La culture cellulaire, un culte à la science
22 octobre 2012
Première femme présidente de l’Académie nationale de pharmacie, le Pr Monique Adolphe est une habituée des premières. En France, elle fut en effet pionnière dans le domaine de la culture cellulaire. Par ailleurs membre de l’Académie nationale de médecine, cette amoureuse des sciences au regard vif, conte à merveille l’émergence de cette nouvelle conception de la vie.
« Jusqu’à la fin du 19ème siècle, on pensait que la vie ne pouvait exister que dans un organisme complexe. Les travaux de Louis Pasteur ont profondément modifié notre vision du monde. Il a réussi à faire accepter la notion d’une vie à l’échelle microscopique ». Avec enthousiasme, Monique Adolphe délie les fils de cette histoire intime, celle de la vie de nos cellules. « Le précurseur le plus célèbre dans ce domaine, fut l’embryologiste allemand Wilhem Roux. Il est en effet parvenu à maintenir de la moelle d’embryon de poulet in vitro. Puis en 1907 et 1910, ce furent les expériences de l’Américain Ross Harrison et surtout du Français Alexis Carrel, qui firent émerger la notion de cultures cellulaires vivantes in vitro ».
Mais la naissance officielle du concept remonte à 1962. « Aron Moscona, un Américain, eut l’idée géniale de soumettre un fragment d’embryon de poulet à l’action d’une enzyme. Il obtint alors des cellules isolées, in vitro. Elles étaient vivantes et se multipliaient ». La culture cellulaire était née ! Et avec elle, le désir infini de nouvelles connaissances.
Quand le hasard se transforme en intuition scientifique…
A cette époque, Monique Adolphe est interne en pharmacie. Elle travaille à l’Hôtel Dieu de Paris. Que ce soit par hasard ou par chance, son directeur lui demanda d’étudier les radios-protecteurs, puis de travailler sur le même sujet mais à partir cette fois, de cultures cellulaires. « Je me suis retrouvée au bon endroit et au bon moment », glisse-t-elle avec malice. « Puis j’ai eu l’intuition du scientifique, poussée par cet incroyable champ de développement futur. Et je me suis spécialisée dans l’étude de la culture cellulaire ». Quelle intuition… Car aujourd’hui en 2012, il est effectivement possible de maintenir en vie toutes les cellules d’un corps humain ou animal, mais aussi des plantes. « La culture cellulaire, c’est le maintien de la plus petite unité de vie autonome en dehors d’un organisme vivant », explique Monique Adolphe. Une définition toute simple… « C’est ainsi qu’historiquement, nous sommes parvenus à cultiver d’abord des fibroblastes de peau, puis progressivement des cellules plus complexes : des cellules cardiaques, médullaires, articulaires et même, nerveuses. »
Les mécanismes intimes de la vie, décryptés
Le Pr Adolphe a participé à toutes ces découvertes incroyables. « J’ai vécu des moments extraordinaires », dit-elle avec un brin de nostalgie. « Les cultures cellulaires nous ont permis de simplifier l’analyse et donc la connaissance de phénomènes physiologiques ou pathologiques. Par exemple, on a pu montrer que les battements de notre cœur n’étaient pas le fait du cœur dans sa totalité. En réalité, chaque cellule cardiaque est douée d’un battement autonome. Il était d’ailleurs spectaculaire de voir sous nos yeux, grâce à un microscope tout à fait banal, un tapis de cellules cardiaques qui battaient de manière synchrone ». C’est ainsi que de multiples expériences ont pu être menées. « Nous avons étudié la modification de ces battements sous l’influence de produits qui se sont avérés toxiques, et nous avons pu ainsi expliquer l’arrêt cardiaque ».
De la culture cellulaire on est ensuite passé à la thérapie cellulaire. Celle-ci consiste à utiliser les cellules en culture pour soigner certaines maladies, contre lesquelles il n’existe aucun traitement efficace. « Je donnerai en exemple le traitement de lésions du cartilage. S’il s’agit d’une perte de cartilage, on en prélève un peu dans une région saine d’un individu, on le cultive in vitro et on le greffe ensuite sur la partie lésée. Cette technique, décrite en 1994 par Brittberg en Suède, a été constamment améliorée ». Dans un tout autre domaine, il faut bien se rendre compte que sans culture cellulaire, l’assistance médicale à la procréation (AMP) n’aurait jamais existé. « En effet l’AMP n’aurait pas été possible sans nos connaissances sur le maintien des cellules reproductrices en dehors de l’organisme ».
Vers la fin de l’expérimentation animale
Tout au long de sa carrière, Monique Adolphe a été un ardent défenseur des alternatives à l’expérimentation animale. Et les cultures cellulaires lui ont permis d’avancer aussi, dans ce domaine. Voilà d’ailleurs à ses yeux, une magnifique perspective d’avenir, en perfectionnant ces cultures pour les rendre plus proches du tissu animal. « Les cultures cellulaires sont utilisées pour diminuer l’expérimentation animale chaque fois que cela est possible, en particulier dans des domaines comme la cosmétologie ».
En abordant encore et toujours l’avenir, elle évoque les progrès de la génétique moléculaire. Son propos est passionné, malgré les freins imposés par les lois de Bioéthique et le principe de précaution. « C’est un champ considérable de la biologie moderne qui consiste à transférer un gène ou un produit de gène dans une population cellulaire donnée, pour la modifier. Les premiers essais furent l’obtention de cellules immortalisées certes, mais qui perdaient certaines de leurs fonctions spécifiques. Puis après l’essor de la culture de cellules souches embryonnaires et leur blocage partiel sous l’influence des lois de Bioéthique, ce fut la création des cellules pluripotentes, capables de se différencier en tout type de cellules. C’est d’ailleurs le chercheur japonais Shinya Yamanaka, dernier lauréat du Prix Nobel de Médecine, qui a été le premier en 2006 à réussir le mélange de gènes capables de reprogrammer des cellules adultes de souris en les rendant pluripotentes. »
Ethique, principe de précaution… des freins à l’innovation ?
Au cours de ce développement scientifique si riche, les questions éthiques ont rapidement investi les paillasses. Le principe de précaution a également fait son entrée dans la Constitution française. La foi de Monique Adolphe dans les sciences n’en est pas ébranlée pour autant. Habitée par cette intuition toujours présente depuis ses premières recherches à l’Hôtel-Dieu, elle délivre un message d’optimisme. « L’homme a toujours fait progresser ses connaissance. Nous savons bien que dans toute découverte, il y a des éléments positifs et d’autres qui sont inquiétants. Il faut cependant toujours garder espoir, car sinon quel triste monde nous laisserions à nos enfants ! »