Lyon sur la traque des virus
01 février 2001

La fièvre d’Ebola en Europe ? La fièvre de la vallée du Rift en Amérique du Nord ? Ces deux scénarios catastrophe ne se sont pas produits. Mais il s’en est fallu de peu ! L’inauguration à Lyon d’un nouveau pôle de l’OMS est le résultat d’un véritable marathon technique et international. Le 16 mai dernier à Genève, le Dr Gro Harlem Brundtland Directrice générale de l’OMS, et Dominique Gillot alors Secrétaire d’Etat français à la Santé et aux Handicapés, avaient signé avec Charles Mérieux la convention portant création de ce pôle de l’OMS. Il y avait urgence…
« Pendant que nous profitions des fêtes de fin d’année, la plupart d’entre nous ne pensions pas que la sécurité sanitaire publique était menacée. Dans des pays lointains, des flambées de maladies infectieuses telles que la fièvre de la vallée du Rift et la fièvre Ebola auraient pu venir menacer notre sécurité sanitaire. En Europe ou en Amérique du Nord. »
Ces mots de David Heymann, Directeur exécutif de l’OMS chargé des Maladies transmissibles, font froid dans le dos. La Vallée du Rift, Ebola : les virus les plus dangereux au monde ! Il les connaît bien. En Afrique subsaharienne, il les a côtoyées pendant 13 ans.
En 1976 il a participé à l’enquête sur la première flambée de virus Ebola. C’était à Yambuku, dans l’ex-Zaïre. Puis à celle qui a suivi la deuxième flambée à Tandala, en 1977. Et en 1995, il a coordonné la riposte internationale à la flambée de fièvre Ebola de Kikwit, encore présente dans les mémoires…
Au cours des 20 dernières années, une trentaine de nouveaux virus, bactéries ou parasites ont été identifiés : VIH, hépatite B, Ebola et rotavirus... Les mouvements de populations, de marchandises, l’apparition de souches résistantes de microbes connus pèsent également sur le risque épidémique et justifient cette inquiétude.
Lyon : « bio capitale de l’Europe du Sud » « Si au moment de la trêve de Noël l’OMS et ses partenaires n’étaient pas intervenus, » la sécurité des autres régions du monde aurait été menacée, assure David Heymann. Le danger n’a pu être conjuré qu’au prix d’une mobilisation générale.
Au moment où nous faisions la fête, ils travaillaient « là où avaient lieu les plus récentes flambées de fièvre hémorragique Ebola pour l’Ouganda ou de Fièvre de la Vallée du Rift pour le Yémen et l’Arabie saoudite » a-t-il précisé. Des maladies qui, après avoir frappé en septembre et octobre 2000, avaient été immédiatement détectées par le réseau mondial d’alerte et d’intervention de l’OMS.
Ces épidémies ne sont pas les seules. La Fièvre jaune sévit encore en Afrique de l’Ouest : Guinée, Sierra Leone, Liberia, Nigeria. Elle a connu de fortes flambées pendant la période des fêtes, alors que des dizaines de milliers de cas de choléra étaient – et sont encore – observés dans le Sud et l’Est africain. Cette dernière épidémie est bien prise en charge, souligne-t-on à Genève. Ses conséquences restent limitées et la mortalité assez faible. Mais elle n’est toujours pas jugulée…
L’inauguration du Bureau de l’OMS à Lyon est venue parachever ce dispositif mondial. Le choix de la seconde ville de France ne doit rien au hasard.
D’abord, l’OMS y a en quelque sorte ses habitudes. Il y a trente ans, sur une proposition du Président Charles de Gaulle, elle y avait installé le Centre international de Recherche sur le Cancer, le C.I.R.C.
Ce nouveau développement s’explique également par la concomitance de plusieurs facteurs favorisants. La proximité de Genève, où se trouve le siège de l'Organisation. Mais aussi la rencontre de trois personnalités fortes. L’ancien Premier ministre français et actuel Maire de Lyon Raymond Barre, le Dr Gro Harlem Brundtland Directrice générale de l’OMS et enfin le Dr Charles Mérieux.
Charles Mérieux, pionnier de la virologie industrielle, créateur de la Fondation Marcel Mérieux, inventeur de la Bio-Force qui favorise les soutiens d’urgence aux pays en butte à des catastrophes sanitaires, rêvait d'un Lyon qui serait la « bio capitale de l'Europe du Sud ». Décédé au mois de janvier 2001, il aura vu sa vision pratiquement matérialisée.
Cette création couronne une vie entièrement consacrée à la lutte contre les maladies infectieuses et épidémiques. Dans l’urgence il avait mis au point et produit, dans une usine construite à cet effet, le vaccin grâce auquel le Brésil a pu briser une épidémie de méningite. Il a aussi permis la relance des programmes de vaccination dans la Roumanie des années 90.
