Probiotiques : l’évaluation par la recherche avance
18 novembre 2010
Où donc en est aujourd’hui la recherche sur les probiotiques ? Menées depuis plusieurs années dans les règles, des études publiées dans des revues de référence plaident pour leur utilisation dans le traitement de certaines diarrhées infectieuses, ou du syndrome de l’intestin irritable. Etat des lieux.
Si l’appellation « probiotique » est d’usage relativement récent, le concept lui, est bien loin d’être nouveau. Il remonte au début du XXème siècle et aux travaux d’Elie Metchnikoff, prix Nobel de physiologie et médecine en 1908. Ce chercheur russe (1845-1916), naturalisé français et professeur de microbiologie à l’Institut Pasteur de Paris, s’est intéressé de près à la longévité « inhabituelle » de certaines populations rurales en Bulgarie. Ces paysans présentaient semble-t-il une particularité : ils consommaient en grandes quantités des produits laitiers fermentés.
Metchnikoff fut ainsi le premier à suggérer que la consommation des bactéries lactiques présentes dans ces laits fermentés pouvait avoir un effet favorable sur la santé. Ses travaux n’allaient pas laisser insensibles les industriels. Si bien que dès 1920, les premiers laitages fermentés apparaissaient dans les pharmacies , Ils étaient alors proposés contre les désordres intestinaux . Pourtant, il faudra attendre 1990 pour qu’apparaissent les premiers compléments alimentaires destinés à l’alimentation humaine.
Un siècle après les travaux de Metchnikoff, les bactéries lactiques à effet santé sont plus que jamais d’actualité. Leur nom a changé : on les appelle des probiotiques. En 2001, l’Organisation mondiale de la Santé (OMS) et l’Organisation des Nations-Unies pour l’Alimentation et l’Agriculture (FAO) leur ont aussi donné une définition officielle. Selon ces deux agences en effet, les probiotiques sont des «
micro-organismes vivants qui, lorsqu’ils sont ingérés en quantité suffisante, exercent des effets positifs sur la santé, au-delà des effets nutritionnels traditionnels».
L’essentiel, c’est d’arriver… vivant !
La définition est claire, mais sa mise en œuvre… pas toujours si facile. En effet comme nous l’explique le Dr Thierry Piche, gastro-entérologue au CHU de Nice, «
avec les probiotiques, l’enjeu est d’amener par la bouche des organismes vivants qui vont agir sur le côlon ». Et plus précisément sur la
flore intestinale, qui est un organe fragile. L’objectif est de préserver ou de renforcer cette dernière, dont la structure comme la solidité évoluent sous diverses influences. Notre alimentation joue son rôle bien sûr, mais aussi le stress, les infections, la prise de médicaments…
Faire en sorte que les probiotiques parviennent vivants dans le côlon, ce n’est pas évident. Le défi est même de taille. Entre la bouche et le côlon, les embûches sont nombreuses ! «
Pour être efficaces sur la flore intestinale, les probiotiques doivent y parvenir en nombre suffisant », poursuit le Dr Piche. Ils ne doivent pas être dégradés par leur passage dans l’estomac. Ce qui signifie qu’ils «
doivent être capables de résister à l’acidité gastrique et à celle du suc pancréatique ». Ce n’est pas une mince affaire, et il n’est pas surprenant que la capacité des probiotiques à survivre à cette épreuve dépende des souches utilisées.
Aujourd’hui, les probiotiques les plus étudiés appartiennent aux genres
Lactobacillus ,
Bifidobacterium,
Lactococcus. C’est le cas aussi des levures. Quelles sont les souches efficaces ? Dans quelles indications ? En fait les souches ont leurs spécificités, et seuls les professionnels de santé peuvent déterminer la souche adaptée à la situation de santé de leurs patients.
