Asthme: les enfants en première ligne

12 septembre 2003
En France, un million d’enfants de moins de 15 ans souffrent d’asthme . Pourtant tous ces petits malades chroniques ont aussi droit à une scolarité normale. Pour cela, il suffit de quelques aménagements, et surtout de savoir se parler et en parler. En ces périodes de rentrée scolaire, Destination Santé a rencontré des parents d’enfants asthmatiques, une lycéenne asthmatique et le Dr Luc Réfabert, pneumo pédiatre à l’hôpital Necker de Paris et secrétaire général de l’association Asthme et Allergies. A l’ordre du jour, la gestion de la maladie et les moyens d’y faire face. Barbara G. a 18 ans. Elle entre en terminale. Cette grande fille, qui veut devenir enseignante en arts plastiques, pratique aussi le théâtre et la danse. Signe particulier : asthmatique depuis son plus jeune âge, elle souffre également d’allergies alimentaires. Elle raconte : « Quand j’étais plus jeune je n’exprimais pas ma maladie, je n’avais pas envie d’être différente. » Mais elle a changé : « J’en ai finalement parlé en classe. J’ai expliqué ma maladie, comment je dois la gérer, comment elle se manifeste... En fait il est vraiment possible d’être comme tout le monde, à condition de ne pas se cacher. Il est important par exemple d’expliquer comment agir en cas de crise. » Barbara n’est pas seule dans son cas. En cette rentrée 2003, chaque classe française accueille en moyenne 3 enfants asthmatiques. Une maladie dont la fréquence, la gravité comme la précocité ne cessent d’augmenter. Et cela dans tous les pays. A tel point que l’asthme est devenu la plus fréquente des maladies chroniques de l’enfant. Aujourd’hui, 10% des enfants âgés de 14 ans sont asthmatiques, contre 7% il y a 20 ans et… seulement 1% au début des années 20 ! Une maladie d’abord inflammatoire Heureusement, le nombre de décès, lui, n’évolue pas dans les mêmes proportions. Il reste stable, ce qui n’est pas satisfaisant pour autant. Car la maladie asthmatique tue encore 2 000 Français chaque année, essentiellement des adultes quelle que soit leur condition sociale. Le décès tragique de Jean Drucker, le jeune PDG de M6, est là pour nous rappeler que ces morts frappent sans distinction, et toujours dans un contexte dramatique. L’asthme est une maladie respiratoire dans laquelle les bronches réagissent par un rétrécissement, parfois brutal, à des irritations minimes. D’où des difficultés à respirer qui s’accompagnent la plupart du temps de sifflements. Une toux sèche, des bronchites qui n’en finissent pas et se répètent, une gêne respiratoire à l’exercice… tous ces indices peuvent témoigner de la présence d’asthme. La réponse à cette maladie ne réside pas uniquement dans la prise de médicaments, même s’ils sont par ailleurs indispensables. Car en plus du traitement médical, il faut aussi contrôler l’environnement, éliminer tout ce qui déclenche des crises. Particulièrement lorsqu’il s’agit d’un enfant, il est indispensable d’informer et d’éduquer sur la maladie et les moyens d’y faire face, le malade et tous ceux qui l’entourent. Trop d’asthmatiques qui s’ignorent Membre du Bureau de l’association Asthme et Allergies de Tours et maman d’un petit Pierre souffrant d’asthme grave, Marie-Pierre Rinn déplore la méconnaissance générale qui entoure la maladie. « J’ai souvent entendu dire que l’asthme était psychosomatique, qu’il ne fallait pas se laisser aller, ou que mon fils n’avait qu’à se dire qu’il n’était pas malade pour aller mieux. Heureusement, ce sont des choses qu’on entend de moins en moins. Car les gens sont mieux informés ». Bien sûr, un asthmatique peut faire une crise après un choc psychologique. Mais l’origine de sa maladie n’est en rien psychosomatique ! Encore faut-il être informé que l’on souffre d’asthme. Selon certaines études, plus du tiers des enfants asthmatiques ignorent leur maladie et ne sont donc pas traités. Bien souvent, ce sont des enfants dont la respiration n’est pas sifflante – si caractéristique de l’asthme. Ou encore d’enfants obèses, dans un contexte de difficultés familiales, exposés au tabagisme