Intersexe : une plainte contre la chirurgie des nouveau-nés
04 décembre 2017
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Pour la première fois en France, une plainte pour mutilation a été déposée par une personne en intersexuation. Camille a 38 ans et il a été opéré à de nombreuses reprises à partir de sa naissance pour anomalie des organes génitaux. Il revendique le droit au consentement et souhaite que les interventions chirurgicales et hormonales non nécessaires médicalement cessent. Une option difficile à appliquer pour les médecins dans un pays où seuls deux genres – masculin et féminin – sont reconnus.
Fille ou garçon ? Cette question est commune à toutes les grossesses. La binarité des genres est ainsi ancrée dans notre société. Ce qui est en marge est considéré comme une anomalie. Encore aujourd’hui, mais bien davantage en 1979, année de naissance de Camille. Cet homme de 38 ans a déposé plainte contre X en 2016 pour mutilations et violences volontaires sur mineur de moins de 15 ans à Clermont-Ferrand. Une première. Son objectif, « savoir ce qui s’est passé, pourquoi les interventions chirurgicales ont été menées sur lui », explique Maître Benjamin Pitcho, son avocat. Mais aussi « il veut rappeler qu’il n’a pas eu l’occasion de consentir et que les actions ont été menées sans motif médical ou thérapeutique comme l’imposent pourtant les codes pénal et civil, et celui de la santé publique ».
De quoi s’agit-il ? Comme environ 2% des nouveau-nés*, Camille est venu au monde en ne présentant pas l’anatomie requise pour déterminer un sexe masculin ou féminin de façon claire. Cette situation est qualifiée médicalement de « troubles de la différentiation sexuelle » ou bien encore d’« anomalies de développement des organes génitaux ». Il s’agit en d’autres termes de naître avec les caractéristiques féminines et masculines à la fois ou avec des caractéristiques entre les deux.
En dehors de l’hyperplasie congénitale des surrénales qui constitue une urgence vitale, la plupart des situations d’intersexuation ne relèvent pas d’une urgence médicale. Toutefois, « les situations pour lesquelles on hésite vraiment sont rares », assure le Dr Stéphanie Rouleau, pédiatre néonatalogiste et endocrinologue au CHU d’Angers. Et dans tous les cas, « on veut bien faire, dans l’intérêt du patient ».
Chirurgie, hormones…
Il y a 15 ans, les opérations chirurgicales étaient encore systématiques. Aujourd’hui, « cela se discute davantage dans l’hyperplasie congénitale des surrénales, où on se pose à l’heure actuelle la question d’attendre la puberté pour opérer », souligne le Dr Rouleau. Et prendre en charge de manière pluridisciplinaire pour faire au mieux. Comme c’est le cas aux CHU d’Angers et de Nantes, où un protocole médical de prise en charge de ces situations a été rédigé en 2015. Objectif, permettre aux médecins des autres maternités de la région d’avoir accès à des praticiens référents. Par ailleurs, un des centres de référence des pathologies du développement sexuel à Lyon ou au Kremlin Bicêtre (Paris) est systématiquement consulté dans ces situations.
Ces spécialistes, pédiatres endocrinologues et chirurgiens notamment, tentent d’« imaginer comment la puberté de l’enfant va se dérouler et comment ses organes génitaux vont se développer ». Et surtout « si chirurgicalement on peut lui proposer un résultat satisfaisant ». En clair, « pourra-t-il avoir des relations sexuelles, pourra-t-il avoir des enfants ? »
Le hic ? Les résultats de ces opérations ne font pas consensus. Et les effets indésirables de chirurgies et de traitements hormonaux à vie sont loin d’être anodins. Camille – opéré en 1979 rappelons-le – souffre le martyre lorsqu’il urine, a des rapports sexuels… Malgré les progrès de la médecine, toute opération chirurgicale et tout traitement peuvent induire des effets indésirables, parfois irréversibles.
C’est pourquoi, pour l’avocat de Camille, « ces actions ne doivent pas être réalisées et les mutilations doivent immédiatement cesser sur l’ensemble des bébés intersexués qui naissent aujourd’hui ».
Ne rien faire, est-ce une option ?
« Tant qu’on rend invisibles les personnes intersexes, en considérant leur situation comme une anomalie, on sera enfermé dans la binarité homme/femme et on se permettra de les mutiler », affirme Me Benjamin Pitcho, favorable à la possibilité de déclarer un sexe neutre. Un recours a été déposé en ce sens auprès de la Cour européenne des Droits de l’Homme. Car à l’heure actuelle en France, tout enfant né sur le territoire doit être déclaré fille ou garçon dans les 3 ans au maximum.
Pourquoi ne pas laisser les enfants nés en intersexuation grandir sans intervenir ? Les médecins sont frileux à cette idée pour plusieurs raisons. « Envisager de ne rien faire, c’est décider que cet enfant ne sera ni un garçon ni une fille », souligne le Dr Emilie Eyssartier, chirurgien pédiatre au CHU d’Angers. « La société est ainsi faite que tout y est sexué, même les toilettes publiques. » Un changement sociétal est donc nécessaire.
*selon l’estimation d’une étude de la Haute Autorité de Santé (HAS) en 2009
A noter que les interviews des Drs Rouleau et Eyssartier ont été réalisées en juin 2017, c’est-à-dire avant la médiatisation de la plainte déposée par Camille.
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Source : interview du Dr Stéphanie Rouleau, pédiatre néonatalogiste et endocrinologue au CHU d’Angers et le Dr Emilie Eyssartier, chirurgien pédiatre au CHU d’Angers, 6 juin 2017 – interview de Maître Benjamin Pitcho, 29 novembre 2017
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Ecrit par : Dominique Salomon - Edité par : Emmanuel Ducreuzet