Genève : les Etats-Unis accusés d’être acquis aux marchands d’obésité…
21 janvier 2004
«Bush tente d’enterrer le plan anti-obésité de l’OMS !» Le titre fait mouche. D’autant qu’il émane d’un groupe activiste… américain, qui accuse le Président de sacrifier ses concitoyens les plus pauvres aux intérêts du lobby alimentaire de son pays.
Les langues vont bon train dans les couloirs du siège de l’OMS à Genève, où vient de débuter la 113ème session de son Comité exécutif. En préparation de la prochaine assemblée mondiale de la Santé qui se tiendra en mai prochain, l’Organisation y propose à ses Etats Membres son projet de stratégie mondiale pour l’alimentation, l’exercice physique et la santé. Il y a urgence, à cause de l’épidémie mondiale de diabète, de maladies cardio-vasculaires, de surpoids et d’obésité qui est responsable de 47% des morts sur la planète !
Un président qui a maigri…
A Genève, c’est la guerre des tranchées. « Les barons US du sucre bloquent la guerre mondiale contre l’obésité », titre notre confrère The Observer, de Grande-Bretagne. Lequel souligne que George W. Bush « compte parmi ses principaux bailleurs de fonds le baron Jose ‘Pepe’ Fanjul, le patron de Florida Crystal qui a versé au moins 100 000 dollars » à son comité de soutien. Ça craint un peu… Dans une lettre ouverte à Tommy Thompson, Secrétaire américain à la Santé, l’ancien président de l’université d’Oslo et l’un des principaux experts auteur du projet de stratégie de l’OMS, Kaare R. Norum, souligne les responsabilités de l’Oncle Sam. « Un Américain sur trois porte le fardeau des risques sanitaires associés à l’obésité. Et les plus pauvres et les plus vulnérables sont aussi les plus affectés. »
Le Credo américain est pourtant simple, sinon simpliste. « La lutte contre l’obésité relève de l’individu, pas de l’état ». La preuve ? Tommy Thompson l’a expliqué devant un auditoire… médusé. « Notre gouvernement a donné l’exemple de sa détermination en faveur de modes de vie sains. Le Président Bush a perdu 15 livres en 2003, et il a décidé d’en perdre encore 4 en 2004. » Certes, le Président n’appartient peut-être pas aux catégories les plus défavorisées de son pays, mais l’exemple ne s’en veut pas moins… exemplaire.
Les Etats-Unis sont rien moins que disposés à voir l’assemblée mondiale de mai prochain saisie du projet de stratégie dans son état actuel. Ils sont soutenus en cela par quelques pays, comme la Corée du Sud ou les Iles Maldives. Ils sont d’ailleurs montés au créneau, assurant qu’il n’y avait pas lieu de se presser et qu’il valait mieux bien évaluer les informations disponibles avant de décider…
Aider les restaurateurs face à des fast-foods dangereux pour la santé ?
Malgré ce baroud de (des)honneur, les oreilles de l’Oncle Mac ont dû lui siffler… Dans une allusion directe à une chaîne qui vend des produits à base de poulet frit, le délégué pakistanais a demandé « ce que l’on peut bien faire aux poulets américains pour qu’ils soient si gras. Chez nous au Pakistan, ils sont maigres ! » Quant au délégué saoudien, il a lui aussi demandé que l’OMS encourage ses Etats Membres, lorsque les fast-foods y deviennent trop présents, à entamer des campagnes de contre-publicité. Retenons enfin que le projet de stratégie de l’OMS fait place à des politiques d’incitation fiscale à une alimentation plus saine. Un soutien inattendu aux restaurateurs qui demandent à bénéficier d’une TVA plus douce, alignée sur celle des fast-foods. Inattendu mais certainement bienvenu…
Par la voix de sa présidence irlandaise, l’Union européenne des 25 auxquels se sont joints les pays candidats, a dit son souhait de voir le dossier avancer. Ce projet « est une contribution majeure pour améliorer la santé des populations ». La Grande-Bretagne a souligné sa préoccupation de voir des enfants atteints de diabète de type II. Une affection autrefois spécifique à lâge mûr. Le Pakistan – encore lui – a demandé que le Directeur général de l’OMS « fasse évaluer officiellement l’impact des ‘fast-foods’ sur la santé publique. Ces derniers existent depuis 40 ans aux Etats-Unis mais depuis 3 ou 4 ans qu’ils sont apparus au Pakistan, nous en mesurons les effets ». Information confirmée par le Ghana.
Quant à la France, elle a rappelé par la voix de son Directeur général de la Santé, le Pr William Dab, que « le fait d’attendre de tout savoir pour agir est certainement la meilleure façon de ne rien faire. » Elle a souligné les inconséquences de certaines positions des opposants au projet. « On sait que certaines firmes engagent des dépenses de marketing qui excèdent le budget de la santé de certains Etats Membres. Face au développement massif de la publicité pour les produits alimentaires, (…)on ne peut se contenter de faire appel à la responsabilité individuelle d’un public soumis à une avalanche d’informations concurrentielles. » Bref, « Il est urgent de commencer l’action. La France a lancé son propre Programme national Nutrition Santé, sur la base des recommandations de l’OMS et de la FAO. L’intervention des autorités sanitaires est la base d’un programme de ce type. » Une position qui a le soutien de la Chine, qui “recommande d’accélérer la révision de ce projet pour le discuter et l’adopter dès la prochaine assemblée mondiale.”
En Europe toujours la très puissante CIAA, Confédération des Industries agroalimentaires qui représente 600 milliards d’euros de chiffre d’affaires pour 3 millions de salariés employés par 26 000 sociétés, se déclare en faveur de la stratégie de l’OMS. Elle affirme “reconnaître le rôle important de l’industrie alimentaire et des boissons dans le combat mondial contre l’obésité” et se déclare “déterminée à collaborer” avec tous les professionnels et autorités concernés pour “promouvoir une meilleure hygiène alimentaire, des régimes sains et l’activité physique.”
On l’aura compris, le débat n’est pas clos. Mais il est d’une importance cardinale. Nous y reviendrons très prochainement, et nous donnerons à nos lecteurs la possibilité de s’informer très complètement sur les tenants et aboutissants des différentes positions. Et de se faire une opinion fondée sur des données objectives, factuelles, dûment évaluées.
Source: De notre envoyé spécial à Genève ; The Observer, 18 janvier 2004, Communiqué de presse CIIA, 19 janvier 2004, CSPI Nutrition Action Healthletter, 14 janvier 2004. Photos: COPYRIGHT – WHO/P.VIROT