«La sécurité du sang commence par moi !»
01 avril 2000
Pour la première fois, à l’occasion de la Journée mondiale de la santé, l’Organisation Mondiale de la Santé s’est associée à un partenaire. La Fédération internationale des Sociétés de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge l’a rejointe pour une action sur un thème qui nous concerne tous : la sécurité transfusionnelle. Les deux organisations entendaient ainsi montrer que la qualité du sang est d’abord un problème de terrain. Pas seulement une question de politique sanitaire. Chacun peut avoir besoin de sang. A tout moment, une maladie, un accident peuvent provoquer une hémorragie si abondante qu’elle représente une menace vitale.
Les affaires de sang contaminé qui ont émaillé l’actualité de plusieurs pays ont mis en lumière le caractère primordial de la sécurité sanguine. Elles ont provoqué une véritable prise de conscience. Dans ces pays mais aussi, heureusement, bien au-delà. Partout, la nécessité de mettre en place des politiques garantissant la qualité transfusionnelle a été bien comprise. C’est un impératif déontologique. C’est aussi indispensable pour ramener les donneurs dans les centres de transfusion.
Partout, les progrès sont réels. Toutefois, dans les pays les moins favorisés entre 5 et 10 % des contaminations par le VIH se font à l’occasion de transfusions. Il peut s’agir soit de sang total, soit de dérivés de sang contaminé. Le même cas se présente, bien sûr, pour les contaminations par les virus des hépatites B et C.
Il suffirait pourtant que chaque pays soit doté d’une stratégie appropriée pour éliminer tout risque de transmission infectieuse. La plupart des virus et des bactéries peuvent être dépistés. Le problème est que dans les pays les plus pauvres, les ruptures de stocks en tests de dépistage ne sont pas rares ! La solution relève de la responsabilité directe des gouvernants. Pour le Dr Mickaël Scholtz, directeur exécutif de l’OMS chargé des technologies et des médicaments, « certains pays doivent acheter des tests de dépistage supplémentaires en fonction des risques spécifiques : les risques du virus du SIDA, de l’hépatite B, de l’hépatite C. Pour que cela fonctionne, l’engagement des gouvernements est essentiel aussi bien pour la mise en place que pour assurer la continuité des services professionnels. Les gouvernements sont responsables de ce qui doit être compris comme une ressource communautaire. »
Le premier gage de sécurité en matière de transfusion sanguine, c’est l’existence d’un vivier de donneurs volontaires et non rémunérés. Comme l’explique Mickaël Scholtz : « Le slogan de notre campagne c’est « La sécurité du sang commence par moi. » La première mesure pour améliorer la sécurité transfusionnelle consiste à ne prélever que du sang offert par des donneurs bénévoles, désintéressés, non rémunérés qui ont comme seule motivation de rendre service à quelqu’un, un anonyme qui en a besoin.»
La sécurité transfusionnelle est tributaire de la franchise et de la vigilance du donneur individuel. En offrant son sang pour sauver des vies, il s’engage personnellement.
Le sang ne doit contenir ni virus, ni drogue, ni alcool
Pour être répondre aux exigences normales de sécurité, le sang et les produits sanguins ne doivent contenir ni virus, ni parasite, ni drogue, ni alcool, ni substance chimique étrangère d’aucune sorte… Le donneur doit de toute évidence être en bonne santé. Ne pas avoir, et ne pas avoir eu de maladie grave. Toute infection en cours, même bénigne, est un empêchement ! Le donneur doit rester vigilant, attentif à son état de santé. Pour être en situation de donner, il suffit… d’être en forme.
Toutes les infections sont une contre-indication
Pour Mickael Scholtz : « Toutes les infections sont une contre-indication naturellement. Bien sûr on doit rejeter tous les donneurs professionnels, qui touchent de l’argent, parce que c’est un risque d’avoir du sang mauvais. La responsabilité de chacun c’est de regarder bien son sang, pas seulement quand il donne du sang, mais pour lui même aussi, parce que c’est une fonction fondamentale de la santé. »
Toute transfusion doit en effet répondre à un double impératif : ne pas nuire au receveur et, bien naturellement, ne pas faire courir de risque au donneur. Alors en fait, quand et dans quelles conditions peut-on donner ?
