Obésité, sédentarité : l’OMS part en guerre

14 mai 2004
L’épidémie mondiale de diabète, les maladies cardio-vasculaires, le surpoids et l’obésité sont responsables de 47% des morts sur la planète. Des décès qui très souvent, pourraient être évités. Mais chaque année, des dizaines de millions de vies s’éteignent, notamment à cause d’une alimentation déséquilibrée et d’une sédentarité croissante. Confrontée à une hécatombe appelée à se développer, l’OMS a décidé d’agir. Au cours de son Conseil exécutif qui s’est tenu au mois de janvier dernier, elle a proposé à ses Etats membres un projet de Stratégie mondiale pour l’alimentation, l’exercice physique et la santé. Un document dont la version finale sera proposé à l’adoption de la 57ème Assemblée mondiale de la Santé, qui débute à Genève. Catherine Le Galès-Camus est sous-directeur général de l’OMS. Elle est en charge, à Genève, du service des Maladies non transmissibles et de la santé mentale. Elle travaille donc en toute première ligne dans l’édification de ce projet. « Notre objectif, c’est vraiment de lutter contre les effets de cette alimentation déséquilibrée, de cette sédentarité. Parce que ce sont des facteurs de risques pour l’ensemble des maladies cardiovasculaires, des cancers, des diabètes. » Aujourd’hui dans le monde, il y a pratiquement autant d’individus en surpoids que d’individus trop maigres. Et tristement, les nations en développement sont venues rejoindre les rangs des pays riches accablés par l’obésité. En zone urbaine les femmes sont les plus touchées, comme nous l’explique Catherine Le Galès-Camus. « Aujourd’hui en Inde, 26% des femmes entre 20 et 49 ans sont en excès de poids. Le chiffre pour la Chine c’est 20%. Au Zimbabwe, 36% des femmes sont concernées. » L’obésité n’est donc plus un fardeau propre aux pays riches ! Même si ces derniers concentrent encore la plus grande part des individus en surpoids ou obèses. La France par exemple, compte à elle seule 5,3 millions d’obèses et 14,4 millions de sujets en surpoids. Des chiffres impressionnants pour un pays qui compte 60 millions d’habitants. Mais le record absolu est détenu par les Etats-Unis. Près de 130 millions d’Américains, soit tout de même 60% de la population, sont concernés par le problème. Comment on est-on arrivé là ? Au départ tout commence par une consommation d’aliments supérieure aux dépenses énergétiques. Des portions de frites trois plus importantes qu’en 1955 Et les portions proposées dans les restaurants, et particulièrement les fast-foods, ont augmenté au-delà de toute mesure. Aux Etats-Unis par exemple, le volume des hamburgers aurait quintuplé de 1955 à 2002. Les portions de frites proposées aujourd’hui dans les fast-foods sont trois fois plus importantes qu’en 1955 ! Même chose pour les barres chocolatées, dont le volume a augmenté plus de 10 fois en 100 ans. Résultat : elles sont aujourd’hui 13 fois plus grosses qu’en 1908. Cette mode alimentaire s’est propagée un peu partout dans le monde. Si bien que tous les pays sont affectés par cette inflation des portions. Mais ce phénomène à lui seul n’explique pas tout. Comme l’indique Catherine Le Galès-Camus, c’est la diffusion des modes de vie à l’occidentale qui fait le plus de dégâts. « Cette épidémie d’obésité s’explique par un changement dans la nature des professions exercées, dans les moyens de transports, et puis aussi dans les produits alimentaires qui sont disponibles. » Selon un ancien conseiller en nutrition du gouvernement américain, « l’industrie agro-alimentaire emploie des méthodes de marketing extrêmement sophistiquées pour inciter les consommateurs à manger davantage. Il est ainsi devenu socialement acceptable », affirme-t-il « de manger n’importe où, toute la journée et en plus grandes quantités ». En France, l’Association nationale de l’Industrie Agro-alimentaire, l’ANIA s’est opposée à la mise en place d’un un système distinguant les aliments en fonction de leurs qualités nutritionnelles. Selon ses responsables en effet, « chaque aliment quelle que soit sa composition, a sa place dans une alimentation équilibrée. » L’administration du pays souhaitait en effet établir des seuils maximum de teneurs en lipides, en sel et en sucres d’index glycémique élevé dans les aliments préparés. L’index glycémique ? Pour résumer simplement, disons que c’est le pouvoir détenu par un aliment, de