Fraudes : l’Assurance-maladie tend ses filets
10 août 2009
Arrêts de travail injustifiés, ordonnances falsifiées, facturation d’actes non-effectués, prescriptions abusives de transports sanitaires... La lutte contre les abus et la fraude s’intensifie à l’Assurance-maladie. En 2008, près de 132 millions d’euros ont été récupérés. C’est… treize fois plus qu’en 2005 ! Les sanctions contre les assurés et les professionnels hors-la-loi pleuvent également : l’an passé, 230 condamnations pénales et près de 300 interdictions d’exercer ont été prononcées en France.
Directeur de la Répression des Fraudes à l’Assurance-maladie, le Dr Pierre Fender est plutôt satisfait de ces chiffres. Depuis son bureau qui surplombe la Seine à Paris, c’est lui qui impulse la lutte anti-fraude de l’institution. A ses côtés, 37 personnes chargées de débusquer les petits et gros contournements au Code de la Sécurité sociale. Sans compter bien sûr, les 1 700 médecins conseils et autres agents en régions.
D’une manière générale, en France, «
les fraudes à l’Assurance-maladie sont détectées de trois façons », nous explique-t-il. «
Il y a bien sûr l’analyse du dossier de remboursement faite par un agent d’une caisse régionale d’Assurance Maladie, les signalements et autres dénonciations anonymes, et enfin mais surtout, les renseignements qui jaillissent des bases de données informatiques ».
Pierre Fender a les yeux rivés sur ces « moulinettes informatiques », créées dans son service à partir d’indicateurs spécifiques. L’objectif est de faire ressortir des chiffres à la pelle, mais aussi quantité de courbes. Il se penche sur l’une d’elles, et ses yeux s’arrêtent sur «
cette minorité de personnes qui génèrent un très grand nombre de dépenses. Curieux… Nous allons nous occuper de ces personnes », nous dit-il.
De quoi sont-elles donc présumées coupables ? Car à ce stade, Pierre Fender ne s’inscrit pas dans la présomption d’innocence… Il les soupçonne en effet, au pire de fraude caractérisée, au mieux de faute, ou d’abus. La précision sémantique a son importance. «
Plusieurs éléments doivent être rassemblés pour qu’il y ait fraude », poursuit-il. «
Il doit y avoir intention délictueuse, et la présence d’un élément matériel, autrement dit une preuve. Enfin et c’est notamment ce qui la distingue de la faute ou de l’abus, la fraude doit se rapporter à un élément légal. Cela peut être un texte de loi, qui qualifie alors le grief » formé contre le fraudeur.
Un exemple concret? Votre médecin vous prescrit un arrêt de travail jusqu’au 2 septembre. Et mine de rien, vous ajoutez un autre 2 devant le chiffre avant de l’envoyer à votre caisse. Vous venez d’allonger votre arrêt de 20 jours ! En transformant la date, vous avez produit un faux, ce qui est une infraction pénale (art. R-441.1 du Code pénal).
Explosion des indemnités journalières…
Plus de 10 000 fraudes de ce type se produiraient chaque année en France… Encore ne s’agit-il là que des cas portés devant les tribunaux. «
Bien sûr le faux peut passer inaperçu. Mais lorsqu’il est intercepté, il se termine à coup sûr au service contentieux ». Et l’Assurance-maladie est alors certaine de récupérer son dû.
C’est en revanche loin d’être le cas pour les abus et les fautes... L’exemple incontournable, c’est celui du médecin qui prescrit un arrêt de travail injustifié à un « patient » qui n’est pas souffrant. Fatigué, le malade a simplement besoin de « souffler ». Ou il aimerait bénéficier de quelques jours pour tapisser la chambre du petit dernier, changer la toiture de la maison ou faire les vendanges…
En France, plus d’un arrêt de travail sur dix (13%) est inadapté ou injustifié. Résultat, les indemnités journalières ont explosé. Au premier trimestre 2009, elles ont augmenté de 6,4% par rapport à la même période l’année précédente. Et d’une manière générale, elles sont en augmentation constante depuis une dizaine d’années.
Mais comme l’a relevé récemment la ministre en charge de la Santé, Roselyne Bachelot-Narquin, «
la croissance des indemnités journalières est surprenante en temps de crise ». Conséquence : les contrôles vont se renforcer. En 2008, environ 1,5 million de contrôles ont été réalisés par les services médicaux de l’Assurance-maladie (contre 900 000 en 2007 et 700 000 en 2006). Et 170 000 ont effectivement reçu un avis défavorable. Et demain, les assurés sociaux seront davantage contrôlés. En cas de faute, ils s’exposent notamment au remboursement des indemnités indûment perçues.
… et des mises sous « accord préalable »
Les gros prescripteurs d’arrêts-maladie seront également suivis de plus près. Pour cela, les autorités vont augmenter les mises « sous accord préalable ». Il s’agit ni plus ni moins, d’un encadrement de la prescription.
Dans les faits, généralistes ou spécialistes devront se justifier auprès de leur caisse régionale avant de prescrire un arrêt maladie… La sanction est généralement étendue sur 4 à 6 mois. L’an passé, 146 médecins, réputés gros prescripteurs d’arrêts ont ainsi été pénalisés. L’économie réalisée est loin d’être négligeable : 13,3 millions d’euros.