- pour le sang total : de 18 à 65 ans, 5 fois par an pour les hommes, 3 fois pour les femmes ;
- pour le plasma : de 18 à 60 ans, 20 fois par an
- pour les plaquettes : de 18 à 60 ans, 5 fois par an ;
- pour les globules blancs : de 18 à 50 ans, 2 fois par an.
Le don du sang est un geste universel, généreux et désintéressé. Si le besoin est si important, s’il est permanent, c’est parce qu’il s’agit d’un tissu à la durée de vie très courte.
Partout et pour tout, des malades en dépendent. Les accidentés et les opérés ne sont pas seuls dans ce cas. Les hémorragies et la chirurgie représentent une part importante des besoins. Toutefois, le don du sang revêt aussi un caractère vital pour le traitement des anémies provoquées par certaines maladies parasitaires. Des centaines de millions de personnes dans le monde en sont victimes. Le paludisme, la filariose, la dengue, la maladie de Chagas, la leishmaniose et la maladie du sommeil en sont de bons exemples. Certaines de ces maladies provoquent une anémie grave et des hémorragies telles que la transfusion peut alors être le seul moyen de sauver ces malades. N’oublions pas enfin les grands brûlés, les hémophiles et les dizaines de milliers de femmes en couches qui pourraient être sauvées ainsi.
150 000 femmes pourraient être sauvées
Savez-vous, en effet, que près de 500.000 femmes meurent chaque année en couches ? Dans bien des cas une transfusion sanguine suffirait pour les sauver. Pourtant, beaucoup d’entre elles n’ont pas accès à du sang ou des produits sanguins de qualité. Elles risquent donc de mourir, soit par la faute d’un sang contaminé soit, au contraire, faute de sang. Sur ces 500.000 femmes, 150.000 pourraient être sauvées chaque année si les soignants pouvaient les transfuser.
L’OMS propose un code du bon usage du sang.
Aux yeux de ses responsables, pour garantir la sécurité transfusionnelle deux conditions doivent être réunies: d’abord généraliser des directives nationales pour le bon usage du sang et des produits sanguins; et former les prescripteurs afin d’éviter toute transfusion superflue ou inappropriée. Vous trouvez cela suprenant ? Détrompez-vous. Ce n’est pas évident partout. Même chez nous, dans nos sociétés d’abondance.
La priorité absolue, c’est de faire en sorte que toute transfusion soit utile. La transfusion sanguine ne constitue pas toujours la réponse la mieux adaptée ou la plus sûre. Elle pourrait souvent être remplacée par une alternative fondée sur l’utilisation de solutions de remplissage, comme les spécialistes les appellent. Constituées de colloïdes et de cristalloïdes, elles permettent de compenser les pertes en volume sanguin.
En fonction de chaque cas, c’est au médecin de poser un choix responsable.Comme l’explique Mickael Scholtz, « la transfusion est une thérapeutique qui ne doit être utilisée seulement quand elle est indispensable. C’est absolument important ne serait-ce que pour respecter le geste du donneur de sang mais aussi pour éviter tout risque injustifié au receveur. Quels sont les grands besoins ? Bien sûr il y a des besoins différents. En Europe par exemple, nous avons besoin de sang pour la chirurgie lourde, ou le traitement des cancers ou des maladies du sang. En Afrique par exemple, il y a d’autres besoins, pour les cas d’anémie des enfants atteints de paludisme ou bien avec les complications des femmes de la grossesse. »
Des besoins grandissants mais toujours plus d’exclus !
Dans tous les pays, les volontaires exclus du don du sang sont malgré tout plus nombreux, année après année. Pourquoi cela ? Précisément pour renforcer la sécurité transfusionnelle.
Pour certains spécialistes l’ensemble des contrôles effectués sur chaque prélèvement élimine quasiment tous les risques. Or ce n’est qu’en partie vrai. D’abord parce qu’en dépit de leur très grande sensibilité, les tests ne peuvent détecter une contamination très récente. Les contrôles se font à un jour donné, ce qui ne garantit en rien l’absence d’un virus. La fenêtre de séroconversion est le laps de temps entre la contamination et l’apparition dans le sang des anticorps qui « signent » l’infection, comme pour les hépatites ou les infections par le VIH. Par ailleurs, des risques nouveaux se font jour. La découverte du virus de l’hépatite G, l’identification de la protéine prion qui, dans sa forme malade est responsable de la maladie de Creutzfeldt-Jakob, en sont l’illustration.