faire augmenter la teneur de sucre dans le sang ou glycémie. C’est donc, son influence réelle sur la biologie de notre organisme. Toujours est-il que cette initiative a été fort peu goûtée par l’industrie alimentaire. Même en France, un pays qui nous le verrons, brille pourtant par la relative modération de ses industriels dans le débat en cours. Or pour Catherine Le Galès-Camus, « le projet de l’OMS ne réussira que si tous les acteurs vont dans le même sens. » « Les barons américains du sucre bloquent la guerre mondiale contre l’obésité » Or au cours du dernier Conseil exécutif de l’OMS, en janvier dernier, l’industrie agro-alimentaire mondiale a pesé de tout son poids pour empêcher que le projet de l’OMS ne soit présenté ces jours-ci devant l’Assemblée mondiale. Au premier rang des lobbyistes, les sucriers américains. Comme notre confrère The Observer le titrait au mois de janvier, « Les barons américains du sucre bloquent la guerre mondiale contre l’obésité. » Certes, cette position n’est pas représentative au niveau mondial. Si les sucriers américains pratiquent une forme de jusqu’au boutisme, leurs confrères européens sont davantage ouverts au dialogue. Ainsi de la très puissante Confédération européenne des Industries agroalimentaires, qui représente 600 milliards d’euros de chiffre d’affaires pour 3 millions de salariés. Elle se déclare sans ambages en faveur de la stratégie de l’OMS. Et au mois de janvier, elle a clairement dit sa détermination à collaborer. Il n’en reste pas moins des vrais durs. Même en France où certains à l’ANIA, estiment tout bonnement qu’il serait politiquement incorrect de collaborer avec l’OMS. De son côté l’Union européenne, par la voix de sa présidence irlandaise a dit son souhait de voir le dossier avancer. Et ça avance… Dès lundi à Genève, au Palais des Nations, s’ouvrira la 57ème Assemblée mondiale de la Santé. L’objectif de l’OMS est d’y faire adopter, par ses 192 Etats Membres, sa stratégie mondiale pour l’alimentation, l’exercice physique et la santé. Sur le terrain particulièrement dégradé d’une hygiène alimentaire à la dérive, vient en effet s’ajouter le problème de la sédentarité. Dans la plupart des pays, la courbe du temps passé devant la télévision ou l’ordinateur suit exactement la même progression que celle du surpoids ou de l’obésité ! Les Américains ont même inventé un mot pour décrire les victimes de ce phénomène, vautrées à longueur de journées devant leur télé avec un gobelet de pop-corn. On les appelle là-bas des Couch potatoes, des patates sur canapé… La sédentarité fait deux millions de morts chaque année ! Selon l’OMS, chaque année dans le monde la sédentarité fait deux millions de victimes ! Deux millions de morts par maladies cardio-vasculaires, diabète ou obésité. Simplement, en fait, par manque d’activité physique… La sédentarité est bel et bien devenue un véritable fléau des temps modernes. Nos modes de vie ont changé. Télévision, console de jeux, travail sédentaire, automobile... Tout concourt à la passivité physique. A l’échelle mondiale, entre 60% et 85% des adultes ne s’activent pas suffisamment pour préserver leur santé ! Et les pays développés sont loin d’être seuls concernés…. Or l’association d’une alimentation trop riche à une sédentarité quasi universelle fait craindre, aux responsables de l’OMS, une importante augmentation du nombre de cas de diabète de type II. Mais ce n’est pas tout ! Car l’obésité à l’adolescence augmente le risque de cancer. D’après une étude écossaise, une élévation de 5 points de l’indice de masse corporelle à l’adolescence se traduit par une augmentation du risque de mortalité par cancer, à l’âge adulte, de 20% chez les hommes et 30% pour les femmes. Pourtant des solutions existent. Pour l’OMS, nous devrions par exemple consacrer au moins trente minutes quotidiennes à notre entraînement pour préserver notre santé. Trente minutes, voilà qui est accessible à tout un chacun... Y compris celles et ceux qui ne sont pas des «accros» du sport. Pas besoin de grandes révolutions, de régimes draconiens ni a fortiori de médicaments pour éviter le problème qui s’impose à nous aujourd’hui. Il suffirait d’un peu d’hygiène (de vie) et d’un minimum d’attention à notre alimentation, car il est parfaitement possible de manger bien et bon à la fois.
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