passif et manquant d’exercice . Des sédentaires par force, en quelque sorte… «On ne se rend pas toujours compte qu’on est asthmatique. C’est pourquoi il faut faire des épreuves d’effort » Nathalie Guillou, mère de 4 enfants dont 2 asthmatiques, elle-même touchée par la maladie, est elle aussi au Bureau de l’antenne tourangelle d’Asthme et Allergies. Elle regrette – et avec elle de nombreux médecins - le terme de « bronchite asthmatiforme » qui est trop souvent et abusivement employé. Il retarde le diagnostic et le traitement, comme ce fut le cas pour un de ses propres enfants. Car le mieux est évidemment de faire face à la maladie le plus tôt possible, et avec les bonnes armes. Une scolarité au top ! En 2002, un rapport gouvernemental sur l’asthme soulignait « qu’il relève de la mission de l’école d’accueillir tous les enfants avec un même souci d’exigence et d’ambition et que les troubles de la santé, quelles que soient leurs difficultés, doivent… être pleinement intégrés à tous les aspects de la vie à l’école… » D’où la mise en place, pour les enfants porteurs d’une maladie chronique quelle qu’elle soit, de la procédure dite du Projet d’Accueil Individualisé (PAI). Comme le rappelle le Dr Réfabert, pneumo pédiatre à l’hôpital Necker de Paris, « le PAI a été développé au départ, pour les enfants souffrant d’allergies alimentaires. Mais l’asthme, du fait de sa fréquence, a pris une grande place dans ce dispositif. Il s’agit d’un véritable contrat entre le personnel enseignant, la famille et l’enfant sur ce qu’il convient de faire lorsqu’il y a une crise : où sont entreposés les médicaments, est-ce que l’enfant les a sur lui, quels sont les signes d’appel, quelles sont les mesures à prendre… de manière à ce que chacun sache quoi faire. A l’école comme ailleurs, l’enfant victime d’une crise doit pouvoir être soigné dans les meilleures conditions. » Le PAI s’établit toujours à l’initiative des parents. Marie-Pierre Rinn l’affirme tout net : « ce n’est pas quelque chose de difficile ni de compliqué, et c’est assez rapide à mettre en œuvre. Cela apporte beaucoup à l’enfant et aux familles. Et c’est un poids en moins pour les parents, car l’asthme est une maladie très angoissante pour eux. Ils savent qu’ils ne sont pas seuls, qu’ils ont toute une équipe avec eux. » Finalement comme elle le souligne, « pour établir un PAI, le plus difficile est de pouvoir coordonner les agendas afin que tout le monde puisse se rencontre r : médecin scolaire, parents et enseignants. » A certaines périodes, Pierre devait faire des inhalations 5 fois par jour. « Des aménagements étaient prévus pour qu’il puisse les faire pendant les récréations et, malgré les traitements, suivre sa scolarité. Cela lui a permis de se maintenir à un certain niveau. » Ce n’est bien sûr pas toujours aussi idyllique. Des difficultés peuvent survenir. Marie-Pierre Rinn se souvient ainsi des années de primaire de son Pierre : « quand il y avait du brouillard, je demandais à l’instituteur qu’il puisse rester en classe pendant les récréations. A quoi il me répondait que s’il ne pouvait pas rester dehors, il n’avait qu’à rester à la maison. » C’était avant l’époque du PAI et de la reconnaissance des droits des malades, sans doute… Mais quand les choses se passent bien, c’est tout le contraire ! La simple mise en place du PAI déclenche une véritable cascade de solidarités autour des enfants. « Dans la classe » explique la maman de Pierre, « chaque enfant photocopiait les cours pour lui dans les différentes matières. Les professeurs prenaient un peu de leur temps pour l’aider et lui donner des explications supplémentaires. » Alors, n’attendez pas : dès la rentrée scolaire, contactez l’école de votre enfant. « Les PAI, ça existe, il ne faut pas hésiter à les demander » martèle Luc Réfabert. Une vie la plus normale possible Le traitement de l’asthme est certes plus compliqué que celui d’un simple rhume ! « Dans l’asthme, la finalité du traitement est triple » commente le Dr Réfabert. « D’abord limiter les crises ; ensuite permettre à l’enfant de mener une scolarité strictement