Grippe aviaire : des mutations qui renforcent la crainte d’une transmission interhumaine
17 décembre 2024
En 2024, le virus de la grippe aviaire s’est répandu parmi de nombreuses espèces de mammifères et notamment des troupeaux de vaches laitières aux Etats-Unis, avec des infections humaines associées. La circulation active du virus pourrait entraîner une mutation qui permettrait la transmission interhumaine.
« Si le H5 doit un jour devenir une pandémie, ce sera maintenant ». C’est ainsi que Seema Lakdawala, chercheuse sur la grippe à l’Université Emory, à Atlanta (Etats-Unis), résume la situation dans les colonnes de Science, le 5 décembre 2024.
La possibilité d’une transmission interhumaine de la grippe aviaire – infection d’oiseaux par un virus Influenza A – semble en effet n’avoir jamais été aussi proche. Les premiers cas humains de grippe aviaire ont été identifiés en 1997 à Hong-Kong. Il s’agissait du sous type H5. Pour rappel, les sous-types H5, H7 et H9 sont les plus susceptibles d’entrainer chez les oiseaux des pathologies sévères avec une très forte mortalité en particulier dans les élevages de volailles domestiques (poulets, dindes, canards).
Depuis 2021, une nouvelle variante du sous-type H5N1, le sous-clade 2.3.4.4b, circule intensément au niveau mondial. D’oiseaux migrateurs, l’épizootie a gagné des volailles d’élevage. Et des contaminations ont été régulièrement détectées chez près d’une trentaine d’espèces de mammifères sauvages et domestiques, terrestres et marins. Des visons en Espagne, des phoques et des vaches laitières aux Etats-Unis, ou encore des otaries au Chili et au Pérou. Des cas humains ont également été détectés depuis 2021, en Angleterre, en Chine, aux Etats-Unis, en Equateur, au Laos, au Nigéria, en Russie, au Vietnam, principalement des sous-types H5N1 et H5N6. En 2024, 53 cas humains ont été recensés aux Etats-Unis, sans qu’aucune transmission interhumaine ne soit identifiée. Le virus H5N1 se hisse toutefois désormais en excellent position dans la liste des agents qui menacent l’humanité d’une nouvelle pandémie.
Peu de mutations nécessaires pour que la transmission interhumaine soit possible
Pour une transmission interhumaine, les scientifiques ont depuis établi la liste des mutations dont le virus H5N1 avait besoin pour se propager largement chez l’homme. Et elle est courte. Il aurait besoin de mutations dans sa polymérase, l’enzyme que le virus utilise pour copier son génome, qui lui permettrait de se répliquer plus facilement. Il faudrait aussi un changement dans son hémagglutinine (le H de H5N1) soit la protéine que le virus utilise pour se fixer aux cellules. Objectif : se stabiliser en vue d’une transmission par voie aérienne et la capacité à se lier aux cellules des voies respiratoires supérieures humaines.
Ces mutations seraient effectivement en cours. Selon Science, une étude réalisée sur les échantillons de sang des personnes travaillant dans les fermes laitières infectées par le virus H5N1 dans le Michigan et le Colorado, a révélé que de nombreuses infections humaines passent inaperçues. Mais chacune d’elle est une occasion pour le virus de s’adapter encore un peu plus à l’homme. Et toujours selon une prépublication d’un article sur Science, le virus du clade 2.3.4.4b actuellement en circulation se lierait mieux aux cellules épithéliales humaines des voies respiratoires que les versions précédentes version du virus H5N1.
En outre, selon un autre article publié le 5 décembre sur Science, une seule mutation sur un site d’hémagglutinine, appelé 226L, suffirait à faire passer la spécificité du virus du type aviaire au type humain. De nombreux scientifiques pensaient qu’au moins deux mutations étaient nécessaires. Un changement basé sur une seule mutation « signifie que la probabilité que cela se produise est plus élevée », explique Jim Paulson de Scripps Research, l’un des auteurs.
Un cas plus inquiétant que les autres au Canada
Récemment, le cas d’un adolescent canadien, qui ne travaille ni ne vit à proximité d’animaux d’élevage, a particulièrement alerté la communauté scientifique. Le garçon a consulté début novembre pour une infection oculaire, puis pour une toux et de la fièvre. Il a été hospitalisé pour une grave infection pulmonaire. « Des séquences du génome viral publiées la semaine dernière suggèrent que l’adolescent est infecté par un virus de la grippe aviaire H5N1 porteur de mutations qui pourraient améliorer sa capacité à infecter les voies respiratoires humaines », expliquait la revue Nature le 20 novembre. A savoir : deux mutations possibles qui pourraient améliorer la capacité du virus à infecter les cellules humaines, et une autre qui pourrait lui permettre de se répliquer plus facilement dans les cellules humaines. Il aurait été infecté par un mélange de virus qui touche actuellement les volailles ou les oiseaux aquatiques de la région, un sous-type appelé D1.1. Lors du séquençage génomique, certaines réplications du virus étaient mutées pour s’adapter à l’homme et d’autres non, ce qui laisse penser que le virus a pu muter chez l’adolescent et que celui-ci n’a pas été infecté par cette forme mutée.
2024 a marqué un tournant à l’échelle mondiale de l’épidémie de grippe aviaire qui concerne désormais de nombreuses espèces de mammifères, dont des espèces domestiques associées à des infections humaines. Toutefois, « le génotype bovin semble assez stable et pourrait perdurer pendant un certain temps. C’est le D1.1 qui m’inquiète », pointe Mike Osterholm, directeur du Centre de recherche et de politique sur les maladies infectieuses à l’Université du Minnesota Twin Cities, auprès de Science.
-
Source : Nature, Science, Institut Pasteur, Santé publique France
-
Ecrit par : Dorothée Duchemin – Edité par Emmanuel Ducreuzet