Le principe de précaution paralyse-t-il la médecine française ?
25 avril 2014
Pour le Pr Jean-Louis Touraine, le risque zéro n’existe pas
Le principe de précaution a été défini dans la Charte de l’environnement, un texte constitutionnel adopté en 2004. Ce dernier s’applique donc aux questions liées à l’environnement. Or pour le Pr Jean-Louis Touraine, spécialiste en immunologie et député du parti socialiste (Rhône), « ce cadre originel n’a pas été respecté. Aujourd’hui, médicaments et vaccins sont soumis à ce principe, sans la rigueur scientifique adéquate ». Avec quelles conséquences ?
Le principe de précaution est-il applicable à la médecine ?
En réalité, ce principe a été développé en matière environnementale et écologique pour préserver la planète et les Hommes des conséquences néfastes des activités humaines. Il a d’ailleurs toute sa légitimité. Mais aujourd’hui, dès que les médias ou une association de patients mettent en avant les effets secondaires d’un médicament, on estime nécessaire d’arrêter le traitement, voire de demander son retrait du marché. Si on appliquait ce principe à la chirurgie, on n’opérerait plus aucun malade. Et pour cause, chaque intervention comporte un risque lié notamment à l’anesthésie ou à la chirurgie elle-même. C’est un risque consenti. Pourquoi ? Parce que l’on sait très bien qu’il y aura un bénéfice beaucoup plus important que le risque.
Dans quelles conditions peut-il s’appliquer aux questions de santé ?
Il doit être accompagné d’une vraie réflexion scientifique rigoureuse. Il ne peut s’appliquer comme tel. Il doit reposer sur l’évaluation du rapport bénéfice/risque. Si un vaccin donne un effet indésirable une fois sur 50 000, il n’est pas raisonnable de l’écarter. Nous devons toujours mettre en perspective le nombre de vies sauvées. Si le bénéfice est supérieur au risque, dans ce cas, il est utile à la santé publique. En clair, si la société veut l’appliquer à la santé, il faut toujours mettre en parallèle le bénéfice obtenu.
Le public est-il prêt à accepter un quelconque risque ?
Ne soyons pas obnubilé par le risque zéro. Il n’existe pas. En France, le principe de précaution nous paralyse. S’il avait été utilisé dans le passé, nous n’aurions aucun vaccin. Il aurait empêché le développement de nombreux médicaments, à l’image de l’aspirine. Nous devons inlassablement répéter au public qu’en santé, l’important c’est de s’appuyer sur la balance bénéfice/risque. Mais trop souvent, nous ne parlons que du risque, de l’émotionnel. Nous oublions que les vaccins ont permis d’éradiquer la variole de la surface du globe, de faire quasiment disparaître la poliomyélite ou encore la diphtérie de l’hexagone. Rappelons qu’il n’y a pas de traitement ou de vaccin efficace sans effet secondaire. Au bout du compte, ce rapport bénéfice/risque doit être la base scientifique et rigoureuse qui permet d’affirmer si tel ou tel produit de santé peut être administré ou non.
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Source : Interview du Pr Jean-Louis Touraine, 10 avril 2014
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Ecrit par : Emmanuel Ducreuzet – Edité par : David Picot