Mais ce n’est pas tout. Avant même l’arrivée de ce nouveau bureau, Lyon disposait d’atouts puissants qui la désignaient pour l’accueillir.
Un tissu cohérent de laboratoires et d'institutions de recherche spécialisés dans les maladies transmissibles émergentes, sans oublier le laboratoire de haute sécurité P4 de la Fondation Marcel Mérieux. Ce dernier a été spécialement conçu pour la manipulation des virus les plus dangereux et les plus rares. Les liens noués depuis des décennies entre les acteurs lyonnais de la recherche et la plupart des pays, en développement ou non, tiennent enfin une large place dans ce choix.
Former les médecins des pays défavorisés Aujourd’hui, le nouveau pôle d’activité repose ainsi sur un dispositif extrêmement complet. Cette action concertée entre trois partenaires aussi différents qu’un état, une organisation intergouvernementale et une fondation privée vise en fait un triple objectif de recherche, d’action et de formation. « Il s’agit d’offrir un espace de formation pour des médecins venant des pays en voie de développement, pour prendre en charge les maladies infectieuses et repartir dans leur pays pour développer des réseaux de veille, d’alerte et prendre en charge les épidémies le plus vite possible quand elles se déclenchent. »
Ce dispositif complète les moyens du Département des Maladies transmissibles dirigé, à Genève, par le Dr Guénaël Rodier. Le Département dont il est responsable mène de front trois missions :
· Collecter les données concernant les maladies épidémiques émergentes ;
· Coordonner les stratégies internationales ;
· Et enfin fixer les normes mondiales en la matière.
Il travaille en liaison avec 270 centres collaborateurs, qui font partie du réseau d’un millier de laboratoires répartis dans le monde. Car les maladies épidémiques et émergentes ne connaissent pas de frontières. En raison de la mobilité toujours accrue des hommes et des marchandises, toute maladie transmissible survenant dans un pays peut, le lendemain, se retrouver dans un autre. Même… à l’autre bout du monde.
Il est donc indispensable que l’information concernant une nouvelle épidémie soit rapidement connue des scientifiques et des responsables de santé publique du monde entier.
Il est bien sûr tout aussi essentiel que cette information soit exactement validée. Or l’OMS, à Genève, peut recevoir jusqu’à cinq rumeurs d’épidémies par semaine ! Pour les évaluer précisément elle doit être en mesure de se reposer sur un réseau serré de représentants locaux et de contacts gouvernementaux.
Ensuite si la rumeur est confirmée, l’information est partagée avec les partenaires de l’OMS. Et le cas échéant diffusée par le service Internet de l’Organisation. L’action alors, peut être coordonnée depuis Genève.
Chaque jour des maladies réapparaissent Dès le mois d’avril, une trentaine de spécialistes venus d'Afrique et d'Asie est attendue à Lyon. Biologistes, virologistes, statisticiens vont « plancher » sur des pathologies qui font des ravages.
Le choléra, les méningites, la fièvre jaune et les hépatites. Sans oublier les hémorragiques, Ebola et Marburg, pour le moment circonscrites au continent africain. Ou encore des maladies « nouvelles » comme le nouveau variant de la Maladie de Creutzfeldt-Jakob ou d’autres qui le sont moins, comme les formes multi-résistantes de la tuberculose…
Chaque jour, des maladies réapparaissent dans des pays où on ne les attendait pas. A New York, des flambées de tuberculose multi-résistante et de Fièvre de West Nile ont récemment été observées. Les cas de listériose se multiplient en France. L’encéphalopathie spongiforme bovine (ESB) a ravagé le Royaume-Uni.
En dépit d’une énumération qui paraît les cantonner ici ou là, ces maladies ne connaissent pas les frontières. Toute information disponible sur une nouvelle épidémie doit rapidement être connue des scientifiques et des responsables de santé publique du monde entier.
En France par exemple, il y a eu l’an passé 6 293 cas de paludisme. La grande majorité a été importée d’Afrique. Mais en 1998, la maladie a fait vingt morts sur le territoire français, souvent parce que le diagnostic avait été trop tardif. En fait, la plupart de ces cas aurait pu être évitée. Le manque d’informations des voyageurs, mais aussi hélas de nombreux médecins, contribuent ainsi à entretenir le risque de paludisme.
Voilà pourquoi, au-delà de sa mission initiale de formation, le Bureau lyonnais de l’OMS vise à constituer progressivement un réseau mondial d'échange d'informations. Ce maillage permettra de surveiller, identifier, prévenir et combattre sur place, le plus vite possible, tout risque épidémique.