Incontinence : faut-il avoir peur des bandelettes urinaires ?
26 décembre 2024
L’incontinence urinaire à l’effort, fréquente chez les femmes, peut être traitée par la pose chirurgicale de bandelettes de soutien de l’urètre. Cependant, cinq ans après le scandale des « Implant Files », qui avait mis en lumière des lacunes et des défauts dans la certification des prothèses en polypropylène, qu’en est-il ? Les autorités sanitaires et les spécialistes se veulent rassurants. Le Pr Xavier Gamé, chirurgien urologue au CHU de Rangueil à Toulouse (Haute-Garonne) et président du Conseil national professionnel d’urologie, répond aux questions de Destination Santé.
Le scandale des « Implant Files » a jeté le discrédit sur les bandelettes prothétiques sous-urétrales pour traiter l’incontinence urinaire à l’effort. En 2024, les autorités sanitaires maintiennent leur usage, essentiellement pour les « bandelettes synthétiques par voie rétropubienne » ou TVT, tout en demandant aux industriels d’actualiser leurs dossiers. C’est aussi l’avis de l’Association française d’Urologie (AFU).
Pourquoi cette distinction entre les différentes bandelettes ?
Pr Gamé : La voie standard devrait être la voie rétropubienne (TVT, le chirurgien passe derrière la symphyse pubienne, articulation qui relie les deux os du bassin au niveau du pubis, ndlr) pour la pose de bandelettes synthétiques dans le cadre de la prise en charge de l’incontinence urinaire d’effort (dite « par hypermobilité urétrale »). S’il ne faut pas interdire la bandelette transobturatrice (TOT, à travers les muscles de la région de l’aine, à l’origine dans certains cas de douleurs à la racine des cuisses, ndlr), il ne faut plus la réserver qu’aux quelques femmes qui ne peuvent pas bénéficier d’une bandelette rétropubienne (multi-opérées au niveau abdominal, antécédents de traumatismes au niveau du bassin…). Cette position est largement partagée, en Grande-Bretagne, etc. A noter, les mini-bandelettes sont désormais interdites.
Quels sont les chiffres d’efficacité des bandelettes rétropubiennes, et la réalité des complications ?
Une bonne exécution du geste chirurgical conditionne en grande partie le succès de l’intervention et limite les complications post-opératoires. Les bandelettes ont un taux d’efficacité de 90 %, avec 3 % de complications nécessitant une reprise chirurgicale (douleurs séquellaires à la racine de la cuisse, obstruction urinaire, érosion de la vessie…) et 0,3 % de douleurs graves. Il faut donc relativiser ces chiffres même si j’entends bien que pour une femme souffrant de douleurs sévères et d’une qualité de vie gravement affectée, la situation est une véritable catastrophe. Ces patientes doivent être prises en charge, leurs complications reconnues et traitées au mieux, tout en veillant à minimiser les risques.
Où en sont les actions en justice menées par des femmes ayant eu des complications douloureuses après la pose de bandelettes urinaires ?
En ce qui concerne les 111 plaintes déposées, il est encore trop tôt pour en évaluer l’ampleur, car nous ne connaissons pas encore tous les dossiers. Ils sont complexes et concernent aussi des bandelettes de renfort dans le prolapsus (descente d’organes, ndlr)… Cela crée une confusion générale autour du sujet. Les chiffres montrent d’ailleurs l’impact de cette pression médiatique et judiciaire. Avant la pandémie de Covid-19, environ 35 000 interventions de pose de bandelettes étaient réalisées chaque année en France. Ce nombre est tombé à environ 17 000. Cette diminution s’explique par l’influence des informations négatives sur Internet, souvent amplifiées par les médias, qui a amené certaines patientes à éviter les bandelettes par peur des complications, mais aussi une baisse de l’activité opératoire du fait des priorités liées à la pandémie de covid-19 (notamment en cancérologie) et donc d’un accès plus limité aux blocs opératoires.
De plus, en raison des contraintes réglementaires désormais imposées aux industriels d’apporter la preuve de l’efficacité et de l’innocuité de leurs produits, nous craignons que le traitement de l’incontinence urinaire à l’effort par hypermobilité urétrale au moyen des bandelettes prothétiques sous-urétrales ne puisse plus être proposé en France d’ici à quelques mois. Seuls quelques industriels sont motivés et d’autres ont déjà décidé de quitter le marché européen et français. La réponse a priori fin janvier 2025.
Quelles sont les autres possibilités en matière de bandelettes pour soulager l’incontinence d’effort par hypermobilité urétrale ?
Les bandelettes dites autologues (« aponévrotiques ») sont une alternative intéressante. Leur pose nécessite un prélèvement de tissu chez la femme elle-même, souvent un lambeau de peau d’au moins 20 cm de long au niveau des muscles grands droits de l’abdomen ou, dans certains cas, sur la face interne de la cuisse. Elles sont une option à considérer dans des cas bien sélectionnés. Car bien qu’elles éliminent le risque lié à un corps étranger comme le polypropylène (notamment les irritations chroniques que celui-ci engendre), elles ont leurs complications spécifiques, parfois supérieures à celles des autres options. Par ailleurs, certaines études ont
montré une perte d’efficacité avec le temps, phénomène qui ne se retrouve pas avec le TVT. Peut-être que de futures avancées permettront d’élargir leur utilisation, mais pour l’instant, elles restent marginales. Des projets de recherche sont en cours pour développer des bandelettes à partir de tissus humains, comme les veines ombilicales.
Que voulez-vous dire aux patientes ?
Les recommandations de la Haute autorité de santé de 2023, qui reconnaît que bien que rares, les complications de ces interventions peuvent être sévères, soulignent l’importance de sélectionner rigoureusement les patientes, en identifiant les pathologies pouvant être associées à ce type d’interventions, telles que les douleurs chroniques dont la fibromyalgie, les migraines, etc. Cette sélection plus rigoureuse permettrait de réduire les risques de complications post-opératoires. Par ailleurs, depuis les arrêtés de 2020 et 2021, la décision de poser des bandelettes sous-urétrales doit être prise en concertation par une équipe médicale pluridisciplinaire de pelvipérinéologie.
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Source : Interview du Pr Xavier Gamé lors du congrès du CFU (novembre 2024) et suivi de la session « Bandelettes urinaires : Faut-il interdire la TOT ? »
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Ecrit par : Hélène Joubert ; Édité par Emmanuel Ducreuzet