normale et enfin, préserver une vie familiale et sportive également normale. Et c’est un but facile à atteindre ! » La maladie asthmatique provoque un épaississement des bronches lié à l’inflammation chronique. C’est cela qui entame le capital respiratoire, crise après crise. Comme à la Bourse il faut éviter les crises ! Et à tout le moins, bien les traiter. Sinon à l’âge adulte, le capital respiratoire sera dilapidé. Le traitement de la crise vise à dilater les bronches ; mais la prise en charge de l’asthme ne se limite pas au traitement de la crise ! Le traitement de fond quand il est indiqué, doit être pris tous les jours même en l’absence de signes d’asthme, pour prévenir la survenue d’une crise. Il vise à lutter contre l’inflammation des bronches, et repose sur les corticoïdes inhalés. Autrefois, on ne disposait comme anti-inflammatoire que de la cortisone, en comprimés ou injectable, dont les effets secondaires sont importants. Aujourd’hui les corticoïdes sont administrés en inhalations de manière à déposer le médicament là où il est nécessaire : dans les bronches et pas ailleurs, les corticoïdes par voie orale étant réservés aux asthmes sévères. Le Dr Réfabert se veut rassurant : « on peut donner des corticoïdes inhalés pendant des années sans conséquences. Notre travail est de chercher toujours la dose minimum efficace pour arriver à équilibrer l’asthme tout en restant sans danger pour l’organisme de ces enfants en croissance. » Car tout le monde est d’accord, en matière de corticoïdes, « le moins c’est toujours le mieux » ; en effet même inhalé, le produit arrive toujours à passer dans la circulation sanguine. Et notre spécialiste d’ajouter que « si cela ne suffit pas, au lieu d’augmenter les doses de corticoïdes, on va y associer un autre médicament, soit un broncho-dilatateur de longue durée d’action soit un antileucotriène ». Les antileucotriènes ? Ce sont des médicaments efficaces sur l’inflammation bronchique, disponibles sous forme de comprimés à prendre une fois par jour. Leur mode d’action est différent de celui des corticoïdes et ils sont dépourvus de leurs effets délétères. Ils sont très utiles, par exemple quand l’asthme répond mal aux corticoïdes ou, en complément de ces derniers, pour permettre d’en diminuer les doses. Enfin, leur facilité de prise favorise l’observance du traitement, en particulier chez l’enfant. Mais les médicaments ne sont qu’un des aspects de la prise en charge. Il est capital que le petit malade, comme son entourage, connaissent bien la maladie et ses traitements afin de les utiliser à bon escient. Cela demande du temps et il n’est pas facile de tout expliquer dans le cadre d’une consultation médicale d’un quart d’heure ! C’est pourquoi des « écoles de l’asthme » ont été créées. Des écoles au nombre d’une cinquantaine en France, où les enfants et les parents apprennent, avec des soignants, à gérer la maladie dans les meilleures conditions. Pour en trouver la liste, allez sur le site de l’Association Asthme et Allergies, www.asmanet.com. Un numéro vert a également été mis en place. C’est le 0800 19 20 21. Et si l’initiative prend si bien c’est, Nathalie Guillou en est convaincue, parce qu’elle répond à un besoin crucial. « Les écoles de l’asthme doivent être développées, car une personne non éduquée revient beaucoup plus cher à la collectivité que quelqu’un qui connaît bien sa pathologie et n’aura donc pas de complications. Celui qui ne gère pas son asthme est un futur insuffisant respiratoire. Cela a un coût énorme ». En souffrances pour le malade, et en charges financières pour la collectivité ! N’oublions pas non plus que l’asthme est une maladie évolutive. Pour la suivre, il est indispensable de disposer à la maison d’un débitmètre. Il permet de mesurer à tout moment la capacité respiratoire, et d’évaluer le degré d’obstruction bronchique de l’enfant. Le fait de noter dans un carnet les mesures ainsi relevées permet tout à la fois de prévoir la survenue d’une crise mais aussi (surtout ?) de se rendre compte des progrès réalisés. Le patient est encouragé à se battre. Un