Des UV artificiels et… dangereux

18 novembre 2013

Le teint hâlé est aujourd’hui tendance. Au point par exemple d’être considéré comme une marque de réussite des vacances ! Et lorsque le soleil fait défaut, de plus en plus de Français se rendent dans des instituts dédiés au bronzage. Autorisés par la loi, ces deniers sont vivement combattus depuis des années par la communauté médicale. L’OMS les considère d’ailleurs comme « cancérogènes pour l’homme ». A l’Académie nationale de médecine, le Pr Jacques Bazex, ancien chef de service de dermatologie des Hôpitaux de Toulouse et professeur de dermatologie a suivi de près la percée des bancs de bronzage en France. Et il ne décolère pas contre ce qu’il qualifie de « commerce honteux ».

La faute à nos idoles ? Au XIX et tout début du XXe siècle, le teint hâlé était plutôt mal considéré. « Nous n’allions pas au soleil », nous explique le Pr Bazex. « Le fait d’avoir la peau blanche était mieux perçu que d’être bronzé ». Et pour cause, « les notables n’étaient pas bronzés. » Cette vision va toutefois évoluer petit à petit à partir des années 30-40. Sous l’impulsion notamment de quelques artistes de cinéma de l’époque. « Nous les voyions s’exposer, à Saint-Tropez ou ailleurs. Ils ont vraiment contribué à faire évoluer les mentalités en matière de rapport au soleil », poursuit-il.

La tendance s’inverse. « Les Français vont délaisser les campagnes pour se ruer sur les côtes ensoleillées. A l’étranger, les Allemands et les Anglais commencent à descendre sur la Costa Brava ». Progressivement, le teint hâlé va alors devenir synonyme de réussite sociale, de vacances et de loisirs. Etre bronzé, c’est en quelque sorte afficher à la vue de tous, le fait d’avoir passé de bonnes vacances et de pratiquer des loisirs de plein air.

« Dans les années 50, nous avons vu se multiplier les coups de soleil suivis, quelques années plus tard, des cancers cutanés », enchaîne le Pr Bazex. « C’était une vraie calamité d’autant qu’il était difficile de s’en protéger. Il a donc fallu trouver rapidement une parade pour stopper les rayons ultraviolets tout en ayant une pigmentation de la peau. C’est alors que sont apparues les premières crèmes solaires. Elles ont effectivement contribué à diminuer les coups de soleil. Malgré cela, nous observions des cancers cutanés au point que certains se sont demandé si ces produits solaires n’étaient pas cancérogènes. Jusqu’au jour où nous avons compris… ».   Compris quoi ? « Tout bonnement que les ultraviolets A (UVA) n’étaient pas arrêtés par les crèmes solaires alors utilisées. C’est ainsi qu’est née la notion de « fausse innocuité des UVA ». Par la suite, sont apparues des crèmes faisant barrage aux UVB et aux UVA » !

Ultraviolets A, B, C. Pour rappel, il existe trois types de rayonnements UV, classés en fonction de leur longueur d’onde. Pour les UVA qui représentent près de 95 % du rayonnement UV qui atteint la surface de la terre, la longueur d’onde est longue. Ces ultraviolets pénètrent dans les couches profondes de la peau. Ils sont aussi agressifs vis-à-vis des cellules de l’épiderme et favorisent le vieillissement prématuré de la peau et l’apparition de rides. Comme le souligne le professeur de dermatologie, « pendant longtemps, on a pensé que les UVA pouvaient être inoffensifs, car ils ne s’accompagnent pas de coups de soleil. Or aujourd’hui, nous sommes sûrs qu’ils favorisent le développement des cancers cutanés. »

Les UVB, de longueur d’onde moyenne, ont une activité biologique importante, mais ne pénètrent pas au-delà des couches superficielles de la peau. Ils sont responsables du coup de soleil et de ses brûlures. Mais ils favorisent le bronzage. L’OMS répète toutefois, « outre ces effets à court terme, les UVB favorisent aussi l’apparition de cancers cutanés et le vieillissement de la peau.

