Grippe : la peur du millénaire ?
01 janvier 2000

La grippe est dangereuse pour deux motifs. D’abord à cause des complications qu’elle entraîne chez les personnes affaiblies. Les vieillards, les immunodéprimés, les malades souffrant de maladies chroniques comme le diabète, l’hypertension artérielle, l’insuffisance cardiaque, l’asthme ou toute forme d’insuffisance respiratoire entrent dans cette catégorie. C’est pourquoi la Sécurité sociale prend leur vaccination en charge. Grâce à cela le nombre de morts est passé de 18.000 à 30.000 dans les années 70 à moins de 2.500 en 1998. Il y a toutefois un autre danger. L’épidémie voyage rapidement d’une communauté à une autre et à travers le monde. Elle peut ainsi toucher des populations importantes et c’est ainsi que la pandémie de 1918 aurait affecté pratiquement 50% de la population mondiale. Les personnes vivant dans des environnements communautaires comme les maisons de retraite sont particulièrement exposées !
Elargir les indications de la vaccination
Invalidante, la maladie invalidante entraîne une rupture du rythme de travail : 8 jours en moyenne. Cela coûte cher en soins, en indemnités journalières et… en pertes de salaires pour les malades. Une épidémie comme celle de 1989-90, avec ses 4 millions de cas, auraît couté plus de 3 milliards de francs en frais médicaux et médicaments. Sans compter la charge - 16 fois supérieurs selon l’INSERM – des 17 millions de journées de travail et 7 millions de journées d’école perdues de ce fait ! Car cette année-là, 40% des malades avaient moins de 20 ans…
La grippe de l’an 2000 peut-elle être dangereuse ?
Chef du service des maladies infectieuses au CHU de Grenoble, le Pr. Max Micoud a donc quelque raison de contester l’idée selon laquelle le vaccin antigrippal serait un vaccin de vieux. Il le recommande pour sa part « à toutes les personnes vivant en communauté ou en institution, à tous les sujets professionnellement exposés aux risques épidémiques et à tous les actifs indispensables à la bonne organisation sociale et économique du pays. » Dans la première catégorie et en ne comptant pas les personnes âgées déjà incluses dans la campagne de la sécurité sociale, faisons entrer les scolaires et les internes. Les employés des transports en commun et des aéroports, les commerçants sont également exposés au risque épidémique, en raison de leur contact avec le public. Ils entrent donc dans la seconde catégorie. Quant aux personnes « indispensables au fonctionnement du pays » elles sont fort nombreuses.
L’an dernier à Hong Kong un virus spécifique au poulet - responsable donc de la grippe aviaire – a franchi la sacro-sainte barrière des espèces et s’est trouvé transmis à l’homme. Il a provoqué neuf cas de grippe dont deux mortels. C’est peu de choses en apparence. Cette « flambée » a cependant provoqué une mobilisation internationale car si le mode de transmission n’a pas été élucidé, le phénomène est considéré comme alarmant. La vaccination est donc à l’ordre du jour.
La formule du vaccin pour cette saison a été fixée au printemps dernier par l’O.M.S.. Il est disponible depuis plusieurs semaines et pour le Dr. Daniel Lavanchy, responsable du groupe des maladies transmissibles à l’O.M.S., le risque d’une mutation majeure et d’une pandémie ne peut être écarté. « C’est sûr, il y en aura une qui reviendra un jour. La politique de vaccination systématique est ciblée pour les épidémies annuelles. Ce système tout prêt pourra naturellement représenter un atout en cas de pandémie. » De la même façon, le fait de disposer maintenant d’un médicament qui a prouvé son efficacité contre les virus A et B ne saurait justifier que nous baissions la garde de la prévention. « Il faut vous vacciner. Vous n’allez pas pouvoir prendre des médicaments pendant des semaines voire un ou deux mois pour vous protéger », insiste-t-il. En revanche, « il y a des situations où on n’est pas protégé. Soit parce qu’on a oublié de se vacciner, soit parce qu’il y a eu des contre-indications au vaccin. Dans ces cas le médicament est excellent, à condition de commencer le traitement dans les 36 heures après le début de l’infection. Or ce n’est pas toujours évident de débuter un traitement 36 heures après les premiers symptômes... » D’autant plus que durant cette période fatidique la maladie peut passer inaperçue ou les symptômes être mal identifiés. Le malade est grippé, contagieux mais ne le sait pas…
La vaccination, seule prévention efficace
Le vaccin est donc la seule solution de masse réellement envisageable. Efficace entre 70% et 90% selon la tranche d’âge, il réduit toujours la sévérité de l’infection. Chez les plus de 65 ans, les Suisses estiment que la vaccination réduit de 50% le nombre d’épisodes de grippe et de 70% le nombre d’hospitalisations et de décès qui lui sont imputables.
Comme il s’adresse à des populations très diverses, sa mise en œuvre n’est pas toujours simple. Avec un taux de vaccination proche de 21%, la France fait figure d’exception en Europe, où le taux de couverture le plus faible (6,1%) est réalisé par la Suisse et l’Autriche. Ces différences s’expliquent par le fait que les autorités ne décident pas toujours d’accorder la gratuité aux candidats à la vaccination. Elles sont dues, aussi et pour une large part, à ce que l’information et la motivation du public comme des professionnels ne sont pas toujours menées avec un égal bonheur.
