La médecine vétérinaire, une histoire française
17 mars 2014
Une consultation équine à l’école d’Alfort. ©B.Toma
Aujourd’hui largement reconnue, la médecine vétérinaire a éprouvé quelques difficultés à se faire une place au soleil. Longtemps considérée comme une pratique de seconde zone, il lui aura fallu des années et la ténacité (et le génie) d’un homme pour éclore. Le Pr André-Laurent Parodi, directeur honoraire de l’Ecole nationale vétérinaire d’Alfort, membre et Président honoraire de l’Académie nationale de médecine, intarissable sur le sujet, nous en conte les grandes heures.
Le terme « vétérinaire » nous vient du latin Bestia veterinara, qui signifie « bête de somme ». Sous la Rome antique, le vétérinaire, c’est celui qui soigne les bêtes de production, principalement les bovins et les équidés. A l’époque, et pendant des siècles, l’animal est un bien qui rapporte. C’est une machine de guerre, de traction, de consommation… Il faut donc le maintenir dans la meilleure santé qui soit. Non pas pour son bien-être à lui, mais pour celui de son maître.
Avec l’imprégnation hellénistique, apparaît le terme d’Hippiatre, le médecin du cheval (et plus généralement des animaux). Cette culture est reprise par les Arabes. « On en trouve d’ailleurs le témoignage dans des textes comme le Nâçerî, célèbre traité d’hippologie rédigé en 1333 », commente notre spécialiste.
Les premières préoccupations de la médecine vétérinaire sont donc le maintien en bonne santé de l’animal en tant que source de profit ou encore de prestige. « On ne parle évidemment pas encore de bien-être animal », poursuit le Pr Parodi. « Puis on est tombé dans le grand crépuscule du Moyen-âge. La médecine des animaux est laissée entre les mains des maréchaux et des empiriques. Ces derniers exercent alors dans les campagnes, de façon très rudimentaire, avec des méthodes mêlant techniques empiriques et souvent magie et mysticisme… Ils vont d’ailleurs exercer règlementairement leurs talents jusqu’en…1938 ! »
L’avènement de la médecine vétérinaire : Claude Bourgelat
C’est avec un avocat de formation, Claude Bourgelat, que l’art vétérinaire va réellement prendre forme. En 1761, celui-ci est écuyer du roi. A ce titre, il dirige l’Académie royale d’équitation de Lyon. « Il faut savoir que durant cette décennie un fléau sévissait dans les campagnes, la peste bovine (une épizootie éradiquée à l’échelle mondiale en… 2011 – ndlr). A la faveur des mouvements de troupes, fréquents à cette époque, la maladie se déplaçait elle aussi. » Bourgelat, avec un sens avéré de l’opportunisme, plaide alors sa cause (animale) auprès d’Henri Bertin, contrôleur général des finances. Avec son appui, il fonde la première École vétérinaire de France (le 4 Août 1761 à Lyon), et de ce fait, la première au monde.
Bourgelat « homme de génie », avec l’aval de Bertin, fonde ainsi une école « qui a pour objet la connaissance et le traitement des maladies des bœufs, chevaux, mulets, etc … ». Il y recrute des jeunes gens selon deux critères : « qu’il sachent lire et écrire et qu’ils soient, de préférence, issus du milieu rural. » Il les envoie sur le terrain, soigner les animaux. Les élèves font part de leurs observations à Bourgelat qui leur adresse ses recommandations. Et – parfois par chance – les animaux survivent.
Un grand crédit est alors donné à « ce père de la médecine vétérinaire », qui ouvre une seconde école en 1765 à Maisons-Alfort. Viennent alors se former dans l’Hexagone des étudiants danois, suisses ou autrichiens. Dès lors, la médecine vétérinaire va devoir se faire reconnaître.
La statue de Bourgelat à Maisons-Alfort. ©Ecole vétérinaire d’Alfort
Les vétérinaires, des médecins de seconde zone ?
A la fin du XVIIIe siècle, la société considère toujours l’Homme comme occupant le centre de l’univers. Les médecins de l’animal sont très peu considérés. « Leur grande chance résidera dans l’épopée pasteurienne » explique le Pr Parodi. « Pasteur n’était pas médecin. Selon lui, il faut – idée surprenante à l’époque – qu’un micro-organisme se transmette d’un sujet malade à un sujet sain pour que ce dernier développe une maladie « contagieuse ». La polémique, souvent violente, y compris ici même à l’Académie de médecine, oppose « spécifistes » et « contagionistes ». Certains vétérinaires – comme Onésime Delafond, Jean Joseph Toussaint, Jean-Baptiste Huzard, Jean-Baptiste Chauveau, Henri Bouley… entre autres – vont contribuer très largement au développement de ces idées.
A tel point que Pasteur, déclarera : « Si mes études étaient à refaire, c’est sur les bancs de l’Ecole d’Alfort que je m’inscrirais ! » Ainsi, avec sa « théorie des germes » a-t-il contribué à donner davantage de crédit aux vétérinaires.
« Fer de lance de la révolution pasteurienne donc, les vétérinaires sont désormais reconnus comme des pairs dans toutes les instances scientifiques. L’élévation de la qualité de leur formation s’impose. En 1890, le Baccalauréat devient obligatoire pour entrer dans une Ecole. En 1923, le doctorat de médecine vétérinaire est créé puis l’agrégation (qui n’existe plus aujourd’hui) en 1925. Enfin, en 1935 – devant l’engouement de la profession – est instauré un concours d’entrée aux Ecoles vétérinaires. »
Quid de la souffrance animale ?
« La souffrance animale ? On a longtemps considéré qu’elle n’existait pas » déplore le Pr Parodi. « Le chien, l’un des premiers animaux domestiqués par l’Homme, a fait partie des plus grandes cours d’Europe. A ce titre certains chiens de l’aristocratie ont pu bénéficier des soins d’un médecin. Mais ce furent bien les seuls, avec le cheval, animal de prestige et de guerre. »
Il faudra attendre l’ère industrielle pour que cette souffrance commence « à intéresser certains mouvements d’inspiration socialiste ou féministe ». Avec l’urbanisation croissante certains Lords anglais se préoccupent des bêtes de trait qu’ils voient maltraitées dans la ville. » En France, ce sentiment compassionnel aboutit à la loi Grammont (1850). Cette dernière punit l’auteur de sévices infligés à l’animal domestique. Toujours d’actualité, elle a depuis été étendue aux animaux sauvages… Désormais, l’animal est reconnu comme un « être sensible » (1976) et sa souffrance n’est pas seulement considérée comme somatique, elle est psychique.
Le bien-être animal est une notion aujourd’hui bien admise. Et le vétérinaire en est à la fois le promoteur et le garant. Cette exigence dépasse désormais les populations d’animaux de compagnie y compris les « nouveaux animaux de compagnie ». Elle s’étend aux animaux d’élevage ou « de rente ».
La formation, comme le métier de vétérinaire, ont évolué. Désormais, à travers ses responsabilités et ses missions en médecine des animaux, le « véto » est devenu un partenaire obligé des médecins dans la gouvernance de la santé publique. Ses compétences en font un des acteurs de la recherche médicale. Nous y reviendrons très prochainement.
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Source : Interview du Pr André Laurent Parodi, 17 février 2014
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Ecrit par : Vincent Roche – Edité par : Emmanuel Ducreuzet