Mais la mise sous accord préalable ne concerne pas seulement les arrêts-maladies. L’an passé, 140 professionnels ont été placé sous ce dispositif parce qu’ils abusaient des prescriptions de transports sanitaires.
Les transports sanitaires ? C’est justement l’autre poste de dépenses auquel Roselyne Bachelot-Narquin souhaite s’attaquer. Se rendre à l’hôpital en ambulance pour un pied cassé, prendre le taxi à la place du bus… les Français abuseraient des transports remboursés. «
Ces mauvaises habitudes doivent cesser. C’est une question de citoyenneté » insiste Dominique Thibaud, le Président de la Caisse primaire d’Assurance-maladie (CPAM) de Nantes, qui vient de lancer une campagne d’information sur le bon usage de ces transports.
Les médecins aussi sont visés. «
Nous voulons les accompagner et les soutenir pour éviter les abus, et ainsi mieux gérer le budget de ces transports », poursuit-il. De son côté, la ministre a fait savoir que des contrôles renforcés seraient réalisés dans les 200 établissements hospitaliers qui prescrivent le plus de transports…
Les contrôles au sein même des sociétés de transports vont enfin s’accélérer. Au total, 400 ont déjà été réalisés en 2008 : vérification des prescriptions de transports, de la réalité des transports réalisés, surfacturations et conditions d’exercice (autorisations des véhicules, diplômes des personnels…), tout est épluché !
Pour s’être rendu coupable de falsifications de prescriptions et de surfacturation, un gérant d’une société de transports de la région Rhône-Alpes a été condamnée en 2008, à 15 mois de prison avec sursis, une mise à l’épreuve de 3 ans et 40 000 euros de dommages et intérêts !
En 2009 : récupérer 150 millions d’euros
C’est toutefois auprès des établissements hospitaliers que l’Assurance-maladie a « récupéré » le plus de deniers en 2008 : précisément 32,6 millions d’euros sur 132 millions d’euros de recouvrements, soit le quart. Dans ce domaine, les fautes concernent en premier lieu des facturations d’hospitalisations pour des actes qui n’en relèvent pas. Exemple : un service hospitalier qui va facturer une hospitalisation à temps partiel pour une simple excision de verrue ou un plâtre enlevé !
Les actes de chirurgie esthétique sont également analysés à la loupe. L’objectif dans ce cas est de débusquer les interventions esthétiques (qui ne sont pas remboursés) maquillées en interventions réparatrices qui elles, sont prises en charge par l’Assurance-maladie. En 2008, une demande de remboursement sur cinq a été refusée. Soit une économie pour la collectivité de près de 11 millions d’euros.
Les prescriptions de médicaments, d’actes de kinésithérapie, les soins infirmiers ou les actes des sages-femmes (voir ci-dessous) sont également dans le collimateur. L’Assurance-maladie en fait, charge tout azimut et parfois à l’aveugle comme le font d’ailleurs d’autres institutions qui se lancent dans une guerre contre la pratique réelle (ou supposée…) des dessous de table... «
Nous ne baisserons pas la garde » a promis Roselyne Bachelot-Narquin. Repérer, sanctionner, dissuader… la chasse aux fraudeurs est plus que jamais lancée. En 2009, l’objectif de l’Assurance-maladie est de récupérer 150 millions d’euros. Coûte que coûte, au prix d’approximations qui relèvent de l’inquisition ?
Les ratés des frappes chirurgicales
Dans un monde où les règles évoluent sans cesse au gré du législateur et de sa recherche légitime d’économie, n’est-il pas il est permis de se demander si l’Assurance-maladie n’en arrive pas parfois, à manquer à son devoir d’information du malade comme des professionnels de santé…
Certaines frappes chirurgicales connaissent en effet quelques ratés. Illustration avec ces sages-femmes, accusées ici et là en France de facturer des actes fictifs. Pour des raisons pratiques, de nombreuses professionnelles regroupent deux par deux les 8 séances de préparation à l’accouchement prises en charge par l’Assurance-maladie. Le problème, c’est que «
notre logiciel informatique ne permet pas techniquement, d’afficher pour un même jour, 2 séances pour une patiente », nous explique l’une d’elles. «
Pour contourner le problème, nous entrons donc une séance le jour J et une autre la veille ». Simple ? Sauf pour l’Assurance-maladie qui considère qu’il y a là « facturation d’actes fictifs ». Elle a donc entrepris un peu partout en France, des contrôles ciblés avec interrogatoire des professionnels… et surtout des patientes !
Des contrôles dont la forme est vivement contestée par les sages-femmes. «
Nos patientes voient débarquer à leur domicile et sans prévenir, un(e) juriste de l’Assurance-maladie. Celle-ci est chargée de relever les dates et heures de toutes les séances de préparation à l’accouchement réalisées sans en dire beaucoup plus, si ce n’est qu’il s’agit de régler un problème de cotation ».
Pour cette sage-femme, «
cette façon de faire est terriblement humiliante. C’est un vrai discrédit. Nos patientes se posent des questions ». L’enquête se poursuit en général par un contrôle de la sage-femme. «
Sur la forme, il est vrai que nous entrons des dates fictives. Mais nous n’avons pas d’autre possibilité. En France nous sommes nombreuses à faire la même chose. Ce qui me rassure, c’est que nous ne volons pas un centime à la Sécu ni bien évidemment aux patientes, qui font toutes leurs séances prévues ».
A SAVOIR :
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