Il existe enfin les UVC. De courte longueur d’onde, ils sont très nocifs. Mais ils sont complètement filtrés par l’atmosphère si bien qu’ils n’atteignent pas la surface de la terre.

Les salons de bronzage ? Un « non sens » ! Jacques Bazex reprend : « Les salons de bronzage – qui émettent des UVA – sont apparus avec cette idée d’espérer préparer la peau aux futures expositions solaires et de stimuler une pigmentation aux UVA. Un non-sens. Il faut être clair : le fait d’être ainsi exposé aux UVA ne prépare en rien la peau, ne s’accompagne ni d’une réelle pigmentation (à moins d’une exposition durable, importante et déjà agressive pour les cellules de la peau) ni d’un épaississement de l’épiderme qui participeraient à une protection efficace. Ce type d’exposition n’a aucun intérêt dans la prise en charge de la dépression saisonnière liée à la baisse de la luminosité quotidienne, ne permet pas non plus de synthétiser la vitamine D active. Il existe bien un consensus scientifique pour rappeler qu’en aucun cas, il pourrait y avoir un bénéfice à s’exposer aux UV artificiels ».

Des risques parfaitement identifiés. En revanche, les dangers sont bien réels. Depuis 2009, les appareils de bronzage à émission d’UV sont considérés comme « cancérogènes pour l’homme. (…) », explique l’OMS. Avant de poursuivre : « L’augmentation du risque de cancers cutanés est de l’ordre de 75% pour les moins de 30 ans ayant recours aux UV artificiels au moins une fois dans leur vie »… Dans un récent communiqué de presse, l’Académie nationale de médecine précisait d’ailleurs qu’une « séance dans une cabine de bronzage en France, c’est l’équivalent d’une exposition de même durée au soleil de midi, sur une plage des Caraïbes et sans protection solaire » !

C’est pourquoi, elle se montre particulièrement virulente envers la législation française autorisant ce commerce. Cible de son courroux : le décret no 97-617 du 30 mai 1997 relatif à la vente et à la mise à disposition du public de certains appareils de bronzage utilisant des rayonnements ultraviolets.

Un décret peu contraignant. « En réalité, la réglementation est perverse », reprend le Pr Bazex. « Car elle laisse croire que si les textes sont respectés, cette activité est acceptable. Pour le corps médical, elle n’est pas tolérable. » La législation « délègue une part importante du contrôle des risques sanitaires aux personnes qui tirent le plus grand profit de ce commerce. Est-ce sérieux quand il s’agit de la santé de nos concitoyens ? »

Ces dernières années, l’Académie nationale de médecine a régulièrement renouvelé ses mises en garde sur les dangers des cabines de bronzage. « Comme c’est le cas pour le tabac et l’alcool », elle demande « l’interdiction de toute publicité pour cette pratique unanimement reconnue comme dangereuse pour la santé ».

Rappelons qu’en France, plus de 8 000 nouveaux cas de mélanome sont estimés chaque année.  Comme le soulignait en avril 2012, l’Institut national du Cancer (InCA) « il se situe au onzième rang des cancers, tous sexes confondus. (….) Il est celui qui a la plus forte augmentation d’incidence ». En conclusion, les dermatologues recommandent de s’abstenir de recourir au bronzage en cabine mais aussi de modérer les expositions au soleil naturel. Et enfin de faire régulièrement examiner sa peau. A la moindre suspicion concernant un grain de beauté ou toute lésion pigmentée, consultez un spécialiste.

Ecrit par : David Picot – Edité par : Emmanuel Ducreuzet

  • Source : Interview du Pr Jacques Bazex, 4 juillet 2013 – Académie nationale de Médecine, 24 juin 2013 – Institut national du Cancer, Rayonnements ultraviolets et risques de cancer, 27octobre 2011 - OMS, 17 mars 2005 – Bull. Acad. Natle Méd., 2010, 194, no 6, 1115-1116, séance du 1er juin 2010 - Bull. Acad. Natle Méd., 2009, 193, no 5, 1195-1196, séance du 26 mai 2009 - Bull. Acad. Natle Méd., 2004, 188, no 5, 843-849, séance du 4 mai 2004

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