Quand le travail fait mal… Comme une épidémie qui frappe partout

07 mai 2005
Ils frappent à la main, aux poignets, au coude et aux épaules… En quelques années, les troubles musculo-squelettiques, les fameux TMS, ont pris une importance considérable, presque alarmante, dans les pays industrialisés. Mais pas seulement dans ces pays. A tel point que les spécialistes parlent d’une véritable « pandémie », c’est-à-dire d’une épidémie mondiale. Face à laquelle les pays en développement seraient même en première ligne. Les TMS, ce sont en fait une quinzaine de pathologies. Elles représentent une cause importante d’absentéisme dans les entreprises. Et génèrent aussi des coûts considérables pour le système de soins. Les plus fréquentes sont le syndrome du canal carpien, la tendinite des épaules et l’épicondylite, une affection qui frappe le coude. A lui seul, le syndrome du canal carpien nécessite plus de 80 000 interventions chirurgicales chaque année dans un pays comme la France. Il résulte de la compression du nerf médian, qui descend le long du bras jusqu’à la main. Il est caractérisé par des fourmillements et un engourdissement souvent nocturne de trois doigts de la main : le pouce, l’index et le majeur. Comme c’est le cas pour le syndrome du canal carpien, les TMS ont donc en commun d’affecter les muscles, les tendons et les nerfs des membres et de la colonne vertébrale. Ils ont également en commun, leur relation avec le travail. Des mouvements répétitifs et rapides, mais aussi la mauvaise ergonomie du poste de travail… les TMS sont essentiellement liés au geste professionnel. Par exemple, les troubles de la région lombaire sont souvent associés au transport ou au soulèvement de charges. Ou à des vibrations. Ceux des membres supérieurs (doigts, mains, poignets, bras, épaules, cou) peuvent résulter d’un effort statique, répétitif ou de longue durée. Des causes mécaniques donc, pour l’essentiel. Mais pas seulement puisque d’après de récents travaux, le stress et d’une manière générale l’organisation du travail sont également en cause. Les TMS concernent les salariés de secteurs aussi divers que l’automobile, l’agro-alimentaire, la confection. Les métiers du tertiaire, notamment ceux qui exigent l’utilisation de postes informatiques, sont aussi très fréquemment touchés. Dans les pays industrialisés la situation est alarmante. Exemple avec la France, où sept maladies professionnelles reconnues sur dix sont des TMS ! Depuis une quinzaine d’années, le nombre de cas augmente de façon exponentielle : + 20% par an, avec une « pointe » à… 33% en 2002 ! Un record. Entre 1992 et 2002, le nombre de TMS reconnus dans le pays a ainsi augmenté de plus de… 700%. Il est passé de 2 600 à 21 200 par an. D’après une récente étude menée par l’Institut de Veille Sanitaire, 13% des salariés présentent un TMS. Et le facteur professionnel est en cause dans près de neuf cas sur dix ! Comme si ces TMS étaient une réponse collective aux conditions de travail moderne. Mais le lien entre ces maladies et le travail fut long à se dessiner. Aujourd’hui il ne souffre plus aucune contestation. L’objectif des chercheurs n’est désormais plus de convaincre de son existence. Mais de le prévenir. Dresser un état des lieux des connaissances scientifiques sur ce sujet et faire progresser la prévention, ce sont d’ailleurs les principaux objectifs du 1er congrès francophone sur les TMS des membres supérieurs organisé à Nancy en France, les 30 et 31 mai. Un événement auquel a participé le Pr Taoufik Khalfallah. Un pionnier en matière de prévention des maladies professionnelles dans les pays du Maghreb. A la faculté de médecine de Monastir en Tunisie, il dirige le laboratoire de médecine du travail et d’ergonomie. Il est en première ligne pour suivre l’évolution de la santé au travail dans son pays. Et donc celle des TMS. « Effectivement, c’est un problème de santé au travail qui touche les pays développés et surtout, les pays en voie de développement. Alors par exemple pour le cas des pays du Maghreb, et plus précisément en Tunisie, depuis 1972, suite à des mesures fiscales, les entreprises étrangères se sont implantées. Et ces installations se sont faites principalement dans le secteur de la confection, de l’habillement, du montage de pièces électroniques. Et ces travaux ne peuvent être effectués que par l’homme. Il n’y a pas de système d’automatisation. Ce sont des travaux qui s’effectuent à la chaîne. Ce sont des travaux répétitifs et qui sollicitent énormément les membres supérieurs. De ce fait