Confinement : le silence, un poids ou une libération ?
22 avril 2020
En 6 semaines de confinement, nous sommes nombreux à découvrir une denrée rare : le silence. Quelles répercussions sur notre santé mentale ? Et comment allons-nous réagir lorsque le bruit fera progressivement son retour ? Le point de vue de Johanna Rozenblum, psychologue clinicienne à Paris.
Le confinement devrait s’alléger à compter du 11 mai. Avec la plus grande précaution possible (respect des gestes barrière et de la distanciation sociale), nous devrions plus facilement nous déplacer au supermarché ou encore au travail. Sauf que la majorité d’entre nous est plongée dans une forme de silence inhabituelle depuis 6 semaines…
Destination Santé : A quel point ces périodes de calme peuvent générer de l’anxiété ?
Johanna Rozenblum : Est-ce vraiment le calme qui génère de l’anxiété ? Il me semble que le malaise vienne davantage du fait que nous nous retrouvions face à nous même, dans un confinement imposé qui nous pousse à prendre du recul et revoir notre copie. Puis-je m’adapter à tous ces changements ? Puis-je parvenir à exister sans le regard des autres ? Qui suis-je au fond lorsque je suis seul(e) ? Cette introspection liée à l’isolement, imposé par le virus, vient susciter pour certains des angoisses massives, des remises en question voire des interrogations existentielles sur eux ou sur l’avenir. Le calme est alors propice à l’apparition de toutes sortes de pensées, parfois mises sous le tapis lorsque nous occupons notre esprit à autre chose, volontairement ou non.
Destination Santé : A quel point ces périodes de calme peuvent générer… de l’apaisement ?
Johanna Rozenblum : Les adeptes de la méditation et de la pleine conscience vous le diront ! Ressentir sa respiration, être attentif aux sons extérieurs, sans but à poursuivre ni résultat à obtenir, excepté le bien que cela procure est un exercice passionnant. Au travers d’une certaine acceptation de ce qui nous entoure, d’une observance du calme qui règne c’est bien l’apaisement qui est recherché. Voilà un exemple qui peut nous permettre de tirer profit du confinement. Il est vrai que certaines personnes sont plus à l’aise que d’autre avec le calme et le silence, ils ne se sentent pas envahit par leurs émotions, peut-être sont-ils plus résilients que d’autres.
Destination Santé : Pourquoi le silence fait peur à certains pendant que d’autres le cherchent ?
Johanna Rozenblum : C’est une question presque philosophique et très intéressante à différents égards. Si l’on se concentre du point de vue psychique faisons un point sur « le silence » ! Nous savons qu’une trop grande exposition au bruit est néfaste, le silence possède donc bien des vertus tant pour l’esprit que pour le corps. Il permet d’abord au cerveau d’être moins sollicité et de pouvoir nous plonger dans nos pensées, notre mémoire et se projeter dans le futur. Le silence permet la diminution du stress, l’amélioration du sommeil, la réduction des risques de dépression et d’une manière générale, la contribution à une meilleure concentration.
À l’inverse, on estime que le bruit peut avoir un impact sur la santé à partir d’une trop longue exposition. Il favorise l’anxiété, les troubles de l’humeur et peut aggraver des pathologies cardio-vasculaires. Alors pourquoi la peur de ce silence, qui a priori, nous procure tant de bien-être ? Eh bien parce que ce silence laisse place à nos pensées, parfois belles et parfois douloureuses. Pour certains, ce silence est une porte ouverte aux questions, aux souvenirs et suscite alors de profondes angoisses, rappelle des événements douloureux, la réactivation de certains troubles.
Destination Santé : On parle beaucoup de pollution sonore. A quel point le bruit est-il source d’anxiété voire de troubles dépressifs au quotidien ?
Johanna Rozenblum : En 2016, un sondage Ifop a révélé que 9 Français sur 10 considèrent le bruit et les nuisances sonores comme « un enjeu de santé publique ». Une nuisance sonore est définie comme un son pouvant nuire à la tranquillité ou la santé en raison de 3 facteurs : sa durée, sa répétition et son intensité. Pas besoin qu’un bruit soit très fort pour être considéré comme une nuisance sonore, il suffit donc qu’il soit régulier dans le temps. Plusieurs recherches ont par ailleurs montré les effets négatifs du bruit sur la santé psychique. Il existe donc une relation significative entre la gêne due au bruit et une santé mentale dégradée pouvant aller jusqu’à la dépression.
Destination Santé : Alors que le confinement va s’alléger, peut-on craindre des difficultés pour se réhabituer au bruit (en ville, sur la route, dans les bureaux…) ?
Johanna Rozenblum : Dans les premiers temps nous aurons à nous réhabituer aux sons de la ville, à la lumière, à la vie qui reprend. Mais ce confinement nous a prouvé que nous savons nous adapter aux changements et il y a de fortes chances pour que le plaisir que nous ressentions à reprendre progressivement le cours de nos vies prenne le pas sur les désagréments liés au bruit.
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Source : Interview de Johanna Rozenblum, psychologue clinicienne à Paris, le 22 avril 2020
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Ecrit par : Laura Bourgault - Edité par : Emmanuel Ducreuzet