Greffe du cœur de porc : « la vraie prouesse, c’est d’humaniser les cochons »

12 janvier 2022

Aux Etats-Unis, un patient s’est vu greffé un cœur de porc. Un geste nécessitant de modifier le code génétique des cellules de l’animal pour les rendre « plus humaines ». Pour quelles raisons cette technique s’avère-t-elle indispensable ? Comment les scientifiques ont-ils procédé ? Les précisions du Dr Julien Guihaire, chirurgien cardiaque spécialiste des transplantations, à l'hôpital Marie Lannelongue du Plessis-Robinson.

Ce 11 janvier, la greffe du cœur de porc chez un patient américain de 57 ans, dernière chance de survie pour ce dernier, a beaucoup fait parler d’elle. Cette technique avait déjà été mise en œuvre par une équipe de Munich. « Ce transfert du cœur de porc n’a donc pas été une réelle surprise », décrit le Dr Julien Guihaire, chirurgien cardiaque spécialiste des transplantations, à l’hôpital Marie Lannelongue du Plessis-Robinson. « La vraie prouesse, c’est d’avoir humaniser les cochons », dans le sens où le code génétique du cœur animal a dû subir des modifications pour pouvoir être greffé à l’homme.

Modifier le code génétique pour limiter le rejet

Mais pourquoi procéder à cette modification du code génétique ? Pour limiter le risque de rejet. En effet, « la principale limite en transplantation d’organes, c’est la compatibilité immunologique entre l’organe du donneur et le receveur. » Après la greffe, « notre système immunitaire va forcément détecter que l’organe transplanté provient d’un autre être ». Existe-il des exceptions ? « Oui en cas de transplantation entre deux vrais jumeaux », répond le Dr Guihaire. « Ces derniers ont en effet la même carte d’immunité immunologique. Mais tous les autres êtres humains disposent d’une carte génétique différente. »

Autre point complexifiant la compatibilité immunologique : « dans le sang, il peut y avoir des anticorps dirigés* contre ceux de la population. Certains patients sont incompatibles avec 95% des donneurs potentiels. Une contrainte majeure qui bloque l’accès à la greffe ».

Toucher au code génétique chez les embryons de porcs

En modifiant le code génétique des cochons avant de transplanter chez l’être humain, « on va donc favoriser une meilleure proximité immunologique avec l’espèce humaine ». Mais comment procède-t-on ? Les chercheurs ont « modifié le système immunitaire des cochons, en transformant précisément les antigènes de surface en antigènes humains ».

« Sur le plan expérimental, cette approche avait été testée par la même équipe en 2018 auprès de grands singes, en leur greffant des cœurs de porc génétiquement modifiés. Leur survie a été augmentée à plus de 6 mois, parfois 18 mois même », souligne le Dr Guihaire.

Pour cette greffe chez le patient américain, les chercheurs sont intervenus très tôt, « in vitro, au stade embryonnaire chez le porc ». Cette intervention ne peut se faire qu’à un stade très précoce. « Une fois que l’animal est en croissance il est en effet trop tard pour modifier le patrimoine génétique de toutes les cellules du corps ».  D’ailleurs tous les organes des cochons « présentaient ces mêmes modifications génétiques » : ce qui prouve que « l’expression des gènes humains a bien été induite au niveau de l’embryon ». Une technique qui se fait grâce à « des vecteurs qui ont la capacité de pénétrer dans le noyau des cellules » pour en changer l’information génétique. Enfin, « des tests ont permis de vérifier que ces modifications génétiques étaient stables dans le temps chez les animaux en post mortem ».

« On pourrait un jour penser à utiliser d’autres organes comme les poumons, et concernant les reins c’est quelque chose qui a déjà été fait. »

A noter : pour juger de l’efficacité de cette technique, « il faudra du recul. En transplantation cardiaque, le risque de rejet aigu est important pendant le premier mois suivant le transfert, et encore pendant la première année. Le taux de mortalité atteint entre 15 et 20% la première année suivant la transplantation ».

*en cas de transfusion sanguine ou de grossesse quand la femme a développé des anticorps contre les antigènes du mari que le fœtus porte à sa surface (lors de la circulation fœtale pendant la vie embryonnaire)

  • Source : Interview du Dr Julien Guihaire, chirurgien cardiaque spécialiste des transplantations, à l'hôpital Marie Lannelongue du Plessis-Robinson, le 11 janvier 2022 - « Pig-to-non-human primate heart transplantation: The final step toward clinical xenotransplantation? », The Journal Heart and Lung Transplantation, Pr Bruno Reichart, Walter Brendel Center of Experimental Medicine, LMU Munich, Août 2020 - « Consistent success in life-supporting porcine cardiac xenotransplantation », Nature, Matthias Längin, Department of Anaesthesiology, University Hospital, LMU Munich, Munich, Germany, Décembre 2018

  • Ecrit par : Laura Bourgault - Édité par : Emmanuel Ducreuzet

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