Distilbène® : 160 000 victimes

02 décembre 2014

Dès les années 50, le Distilbène® était prescrit aux femmes enceintes dans le but de prévenir de graves complications liées à la grossesse. Son inefficacité – puis sa dangerosité pour le nourrisson – a ensuite été établie en 1953. Il a pourtant fallu attendre 1977 pour que les risques de cet œstrogène soient révélés. Pour la première fois, les auteurs d’une étude française dressent le bilan de ce scandale sanitaire. Les précisions du Dr Jean-Martin Cohen Solal, délégué général de la Mutualité Française.

En France, 200 000 femmes enceintes ont pris du Distilbène® entre 1948 et 1977. Il y a 60 ans, ce dernier était reconnu comme efficace dans la prévention de fausses couches, d’accouchements prématurés ou encore d’hémorragies. Mais au fil des années, l’apparition alarmante de cas de cancers du col de l’utérus, du vagin et de malformations génitales a été confirmée chez les femmes exposées à cette molécule dans le ventre de leur mère.

En 2013 et pour la première fois en France, les dégâts de ce médicament ont fait l’objet d’un travail, Distilbène® 3. Encore partiels, les résultats, présentés ce lundi 1er décembre, montrent que « les hommes comme les femmes sont impactés », souligne le Dr Cohen Solal.

Chez les enfants

Dès la naissance puis en grandissant, les garçons sont particulièrement touchés par des malformations génitales : hypospadias (orifice de l’urètre sous la verge), cryptorchidie (testicule non descendu à la naissance). Avant l’âge de 30 ans, les femmes exposées in utero au Distilbène® présentent un risque accru d’accidents de la reproduction (infertilité, grossesses extra utérines, fausses couches, accouchements prématurés).

« Certes il est de moins en moins probable que les femmes victimes – aujourd’hui âgées de 47 à 64 ans – conçoivent un enfant. Le risque de complications pendant la grossesse est alors moindre », décrit le Dr Jean-Martin Cohen Solal. D’autant que le Distilbène®, s’il est encore prescrit aux hommes malades d’un cancer des testicules pour ses propriétés endocriniennes, n’est plus délivré aux femmes enceintes depuis 1977.

Le cancer du sein…

Pour autant, « 160 000 Français adultes seraient potentiellement concernés par d’autres pathologies liées au Distilbène® ». Ainsi, une femme exposée à cette hormone in utero a deux fois plus de risque de développer un cancer du sein. Pour le prouver, l’équipe en charge de l’étude a soumis un questionnaire aux mères ayant donné la vie entre 1950 et 1977. Toutes avaient reçu du Distilbène® au cours de leur grossesse. Ils sont ensuite remontés jusqu’aux filles de ces femmes afin d’évaluer l’incidence du cancer du sein.

Résultat, 16 000 à 20 000 d’entre elles ont déclaré un cancer du sein. « Plusieurs facteurs augmentent le risque de développer cette pathologie. Le Distilbène® n’est donc pas le seul facteur, mais une incidence deux fois plus élevée chez ces enfants exposés est loin, très loin, d’être anodine », souligne le Dr Cohen Solal. Pourtant, un dépistage systématique du cancer du sein n’est pas indiqué à ces victimes potentielles. L’exposition au Distilbène® – pendant la vie embryonnaire ou fœtale – n’est en effet pas considérée comme facteur de risque élevé de ce cancer.

Et les petits enfants ?

Autre point révélé par l’étude Distilbène 3, la transmission de ces risques persiste de génération en génération. Ainsi la 3e génération serait-elle aussi concernée. Pour le prouver, les chercheurs ont consulté 4 663 petits-enfants nés d’une mère exposée in utero au Distilbène®. Résultat, 14% d’entre eux souffrent d’une atrésie (obstruction) de l’œsophage.

Le nombre de petits-enfants Infirmes Moteurs Cérébraux (IMC) était aussi particulièrement important dans cette population. « Enfin les petits-enfants, surtout les garçons, seraient davantage sujets à des troubles psychologiques voire psychiatriques (dépression, troubles des conduites alimentaires, phobie, bipolarité).

  • Source : Conférence de presse Santé Publique : les conséquences du Distilbène (D.E.S.), le 1er décembre 2014 à Paris. Interview du Dr Jean-Martin Cohen Solal, délégué général de la Mutualité Française

  • Ecrit par : Laura Bourgault - Edité par : Emmanuel Ducreuzet

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