Comment les bactéries deviennent-elles résistantes aux antibiotiques ?
22 novembre 2024
La « semaine mondiale de la sensibilisation au bon usage des antibiotiques » (18-22 novembre) a été rebaptisée « semaine mondiale de la sensibilisation à la résistance aux antimicrobiens ». Pourquoi ? Les explications du Dr Alexandre Charmillon, infectiologue (CHRU de Nancy), co-coordinateur du groupe sur le bon usage des antimicrobiens de la Société de pathologie infectieuse de langue française (SPILF).
Nous sommes en pleine semaine mondiale de la sensibilisation à la résistance aux antimicrobiens. De quoi parle-t-on ?
Dr Alexandre Charmillon : Le problème de la résistance ne concerne pas seulement les antibiotiques, qui ciblent les bactéries, mais aussi les antiviraux qui traitent les infections virales, les antiparasitaires contre les parasites, et les antifongiques utilisés contre les champignons. Chacun de ces domaines présente des problématiques de résistance plus ou moins importantes selon les régions du monde. Mais la résistance bactérienne est la principale préoccupation, notamment en raison de l’usage massif d’antibiotiques partout sur la planète. Par exemple, lors d’une antibiothérapie pour traiter une pneumonie, l’antibiotique agit non seulement sur la bactérie responsable de l’infection, mais aussi sur les nombreuses autres qui constituent le microbiote intestinal du patient. Certaines bactéries, naturellement résistantes ou ayant acquis une résistance, peuvent alors proliférer. D’où le risque accru qu’une infection future soit causée par une souche résistante et modifie également l’équilibre du microbiote.
Quid des infections fongiques ?
La résistance des antifongiques est préoccupante mais moins que celle des bactéries, car plus rares. Toutefois, certaines levures comme Candida, notamment Candida auris, suscitent une vigilance particulière au niveau mondial. Ce champignon, détecté dans plusieurs pays dont la France, à la capacité d’acquérir facilement des résistances aux traitements et à persister dans l’environnement, rendant son élimination difficile une fois implanté, pouvant être à l’origine d’épidémies hospitalières.
La résistance bactérienne s’acquiert mais peut aussi se transmettre, telle une épidémie ?
En effet, une bactérie peut être naturellement résistante à un antibiotique ou une famille d’antibiotique. Cette résistance sera transmise à ses descendants lors de sa multiplication. Mais une bactérie peut aussi devenir résistante à un antibiotique soit par mutation ou même acquisition d’un gène de résistance. Cela consiste en la transmission d’un gène de résistance d’une bactérie à une autre bactérie, parfois d’une espèce différente, via des éléments génétiques mobiles comme les plasmides (petite molécule d’ADN circulaire distincte de l’ADN chromosomique, ndlr). Par exemple, une bactérie Escherichia coli sensible peut acquérir une résistance aux pénicillines en entrant en contact avec une autre bactérie résistante, Escherichia coli ou même une Klebsiella pneumoniae, qui lui transfère ce gène de résistance.
À l’échelle individuelle, ce phénomène peut être observé chez tout le monde et d’autant plus si on est régulièrement exposé aux antibiotiques. Une bactérie sensible initialement présente chez un patient peut devenir résistante au fil du temps. En l’absence de mesures strictes d’hygiène, ces résistances peuvent se propager au sein des services hospitaliers (mains du personnel soignant, équipements médicaux, surfaces contaminées…), entraînant des épidémies qui peuvent passées inaperçues si on ne les dépiste pas. C’est pourquoi on parle de « pandémie silencieuse ». Mais on constate aussi de plus en plus d’antibiorésistance en ville notamment résistance d’E. coli aux antibiotiques fluoroquinolones.
Depuis cet été, les pharmaciens peuvent délivrer certains antibiotiques en cas de cystites ou d’angines, à condition de réaliser un test rapide préalable. Est-ce que cela va réduire la consommation d’antibiotiques ?
Cette mesure part du constat de la sous-utilisation de ces tests rapides, en particulier en médecine de ville. Ils permettent pourtant de distinguer en quelques minutes les infections bactériennes nécessitant un antibiotique, des infections qui n’en requièrent pas comme les infections virales et donc favoriser le bon usage des antibiotiques.
Un autre moyen de diminuer la consommation d’antibiotique est la prescription de traitements antibiotiques de plus en plus courts, soutenue par des données scientifiques solides. Par exemple, pour une pneumonie communautaire, trois jours d’antibiotiques peuvent suffire dans certaines conditions, contre sept jours auparavant. Meilleure observance du traitement par le patient, réduction des effets secondaires, moindre risque d’infections associées aux antibiotiques comme celles à Clostridioides difficile*, moins de risque d’émergence de résistance à l’antibiotique… Il n’y a que des bénéfices !
Des ajustements similaires ont été réalisés pour d’autres pathologies : dans les spondylodiscites (infection bactérienne grave du rachis, surtout chez les seniors), la durée est passée de 12 semaines à 6 semaines. Bien que certaines situations justifient encore des durées prolongées, la plupart des traitements antibiotiques suivent cette dynamique de réduction de durée. Ou comment limiter les risques d’émergence de résistances tout en garantissant l’efficacité clinique.
* Certains antibiotiques détruisent la flore intestinale normale d’une personne, ce qui permet le développement de la Clostridioides difficile, responsable de diarrhées.
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Source : Interview du Dr Alexandre Charmillon, infectiologue au Centre Régional en Antibiothérapie du Grand Est et CHRU de Nancy (Novembre 2024)
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Ecrit par : Hélène Joubert - Édité par Emanuel Ducreuzet