De Marie Curie à nos jours, les rayonnements de la radioactivité en santé
23 janvier 2012
Radioactivité : peu de mots aujourd’hui, sont porteurs d’un rayonnement aussi négatif ! Attaché ad vitam aeternam à des catastrophes volontaires comme les explosions d’Hiroshima et Nagasaki, ou involontaires comme les accidents de Three Mile Island, Tchernobyl ou Fukushima, la radioactivité est considérée par beaucoup, comme un compagnon mal-maitrisé voire diabolique de l’ère moderne. Et pourtant… que de bienfaits nous a-t-elle dispensés depuis plus d’un siècle, et de combien d’espoirs est-elle encore porteuse en santé !
Dans le domaine médical en effet, la radioactivité est à l’origine d’avancées littéralement phénoménales. Phénoménales mais… finalement peu connues du grand public. Chef du service de médecine nucléaire à l’hôpital de la Pitié-Salpêtrière (Paris), le Pr André Aurengo est un éminent spécialiste de la question. Il ouvre pour nous, le livre d’histoire de sa discipline. Rencontre.
André Aurengo, 62 ans, est professeur de médecine nucléaire et de biophysique. Il nous reçoit dans son modeste bureau de la Pitié, à l’entrée de son service. La voix est calme, le ton posé. C’est avec passion pourtant, que ce médecin également diplômé de l’Ecole de polytechnique et membre de l’Académie de médecine remonte aux toutes premières heures de la médecine nucléaire. Nous voici donc revenus grâce à lui, à la fin du XIXème siècle.
L’aventure commence bien sûr avec la découverte des rayons X par un physicien, l’Allemand Wilhelm Conrad Röntgen. En fait comme il ne savait comment nommer ce nouveau rayonnement, il a presque naturellement porté son choix sur le X ! C’était en 1895 ; la première radiographie, montrant les os de la main de Mme Röntgen, fera le tour du monde en quelques semaines.
Derrière Röntgen, de nombreux scientifiques vont s’engouffrer dans cette voie et y consacrer leur carrière. Ce sera le cas d’Henri Becquerel puis de Pierre et Marie Curie qui découvrent un rayonnement venant de certains atomes. Marie l’appelle « radioactivité ». Tous les trois se partageront le Prix Nobel de physique en 1903. Pourtant comme nous l’explique André Aurengo, « aussi étrange que cela puisse paraître, l’impulsion qui a conduit à utiliser la radioactivité en médecine a été le fait… d’un dentiste. Un Allemand, une fois encore. Né à Brunswick en Basse-Saxe, Otto Walkhoff essaiera d’abord de faire des radiographies dentaires avec du radium, juste après sa découverte en 1898 par Marie Curie. Ce sera un échec. A tel point d’ailleurs qu’il se sera même brûlé la gencive. Pourtant, « sa démarche a donné des idées quant à la possibilité d’utiliser ces rayonnements à des fins thérapeutiques », ajoute André Aurengo.
Et Pierre Curie se brûla l’avant-bras…
Il cite évidemment, Pierre Curie. Lui aussi s’est d’abord entraîné sur lui-même… Il a déposé une source de radium sur son avant-bras et s’est brûlé, lui aussi. La plaie mettra des mois à guérir. Röntgen lui, a été plus prudent tempère André Aurengo. « Il a fait la première radiographie sur la main de sa femme ! »
Précis sur les faits, peu avare en anecdotes, le Pr Aurengo délie les fils de l’Histoire avec la passion du détail. Nous sommes donc au tout début du XXe siècle et « les scientifiques savent alors que ces rayonnements peuvent avoir des effets. A l’hôpital Saint-Louis de Paris, le dermatologue Henri-Alexandre Danlos et Pierre Curie vont expérimenter la technique sur des patients souffrant de lupus érythémateux. Encore un échec. Mais très vite, ils s’intéressent à des tumeurs cutanées malignes, cette fois-ci avec un succès qui va conduire à… la curiethérapie ».
Nous y voilà donc. Une première application thérapeutique, consistant à « conduire la source radioactive au contact de la tumeur. Son gros avantage est de ne pas occasionner trop de lésions des tissus sains environnants, alors que la radiothérapie externe doit les traverser avant atteindre la tumeur ».
Toujours très utilisée de nos jours, la curiethérapie s’est bien sûr diversifiée avec de nombreuses techniques et cibles. A l’image notamment de l’invention de la vectorisation par un anticorps, qui permet au produit radioactif de se fixer précisément sur sa cible. Et nulle part ailleurs.
De la curiethérapie aux traceurs radioactifs
Bien sûr, la médecine nucléaire est loin d’être confinée à la curiethérapie. Dans la foulée, d’autres progrès extrêmement utiles à la médecine vont jaillir au fil des années. « Avec notamment les traceurs radioactifs qui permettent de suivre une substance dans l’organisme », poursuit le Pr Aurengo. « Ils ont été étudiés et inventés par George de Hevesy, un chercheur hongrois particulièrement fertile ».