il y a eu l’apparition de troubles musculo-squelettiques ». Aujourd’hui, dans un pays comme la Tunisie, plus de 250 000 salariés répartis dans 2 000 entreprises travaillent dans le secteur de la confection. Lequel est vraiment devenu le secteur phare. En 1971, il représentait 4,3% des exportations de ce pays. Et plus de 52%, trente ans plus tard... Mais le travail en usine n’est pas l’unique pourvoyeur de TMS. Les métiers du tertiaire sont également frappés comme le montre une étude réalisée en 2003 parmi 500 employés de la Banque de Téhéran, en Iran. Ce travail montrait qu’un tiers de ces personnes souffraient de lombalgies. Et que l’âge moyen des malades était de seulement 35 ans. D’une manière générale, le risque de TMS augmente avec l’âge. Environ 6% des 20-29 ans présentent un TMS. Contre 26% des 50-59 ans. Dans les pays développés en tout cas. La situation n’est guère différente dans les autres pays. Même si le manque de données chiffrées se fait cruellement ressentir. La Tunisie commence toutefois à publier quelques chiffres. Comme nous l’explique Taoufik Khalfallah. « En Tunisie, il y a un système de recueil de données de déclaration des maladies professionnelles basé sur le système de réparation et d’indemnisation des maladies professionnelles. On a le tableau 82 qui est intitulé « gestes et postures » qui repère ce type de lésions. C’est pour cela qu’on commence à avoir des chiffres d’ailleurs. Ce système a été instauré à partir de l’année 95. A titre d’exemple, en 1995, on a déclaré 15 cas de TMS. Par contre en 2003, 138 cas de déclaration de troubles musculo-squelettiques ». Quinze cas en 1995, 138 en 2003. Inutile de préciser que les chiffres officiels ne reflètent probablement pas toute la réalité de la situation… Mais c’est un début. « Par contre dans les autres pays, par exemple du Maghreb, l’Algérie, Maroc, Mauritanie, Libye, ils n’ont pas ce système de réparation essentiellement basé sur les tableaux. Faute de moyens et de statistiques, toujours il y a ce problème de sous-déclaration des maladies professionnelles et on n’arrive pas vraiment à maîtriser malgré qu’on sait que ce problème pose un fléau pour la santé publique. Aujourd’hui, la meilleure arme contre les TMS, c’est tout simplement la prévention. Mais elle est à la mesure du problème, c’est-à-dire complexe. L’OMS a édité une brochure intitulée « la prévention des troubles musculo-squelettiques sur le lieu de travail ». Vous pouvez vous la procurer gratuitement via internet, à l’adresse 3 w point w h o point int. Puis tapez le mot-clé TMS. De nombreux conseils illustrés par des dessins et relatifs à l’ergonomie du poste de travail y sont prodigués. A l’Université de Monastir, Taoufik Khalfallah forme les ergonomes de demain. C’est-à-dire ces professionnels qui sont sans cesse en quête d’une meilleure adaptation entre un matériel et son utilisateur. Car à ses yeux, la lutte contre les TMS ne passe pas seulement par le médecin du travail. « Le médecin du travail à lui seul, ne peut pas vraiment régler tout. Donc on a intérêt à avoir d’autres partenaires notamment l’ergonome, le psychologue, le sociologue et l’ingénieur de sécurité. Dans l’industrie agro-alimentaire, les ergonomes et autres « préventeurs » travaillent par exemple sur l’ergonomie des outils. Comme celles des manches de couteaux à découper par exemple. Dans l’industrie automobile, de nombreuses adaptations sont également apportées sur les chaînes de production. L’on a vu ainsi apparaître des bras articulés montés sur les visseuses pour libérer l’opérateur des contraintes liées au port de l’outil. D’autres visseuses contiennent également un système qui absorbe les chocs ou les vibrations. Enfin, des balancelles attachées à la chaîne, permettent un travail en hauteur sans piétinement ni déplacement. Car tous les outils sont disposés sur la balancelle. Les exemples ne manquent donc pas. Mais les TMS ne sont pas exclusivement liés au travail. Vous pratiquez le tennis ? Saviez-vous justement que le fameux tennis-elbow, caractérisé par des douleurs au coude, était un TMS ? Enfin, il vous est sans doute arrivé de taper un message-texte sur votre téléphone portable... Attention, danger. Le TMS guette ! A tel point que les fabricants de téléphones portables, préconisent de faire des pauses régulières. Voire de s’échauffer les muscles de la main et du bras avant de se lancer dans la rédaction de messages textes. Bref, les TMS attaquent de partout… même les auteurs de SMS !
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