Jusque dans un passé récent, les transfusés ne pouvaient donner leur sang pendant un an. Comme il est difficile de prévoir tous les risques nouveaux et au nom du principe de précaution, ils s’en trouvent désormais définitivement exclus. C’est également le cas des malades qui ont bénéficié d’une transplantation d’organe.
En médecine comme dans d’autres domaines le risque zéro n’existe pas, mais il faut savoir s’en rapprocher le plus possible. C’est ainsi que dans les pays les plus exigeants, on a étendu l’exclusion des donneurs aux greffés et aux transfusés.
Il est en effet inconcevable de donner un sang contaminé ! Voilà pourquoi chaque don doit être précédé d’un entretien avec un médecin et d’un examen approfondi. Cette rencontre est personnelle. Dans le cadre d’un échange confiant, elle permet d’évoquer tous les problèmes anciens ou récents susceptibles de constituer un obstacle à la transfusion : hospitalisations, interventions chirurgicales, transfusions, infections, vaccination récente, traitements par l’hormone de croissance, greffes de tissus… La vie personnelle du donneur est aussi évoquée : comportements à risques, usage même une seule fois de drogue intraveineuse, voyages à l’étranger… C’est au médecin de décider si le don peut être accepté, s’il doit être refusé ou temporairement ajourné comme, par exemple, après une infection même bénigne ou une grossesse.
Depuis avril 1997, tous les produits sanguins utilisés dans certains pays européens dont la France sont traités par déleucocytation. Il s’agit d’en retirer les globules blancs. Certains travaux ont en effet suggéré que des protéines prions pouvaient y être présentes. Même si la réalité de ce risque n’est pas encore démontrée, le principe de précaution prévaut dans un nombre grandissant de pays. Ces exigences et ces nouvelles techniques de traitement du sang contribuent à augmenter la sécurité transfusionnelle.
Pourtant, ces conditions sont loin d’être satisfaites dans tous les pays et toutes les régions. Pour Mickael Scholtz : « A peu près 20% du sang n’est pas testé, car il manque les moyens financiers, mais aussi la volonté politique. C’est un problème auquel on doit faire face maintenant, avec cette campagne pour améliorer la connaissance des risques.»
Aujourd’hui encore, chaque année dans le monde jusqu’à 13 millions de dons de sang ne font l’objet d’aucun dépistage du VIH ou des virus des hépatites B et C. Surtout dans les pays les moins favorisés, où 80 % du sang provient de dons familiaux.
Le sang et ses produits dérivés doivent être irréprochables. Partout dans le monde. Or 20 à 30 % seulement des systèmes sanitaires sont aujourd’hui capables de répondre aux besoins quantitatifs des patients. Le nombre de donneurs en bonne santé est limité. Chaque année, plus de 100 millions d’unité de sang sont prélevées. Pourtant, il en faudrait bien des millions en plus pour répondre aux besoins.
Même dans les pays nantis, la situation devient parfois préoccupante… La Suisse est ainsi un des rares pays au monde à couvrir ses besoins en sang. Toutefois la baisse de la natalité - 30% depuis l’introduction de la pilule en 1964- et le vieillissement de la population risquent à brève échéance de poser un sérieux problème. Le nombre de personnes qui ne sont plus en âge de donner leur sang ne cesse d’augmenter et en 2020, près d’un suisse sur trois aura plus de 65 ans.
C’est dans les situations d’urgence -guerre, catastrophe naturelle, accident à grande échelle- que la nécessité d’un service de santé efficace se fait le plus sentir. Un conflit intérieur ou une guerre peut détruire des hôpitaux, des dispensaires et faire perdre les stocks médicaux réfrigérés, au premier rang desquels le sang. Dans de telles circonstances, les services transfusionnels sont surchargés.
Lors d’une crise, les donneurs spontanément volontaires sont nombreux. Une fois la crise passée, les réserves de sang ne suffisent plus à répondre aux besoins quotidiens. Pour éviter pareille situation, les services transfusionnels doivent être efficaces. Et en particulier reposer sur des fichiers de donneurs réguliers.