Antibiotiques : le triste paradoxe français…

01 janvier 2002
Normalement réservés à la lutte contre les infections bactériennes, les antibiotiques perdent peu à peu de leur puissance. Les bactéries leur résistent. Le traitement des principales maladies infectieuses, tuberculose, pneumonie et paludisme, devient de plus en plus difficile. Et aussi de plus en plus onéreux. Des affections comme la tuberculose, que l’on pensait vaincues, sont beaucoup plus difficiles à traiter. La chloroquine, traitement anti-paludéen le plus répandu n’a plus aucune efficacité dans 81 des 92 pays où le paludisme est endémique. Dans certains pays, plus de la moitié des cas de pneumonie à streptocoque sont résistants à la pénicilline. Les infections nosocomiales, transmises en milieu hospitalier et responsables de 40 000 décès par an aux seuls Etats-Unis, sont presque toujours provoquées par des germes résistants ! La France bat tous les records ! Un antibiotique, c’est une substance d’origine naturelle ou synthétique. Un médicament qui a la capacité de bloquer la multiplication des bactéries et d’autres agents infectieux. Mais… justement pas celle des virus. En outre, chaque famille d’antibiotiques permet de lutter contre des germes bien précis. La France bat tous les records. En 20 ans, la consommation d'antibiotiques y a doublé. Et le Pr Jean-Paul Giroud, chef de service de pharmacologie clinique à l’hôpital Cochin à Paris et expert auprès de l’OMS, dresse un état des lieux inquiétant. « Il y a plus de 60 millions de prescriptions d’antibiotiques en France. Le nombre de prescriptions d’antibiotiques est nettement plus élevé en France, jusqu’à cinq fois plus par rapport à des pays comme la Grande Bretagne, les Pays-Bas et surtout l’Allemagne. » Aujourd'hui, les antibiotiques sont employés à tort et à travers. Leur utilisation s'est comme banalisée. Outre la médecine humaine et vétérinaire, ils sont utilisés comme facteurs de croissance - en quelque sorte de vulgaires vitamines - dans les élevages, les cultures et depuis peu, les organismes génétiquement modifiés. Cette surconsommation généralisée favorise le développement rapide des résistances bactériennes. L’essor du commerce international et des voyages contribue à leur expansion. Faut-il blâmer l’utilisation des antibiotiques ? Oui, lorsqu’elle est injustifiée et inadaptée. C’est alors qu’apparaissent les résistances ! Chez les riches ? Pas seulement ! En Tanzanie, 91% des antibiotiques sont prescrits avec une posologie inadaptée. Conséquences ? Les résistances progressent inexorablement. Ce phénomène, inquiétant et semble t-il irréversible peut mettre en échec les traitements. Si vous êtes traité par un antibiotique alors qu’il s’agit en fait d’une infection virale, le médicament ne sera plus efficace. « Les médecins manquent d’informations » En un an, la Belgique a réussi à diminuer sa consommation d’antibiotiques de 12%. Grâce à un slogan simple et percutant : « Utilisez moins d’antibiotiques mais utilisez-les mieux ». La France elle, reste à la traîne. Plusieurs facteurs expliquent son retard. Pour Jean-Paul Giroud, il s’agit « d’un manque d’information des médecins, mais aussi des patients. Car bien souvent ces derniers nous demandent des antibiotiques. Il y a aussi la poussée des laboratoires pharmaceutiques qui essayent justement d’augmenter la consommation des antibiotiques, dans la mesure ou les prix sont fixes. Donc, comme ils ne peuvent pas jouer sur les prix, ils vont jouer sur le volume. » En France, la médecine de ville est responsable de 30 millions de prescriptions d’antibiotiques. Environ 40% des rhino-pharyngites, 80% des bronchites aiguës et 90% des angines sont suivies d'une ordonnance non justifiée pour des antibiotiques. La situation est tout aussi alarmante dans les hôpitaux, où certaines bactéries tiennent en échec les médicaments les plus puissants. Plus de 40% des patients hospitalisés reçoivent des antibiotiques, alors que la moitié des prescriptions seraient inadaptée ou de trop longue durée. Alors comment réduire cette consommation ? Le gouvernement a décidé de s'attaquer à nouveau à la surconsommation des antibiotiques. A nouveau car, en 1998 déjà, il voulait réduire de 10% sur un an et demi les prescriptions abusives. Il avait alors échoué, la consommation progressant de 10% sur l’année. Le plan actuel prévoit de mettre à la disposition des médecins un test rapide grâce auxquels ils pourront reconnaître, au cabinet médical, une angine virale d’une angine bactérienne. Ce qui devrait occasionner une baisse de 5 à 6 millions du nombre d’ordonnances. Par le biais de messages publicitaires, le grand public se voit expliquer les situations où les antibiotiques sont utiles, et celles où ils ne servent à rien. Enfin, l’Assurance maladie envisage une action coordonnée sur le bon usage des antibiotiques, sensibilisant les assurés comme les prescripteurs. S'il s'agit de moins prescrire en ville, il faut également mieux prescrire à l'hôpital. D'ici à 2005, chaque établissement aura mis en place un « comité des antibiotiques » et désigné un médecin référent en antibiothérapie. Tout traitement doit être suivi jusqu’à son terme Il appartient à chacun de veiller au bon usage de ces médicaments. Les antibiotiques ne doivent être utilisés que sur prescription d’un médecin. Tout traitement doit être suivi jusqu’à son terme, insiste Jean-Paul Giroud. « Pour qu’un antibiotique soit efficace, il faut qu’il arrive à une certaine concentration dans l’organisme. Donc il faut bien respecter l’horaire, la fréquence et la durée du traitement. Si ces règles ne sont pas scrupuleusement suivies, l’antibiotique ne pourra pas bloquer le microbe. Celui-ci va donc se développer. D’autre part, ce n’est pas parce que le patient se sent mieux, qu’il a moins de fièvre, qu’il doit arrêter son traitement. » Après leur succès en santé humaine, l’usage des antibiotiques s’est étendu aux animaux, aux poissons et aux plantes. Dorénavant, ils sont utilisés comme de simples facteurs de croissance. Administrés sous formes d’additifs alimentaires, ils accélèrent la croissance avec une moindre consommation d’aliments. Ils améliorent ainsi la productivité ! En France, la majorité des porcs, des dindons et des veaux sont élevés ainsi. Et les deux tiers des poulets et un tiers des bovins sont nourris de cette façon. Autant d’utilisations qui, pour l’OMS « favorisent l’antibiorésistance ». Là est le danger. Les antibiotiques en médecine humaine et dans l’élevage ont transformé l’état sanitaire des populations. Mais leur facilité d’utilisation a provoqué la sélection de bactéries résistantes, et même multirésistantes. Il est impératif que chacun se responsabilise. La législation s’impose à chacun de nous, et nous devons prendre collectivement conscience des enjeux en cause.
Aller à la barre d’outils