammifères », dont l’Homme fait partie.

« Notre organisme fonctionne donc avec des rythmes prévisibles et prédictibles dans le temps. Cet ensemble correspond à la chronobiologie qui est l’étude de la description des rythmes, de leur physiopathologie et des mécanismes par lesquels ils sont contrôlés et peuvent être altérés. »

Les premières expérimentations végétales autour des rythmes biologiques datent du XVIIe siècle. Un premier virage est toutefois opéré dans les années 1930 avec le biologiste allemand Erwin Bünning. Il montre l’origine génétique du rythme circadien chez les plantes. De quelle façon ? « Il va mettre  dans une obscurité complète et constante, une plante qui a l’habitude de vivre dans un système lumière/obscurité. Il s’est alors rendu compte qu’elle conservait ses rythmes biologiques. Ce que les Anglo-saxons appellent le free run, ou libre-cours en français. »

L’environnement crée-t-il les rythmes ? A cette époque, les rythmes biologiques sont considérés un peu comme de « l’exotisme » poursuit Yvan Touitou. Cependant, quelques équipes de chercheurs persuadés de la réalité de la structure temporelle des organismes vivants  et de l’intérêt de son étude ont eu le mérite de se lancer dans des recherches passionnantes ». L’idée était notamment de répondre à une question cruciale. A savoir : les rythmes circadiens sont-ils dictés par notre environnement ?

Nous sommes alors au début des années 50, période au cours de laquelle ont lieu les premières expériences dites hors du temps. Elles sont conduites notamment par un biologiste allemand Jürgen Ashoff. L’idée est simple puisqu’il s’agit de plonger des volontaires sains dans l’obscurité totale. Puis d’étudier les paramètres qui caractérisent leurs rythmes biologiques. Les premiers travaux ont été réalisés dans des sortes de chambres fortes, permettant un isolement total des facteurs de l’environnement. Puis d’autres seront réalisées dans des grottes.

Yvan Touitou décrit le principe : « des volontaires sont immergés à 200 mètres de profondeur. Ils sont toujours seuls, dans un environnement où il n’y a plus d’alternance jour/nuit. La température est constante. Ils n’ont pas de montre, ils dorment et mangent quand ils veulent. Ils ont un contact avec l’extérieur qui ne leur divulgue bien sûr aucune indication de temporalité. La seule consigne donnée est la suivante : sortez quand vous voulez ! Généralement, ils réapparaissent au bout de 2 à 3 mois. Ils sont naturellement fatigués et n’ont pas de notion du temps passé sous terre. Quand on le leur demande, ils donnent toujours une durée largement inférieure à la réalité. Dans ces conditions, il y a donc une impression de raccourcissement du temps. »

Mais ce genre d’étude est surtout instructif pour ses résultats biologiques : « comme c’est le cas sur la plante, nous observons une persistance des rythmes, à partir de bilans sanguins, urinaires etc… Ces études hors du temps permettent de souligner deux réalités :

  • l’environnement ne créé pas les rythmes mais il permet de les calibrer, de les entraîner sur 24 heures ;
  • nos rythmes  sont d’origine génétique. Des gènes codants seront d’ailleurs mis en évidence plus tard, chez la mouche, puis chez la souris et plus récemment chez l’Homme. A ce jour, une douzaine de gènes a été identifiée. Leur désignation rappelle des caractéristique rythmiques : per pour période, tim pour temps etc. ».

Après le fonctionnement des rythmes, rendez-vous mardi 2 avril, pour tout savoir sur cette intrigante horloge biologique. Et sur les conséquences lorsqu’elle se « dérègle ».

Ecrit par : David Picot – Edité par Emmanuel Ducreuzet

  • Source : Interview du Pr Yvan Touitou, 15 mars 2013

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