L’obstétrique : 60 ans de révolutions modernistes…
20 février 2012
« L’obstétrique, c’est l’art de l’accouchement », résume le Pr Roger Henrion. Un « art » qui de plus en plus, devient une science… Membre de l’Académie nationale de médecine, cet obstétricien éminent retrace pour nous, avec un rare talent de conteur, l’histoire de sa discipline. Celle-ci en fait, est entrée dans la modernité alors même que notre interlocuteur débutait son internat aux hôpitaux de Paris. C’était dans les années 50. Entretien.
Roger Henrion, 84 ans, nous accueille à l’Académie nationale de Médecine. Cette maison, il la connaît bien. Il en a même été le Président en 2010. Un an seulement, car les académiciens de la rue Bonaparte à Paris, confèrent des mandats courts… et non renouvelables.
Dans ce cadre feutré où plane la mémoire de médecins illustres, l’histoire est omniprésente. Et c’est avec un enthousiasme non dissimulé que Roger Henrion revient sur ses premières années de médecine. C’était donc, en 1950. « A cette époque, l’obstétrique était rudimentaire. Nous connaissions mal le fœtus. Nous le considérions comme un être abstrait et la physiologie du liquide amniotique, celle du placenta nous étaient aussi mal connues. La grossesse en fait, était peu surveillée ».
Et pour cause… Les possibilités d’examens ou d’explorations se comptaient sur les doigts d’une main. « Les seuls procédés d’investigation à notre disposition se limitaient à mesurer la hauteur utérine par un centimètre de couturière, à opérer une palpation pour déterminer la présentation fœtale. Grâce au toucher vaginal, nous pouvions seulement explorer les limites du bassin et noter l’état du col. Quant à l’audition des bruits du cœur, elle reposait sur un simple stéthoscope ».
En 1972, la première amniocentèse
Roger Henrion fut l’un des premiers en France, à utiliser chez les femmes enceintes, l’analgésie. « C’est à la fin des années 50 que le Dr Lamaze a rapporté d’URSS, la notion d’accouchement sans douleur. » Puis vient la péridurale.
A ses yeux, la véritable révolution en médecine obstétrique est intervenue dans les années 60. « Les examens de surveillance du fœtus se sont alors multipliés. Nous avons vu apparaître l’amnioscopie, qui consiste à visionner la teinte du liquide amniotique. Nous avons également vu naître le fameux monitoring, autrement dit l’enregistrement du rythme cardiaque fœtal. Ce sont des progrès considérables. »
La litanie des révolutions se poursuit, et Roger Henrion en fait, a participé à toutes ces évolutions qu’il ne se lasse pas de conter. Avec modestie il revient sur la première amniocentèse précoce, réalisée en 1972. « Cette dernière consistait à prélever du liquide amniotique en rentrant une aiguille à travers l’abdomen de la femme, jusque dans l’utérus. » C’est même lui, le premier, qui a pratiqué ce geste qualifié à l’époque de « sacrilège ». « Très critiquée au début, cette technique fut peu à peu adoptée. C’était fondamental pour rechercher des anomalies des chromosomes et des maladies génétiques. »
A peine le temps de reprendre souffle, et notre interlocuteur enchaîne sur l’une des révolutions techniques les plus emblématiques dont il ait été le témoin… et l’acteur. L’apparition de l’échographie, qui allait transfigurer la surveillance prénatale. « D’autres examens sont très vite apparus. Et notamment l’échographie, dont l’efflorescence a été très nette en 1974 en France. La fœtoscopie, pratiquée en entrant un appareil optique dans l’utérus de la mère, les prélèvements de sang réalisés à l’intérieur de la cavité de l’utérus qui permettent le diagnostic de certaines maladies sanguines… Nous avons eu à notre disposition alors, toute une série d’examens qui ont transformé l’existence du fœtus. Ce petit être tout à fait abstrait est devenu pour nous un véritable patient, chez lequel il est devenu possible de diagnostiquer une maladie… et de la soigner in-utero ».
En abordant les années 80, le ton de Roger Henrion devient plus grave. Encore une première pour lui, une première éprouvante. « Je fus confronté au premier cas de contamination d’une femme enceinte par le VIH. D’emblée, ce cas m’inquiéta. Je ne savais pas quoi faire, les plus hautes autorités non plus. Dans mon service de la maternité Port Royal, j’ai du mettre en place une consultation spécialisée puis une association « SIDA Accueil Femmes Enfants ». Grâce aux efforts de tous, le taux de contamination de la mère à l’enfant est passé de plus de 20% à l’origine, à moins de 2% au bout de 20 ans ».
Des relations plus tendues avec les patientes
Aujourd’hui, les futures mères bénéficient de huit consultations en cours de sa grossesse, de trois échographies et de huit séances de préparation à l’accouchement. Le tout pris en charge par l’Assurance-maladie. Et pourtant comme le dit Roger Henrion, « la mortalité maternelle reste trop élevée. Elle est estimée aux environs de 8 à 12 décès pour 100 000 accouchements. C’est-à-dire qu’il se produit entre 60 et 100 décès maternels par an, ce qui classe la France au 13e rang européen. Les hémorragies du post-partum en sont la cause principale, et 50% de ces morts seraient évitables ».
Au-delà de ces chiffres peu flatteurs pour la France, Roger Henrion, avec une certaine amertume, pointe du doigt l’évolution de la société. « Près de 15% des femmes enceintes fument aujourd’hui. Y compris durant le troisième trimestre de la grossesse. Cela provoque des retards de croissance, des morts subites du nourrisson, des accouchements prématurés… Près de 15% des femmes boivent de l’alcool au cours de leur grossesse, avec à la clef une augmentation du risque de syndrome d’alcoolisation fœtale – un syndrome redoutable- mais aussi des troubles du comportement dès la naissance ».
Autre évolution à l’origine d’une augmentation de la mortalité maternelle et de nombreuses complications, le recul constant de l’âge de la première grossesse. « La proportion de mères âgées de plus de 35 ans est en augmentation constante. Les taux sont passés de 11% en 1983 à 29% en 2005. Or cela entraîne un certain taux d’infertilité, que nous devons traiter par des stimulations, lesquelles entraînent des grossesses multiples, des grossesses gémellaires, d’où des accouchements prématurés. Par ailleurs plus la grossesse est tardive, plus les risques de diabète, d’hypertension artérielle et de malformations sont importants. »
Si Roger Henrion se réjouit des progrès réalisés depuis les années 50, il devient plus grave quand il constate leurs effets pervers. « Parfois, on réanime des enfants de 22 semaines, qui pèsent seulement 500g. Et même dans les meilleures conditions, 20% de ces enfants meurent à la naissance, 25% présentent des anomalies, des troubles de la motricité et 30% présentent des difficultés scolaires. Est-ce vraiment un progrès ? »
Ainsi notre entretien se termine-t-il dans un contexte plus morose. Comme si les révolutions techniques avaient entraîné une obligation de résultats. Et c’est avec une certaine nostalgie que Roger Henrion nous quitte. « J’ai connu une période extrêmement heureuse où nous avions des contacts très confiants avec nos patients. Je dois dire que ces rapports sont restés dans l’ensemble extrêmement bons, mais on sent qu’actuellement, les relations sont plus tendues. »