environnement adapté à chaque enfant L’asthme forme avec l’allergie un duo infernal : 95 % des asthmes de l’enfant sont d’origine allergique. L’habitation familiale n’a rien d’un refuge contre l’allergie, mais tout d’un lieu à haut risque : acariens dans la literie, poussières de maison, poils ou plumes des animaux domestiques, agents volatils contenus dans les produits d’hygiène ou d’entretien, humidité… sont autant de dangers. Dans un logement sur trois, on retrouve des moisissures et, dans un sur deux, des phénomènes de condensation. Un lieu aéré et clair est toujours préférable pour l’enfant asthmatique, même si au printemps à cause des pollens, il est préférable de fermer les fenêtres pendant la journée. Quand il est à l’école, le petit asthmatique a tout intérêt à fuir le radiateur. Pour éviter de s’endormir dans une douce quiétude, mais surtout parce que le radiateur (ou la source de chaleur) fait voler les poussières ! La plus grande pollution, c’est le tabac Tout ce qui irrite les poumons est à proscrire. Aussi les médias se sont-ils interrogés sur les liens entre la pollution et l’asthme. Mais explique le Dr Réfabert, « si les messages médiatiques portent essentiellement sur les dangers de la pollution atmosphérique, la plus grave des pollutions pour un asthmatique reste quand même celle qui est liée au tabac. Quand vous interrogez des asthmatiques, ils ne sont pas tous d’accord sur l’influence de la pollution. Mais en revanche, ils sont unanimes pour dire que le tabac déclenche des crises d’asthme. » Voilà donc une raison supplémentaire, s’il en était besoin, de ne pas ou de ne plus fumer ! Pour bien respirer, faire du sport ! Les fausses croyances concernant l’asthme sont légion. Dans ce domaine, Luc Réfabert dénonce celle, particulièrement nocive pour les enfants, qui consiste à croire qu’un asthmatique n’a pas le droit de faire du sport. C’est tout le contraire ! La difficulté, c’est qu’un enfant dont l’asthme n’est pas bien équilibré risque d’être gêné à l’effort alors que si l’asthme était bien équilibré, il pourrait pratiquer le sport de son choix. Un seul sport est formellement interdit aux asthmatiques : la plongée sous-marine avec scaphandre. A part ça, tous les spécialistes sont unanimes : « la très grande majorité des enfants asthmatiques peuvent sans problèmes faire du sport, ou bien en prenant quelques précautions c'est-à-dire en prenant leur broncho-dilatateur 10 à 15 minutes avant l’effort, en s’échauffant et enfin en adaptant l’intensité de l’effort à leur état respiratoire. » Ce dont témoigne Marie-Pierre Rinn dont le fils, Pierre, un grand gaillard de 1m80, « fait du foot en dehors de l’école. Quand il n’est pas bien il n’y va pas. C’est lui-même qui gère quand il peut faire du sport ou pas. Mais il a sa place dans l’équipe quand il est présent, même si on ne peut pas toujours compter sur lui. C’est très important de faire un sport, d’avoir ses copains là-bas, bref de vivre normalement. » Transformer un handicap en atout ! Bien des asthmatiques sont devenus sportifs simplement pour lutter contre leur asthme. Et ils en ont fait la base d’un triomphe personnel. Aux Jeux Olympiques de Los Angeles en 1984, 67 athlètes américains sur 597 étaient asthmatiques. Cela ne les a pas empêchés, non seulement d’y participer, mais pour 41 d’entre eux (plus de la moitié !) de remporter une médaille. N’allons pas en conclure que l’asthme soit un avantage. Simplement explique Nathalie Guillou, « le moins peut se transformer en plus. Bien souvent les enfants asthmatiques sont moins superficiels. Ils sont plus mûrs, ils font avancer les autres, souvent ce sont des battants. » Elle pense aussi que « l’asthme peut aider l’instituteur à illustrer les valeurs de solidarité et d’entraide au sein de la classe. Cela peut tout à fait s’intégrer dans les cours d’éducation civique. » Est-ce que les adultes comprendront cela ? En tout cas pour Nathalie Guillou, l’affaire est entendue : « les enfants comprennent mieux, parce qu’ils prennent les choses simplement.»
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