Et pour cause. Cette flore intestinale est encore une inconnue. «
Malgré les progrès récents de la biologie moléculaire, nous n’en connaissons qu’une infime partie précise Thierry Piche. «
Il est donc difficile de déterminer avec précision quelles sont la ou les souches les plus efficaces pour traiter un syndrome particulier ».
A cette raison biologique s’en ajoute une autre, réglementaire. «
Les probiotiques appartiennent à la catégorie des compléments alimentaires », rappelle-t-il. «
Ils ne bénéficient donc pas d’une autorisation de mise sur le marché (AMM), comme les médicaments ». Cela signifie-t-il que les critères d’évaluation seraient plus « souples » que ceux en vigueur pour les médicaments ? «
Plus maintenant » assure-t-il.
Il fait allusion notamment, aux «
errances passées » qui ont vu fleurir de vagues « allégations santé » concernant certains produits. Des allégations dont le caractère « vague » concernait essentiellement l’évaluation, au mieux qualifiée de «
scientifiquement prouvé »… sans étude à l’appui. Ces « approximations » n’ont plus cour et certains industriels qui s’étaient lancés sur ce « marché », ont choisi de retirer leurs allégations santé par crainte d’être «
recalés » par l’Agence européenne de sécurité alimentaire (EFSA).
«
Ce dont nous sommes certains, c’est que nous disposons aujourd’hui de travaux rigoureusement menés qui montrent les bienfaits des probiotiques contre des pathologies comme la rectocolite hémorragique, les diarrhées infectieuses à rotavirus chez l’enfant, les diarrhées consécutives à une antibiothérapie et encore le syndrome de l’intestin irritable » nous explique-t-il.
Derrière cette appellation bien compliquée se cache le «
premier motif de consultation en médecin générale. Il est caractérisé par des maux de ventre, des ballonnements, des troubles du transit ».
Un champ d’application « fascinant »
Plusieurs études ont montré l’efficacité de certains probiotiques contre ces symptômes. Et Thierry Piche de faire référence à une étude française, publiée en 2008 dans la revue
Gastroentérologie Clinique et Biologique. Celle-ci «
fait partie de ces travaux bien conduits, menés en double aveugle, contre placebo ». Chez 100 patients souffrant d’un syndrome de l’intestin irritable, le Pr Philippe Marteau et ses collaborateurs de l’hôpital Lariboisière (Paris), y ont comparé les effets d’un mélange de souches probiotiques (Lactibiane Référence®) à un placebo. «
Cent patients ? C’est déjà très bien. Au final, les résultats font état de bénéfices réels au niveau de l’inconfort digestif et donc de la qualité de vie », rapporte Thierry Piche.
Il relativise toutefois. «
Avec les probiotiques, il n’y a pas de magie ». Certains peuvent être efficaces rapidement selon la dose et la souche utilisée, D’autres auront un effet santé au bout de plusieurs semaines. « Quant à leur prescription, elle doit être le fait d’un professionnel de santé ». Un pharmacien ou un médecin, éventuellement formé à la micronutrition.
A en croire les scientifiques comme le Dr Piche, les travaux sur les probiotiques n’en seraient encore qu’à leurs débuts. «
Leur champ d’application est fascinant », souligne-t-il. C’est ainsi que des chercheurs imaginent déjà s’en servir comme d’une « mule », pour transporter des peptides inhibiteurs de virus ! Les recherches se multiplient également dans le domaine des allergies. Et même de l’obésité. Oui de l’obésité.
Pourquoi est-ce surprenant ? Parce qu’en septembre 2009 un autre chercheur, le Dr Didier Raoult de Marseille, évoquait dans un éditorial de
The Lancet, un lien entre l’obésité infantile et l’utilisation de probiotiques. L’avis de ce spécialiste des maladies infectieuses est très discuté, et une étude contradictoire vient d’être publiée dans
Gut, une revue très spécialisée dans les maladies de l’appareil digestif.
Allez plus loin :
Probiotics in food, Health and nutrional properties and guidelines for evaluation (FAO/OMS).