Anthropologue, Catherine Ammon a mené pour les autorités suisses un travail sur l’importance des facteurs socioculturels dans la prise en compte des recommandations vaccinales. Il a montré que 54% des résidents des lieux de soins - maisons de retraite et hôpitaux - sont vaccinés en Suisse italienne. Elles sont 37% en Suisse alémanique et 59% en Suisse romande francophone. En France et alors que les recommandations officielles sont rigoureusement les mêmes, la couverture vaccinale de ces populations dépasse 72%. ! Pour Catherine Ammon il est « évident qu’une approche unique est impensable. Le message doit être adapté à chaque personne, à chaque groupe-cible. Il n’est pas possible d’envisager une seule information pour les personnes âgées, les jeunes ou les gens qui travaillent. Il est important d’adapter son message, d’identifier les différentes populations auxquelles on s’adresse et de leur donner des information claires et compréhensibles pour se prémunir contre la grippe. Une analyse plus pointue permet de savoir quelles sont leurs perceptions, leurs représentations de la maladie, ce qu’elles attendent exactement comme message pour comprendre le danger et l’imminence d’une pandémie. » Dans la mesure où il est établi que la vaccination permet à la collectivité de réaliser des économies , sans doute le jeu en vaut-il la chandelle.
Basé comme à l’accoutumée sur l’association de trois souches vaccinales, le vaccin peut encore être administré dès maintenant. C’est l’avantage du système de surveillance développé par la France, qui permet de « voir venir » une épidémie. Comme l’immunité est généralement acquise en une quinzaine de jours, il est encore temps de réagir au moment de l’alerte...
Comme l’explique le Dr Jean-Marie Cohen, coordinateur national des GROG (Groupes régionaux d’observation de la Grippe), « le virus se balade autour du globe et provoque des épidémies. Et ça peut très bien être une épidémie patchwork. Vous pouvez avoir 2 villes séparées de 10 kilomètres. Une semaine la ville A sera extrêmement épidémique, alors que dans la ville d’à côté il ne se passera rien et puis la semaine suivante, ce sera l’inverse. En fait l’épidémie sur la France dure à peu près 5 à 6 semaines, mais sur un village donné elle est en général beaucoup plus courte et flambe sur une courte période. En revanche, le GROG la voit arriver très longtemps à l’avance, quelquefois même trois mois avant. » Il est donc encore temps de lancer une vaccination par ailleurs très bien ciblée. « Nous exerçons une surveillance virologique, et savons précisément quels virus circulent. Leur analyse à la fois épidémiologique et virologique permet d’être prêt quand l’épidémie démarre. Nous savons alors à quel virus nous avons à faire. »
Les groupes à risque:
La Sécurité sociale accorde le bénéfice d’une vaccination gratuite aux personnes considérées à risque. Ce sont les 70 ans et plus, ainsi que les patients souffrant d’une affection de longue durée reconnue comme aggravante dont le diabète, l’insuffisance cardiaque, l’asthme et les broncho-pneumopathies chroniques obstructives (BPCO). C’est aussi le cas des immunodéprimés, transplantés ou infectés par le VIH.
Aux yeux de certains spécialistes ce n’est pas suffisant. Il convient d’y ajouter les jeunes d’âge scolaire ou universitaire, les travailleurs exposés à des contacts en grand nombre (transports et services publics, policiers, militaires, commerces…), les professions de santé et toutes les personnes appelées à être en contact avec des sujets pour qui l’infection représenterait un risque aggravé. Le Comité consultatif américain y ajoute les femmes enceintes durant la période épidémique. En France et malgré l’absence d’effets adverses néonatals observés sur plus de 2.000 femmes enceintes vaccinées, certains préfèrent l’éviter au cours du 1er trimestre.
Il y a grippe et grippe...
De nombreux germes peuvent entraîner des symptômes qui rappellent ceux de la grippe : courbatures, frissons, petite fièvre, nez bouché, gorge sensible, toux… Le malade se sent un peu grippé mais ces malaises provoqués par des bactéries ou des virus variés ne présentent pas le caractère littéralement explosif de la vraie grippe provoquée par le virus Influenza. Une forte fièvre - souvent plus de 39° - s’installe, parfois en 5 à 10 minutes. Elle est accompagnée de frissons intenses et de courbatures et le tableau va se maintenir trois jours. Après un répit qui peut durer 24 heures la fièvre reprend pour disparaître de nouveau après 3 ou 4 jours. Les antibiotiques sont inutiles. Ils n’agissent pas sur les virus. Différents médicaments spécifiques ont démontré une efficacité dans la grippe mais un seul, le zanamivir, s’est avéré efficace contre les virus du type A et du type B. Encore le traitement doit-il être mis en place dans les 36 heures suivant le début de la maladie.
Quant à la grippe intestinale, elle ne mérite pas son nom. Caractérisée par des douleurs abdominales accompagnées de diarrhées et de nausées, elle n’est pas due à un virus grippal et ne présente pas de caractère épidémique. Cette « grippe » procède de l’abus de langage, sans doute à cause des signes de sa phase initiale - malaises, frissons, fièvre - qui apparaissent avant les troubles intestinaux.