Notre interlocuteur nous livre ainsi, quelques anecdotes qui à ses yeux campent « le personnage extraordinaire qu’était Hevesy. Lorsqu’il vivait en Angleterre, il était dans une pension de famille où il trouvait qu’on servait un peu trop souvent les mêmes choses. Pendant que sa logeuse avait le dos tourné, il mit du produit radioactif dans la soupe. Il a ainsi constaté que la radioactivité apparaissait dans les plats qu’on lui servait les jours suivants ».
D’origine juive, Hevesy fut aussi l’homme qui a permis aux Prix Nobel danois de conserver leurs médailles lorsque les Nazis ont envahi le Danemark. André Aurengo, le sourire aux lèvres : « Dans sa fuite, il n’a pas voulu emporter des médailles de Nobel conservées à l’institut des Sciences. Il les a alors dissoutes dans de l’eau régale et a laissé le flacon bien en vue sur une étagère. A la Libération, le flacon au liquide jaunâtre n’avait pas bougé. Il a fait précipiter l’or au moyen d’un réactif approprié, puis l’a renvoyé à l’Académie Nobel. Ainsi les médailles ont-elles pu être refrappées ». L’eau régale pour parachever cette anecdote, est une substance obtenue par le mélange d’un volume d’acide nitrique et de trois volumes d’acide chlorhydrique à la même concentration. Après quelques manipulations complémentaires, il en résulte un produit littéralement royal – l’eau régale est en fait une eau royale– qui est seul capable de dissoudre l’or et le platine…
La parenthèse refermée, André Aurengo ajoute que « Hevesy a en quelque sorte réalisé le rêve de Claude Bernard. Ce dernier voulait mettre au point une stratégie permettant de suivre un produit biologique dans l’organisme. Et de tout savoir de sa physiologie ». Grâce aux soupçons d’Hevesy sur la cuisine de sa logeuse, les marqueurs radioactifs étaient nés…
L’imagerie pour suivre les traceurs radioactifs
Pour pister des produits justement, d’importantes avancées seront réalisées dans le domaine de l’imagerie. En 1957, le physicien américain Hal Anger invente la gamma-caméra. « Elle permet de faire des images des zones où un produit radioactif est allé se localiser. Sa finesse de détail n’est pas très importante mais elle donne des renseignements sur la fonction des organes. Elle est toujours très utilisée, par exemple pour trouver la cause d’une hyperthyroïdie ou établir un diagnostic de maladie d’Alzheimer. »
Après la gamma-caméra, la première caméra à émission de positons (TEP) va être mise au point. « Elle deviendra très vite indispensable pour le bilan, le suivi et l’évaluation de la thérapeutique dans un très grand nombre de cancers », poursuit le Pr Aurengo.
Comme son nom l’indique, cette caméra utilise de l’infiniment petit : des positons. « Ce sont des électrons chargés positivement, émis par du fluor radioactif fabriqué artificiellement ». A écouter le Pr Aurengo, le fonctionnement de ce type de caméra est des plus simples : « cet électron va se promener dans l’organisme et s’associer à un ‘vrai’ électron, c’est-à-dire un électron à charge négative. C’est donc ce télescopage qui donne de l’énergie, sous forme de deux photons. Lesquels sont détectés par la caméra à émissions de positons ». C’est tout simple, non ?
Scanner, IRM, TEP… Depuis les années 60, les progrès technologiques en matière d’imagerie médicale se multiplient et sont considérables. « Aujourd’hui, nous avons des gamma-cameras à semi-conducteur qui permettent de faire des examens plus courts tout en injectant moins de produit radioactif. Et que dire de ces machines hybrides comme les gamma-caméras équipées d’un scanner à rayons X ou couplées à une IRM ! », s’enflamme André Aurengo. Qui a dit que la radioactivité était un compagnon non-maitrisé du progrès technique ?
La radioprotection, une préoccupation ancienne
Ces avancées considérables ne doivent pas faire oublier la nécessité d’une radioprotection sans faille, la préoccupation constante en matière d’imagerie. A en croire André Aurengo, cette question a quasiment toujours existé. « C’était déjà un sujet auquel Marie Curie était très attentive », précise-t-il. «A l’Académie de médecine où elle a été élue triomphalement en 1922, elle a d’ailleurs participé à un mémoire sur ce sujet, avant de mourir en juillet 1934 d’une leucémie radio-induite. Car Marie Curie fut la victime des rayonnements sur lesquels elle a travaillé toute sa vie ».
Quatre-vingts ans plus tard, notre spécialiste de la médecine nucléaire veut convaincre et rassurer, encore et toujours. « Aujourd’hui, l’emploi de cette approche est pleinement justifié. Ces techniques apportent un bénéfice considérable en regard des risques potentiels dont elles sont porteuses ». Et elles sauvent des vies. Encore une fois, la lutte pour la vie ne peut être gagnée qu’au prix d’un calcul efficace du rapport bénéfice-risques des décisions à prendre…
Aller plus loin :
Retrouvez en vidéo les moments clés de cet entretien avec le Pr André Aurengo :
– Une impulsion donnée par un dentiste / La curithérapie
– La fabuleuse histoire d’Hevesy, inventeur des traceurs radioactifs
Retrouvez le premier article de notre série Les Lundis de l’Académie:
– Maurice Tubiana : la force de la science