Les biphosphonates à l’origine de nécroses de la mâchoire ?

30 novembre 2006

Si oui à quelles doses ? Et cela remet-il en cause certains schémas thérapeutiques ? Contre des cancers métastasés par exemple, contre la Maladie de Paget voire l’ostéoporose ? Le New England Journal of Medicine consacre à ces questions 4 pages de perspective.

Professeur de Médecine et Pharmacologie à la Columbia University de New York, John P. Bilezikian souligne que les cas d’ostéonécrose de la mâchoire sont rarissimes. « Moins de 50 cas sur des millions de patientes traitées pour ostéoporose » observe-t-il. « Nous disposons par ailleurs d’un suivi qui atteint parfois 10 ans, pour plus de 60 000 années-patients – le cumul du nombre d’années de suivi et du nombre de malades étudiés n.d.l.r. – sans que jamais ce type d’épisode ne figure parmi les effets secondaires mentionnés. » Ainsi estime-t-il le risque d’accident « de l’ordre de 1 pour 100 000 années-patient de traitement. »

Qu’est-ce au juste, qu’une ostéonécrose de la mâchoire ? C’est une lésion qui atteint une partie soit du maxillaire (en haut), soit de la mandibule (la partie mobile, en bas) soit encore du palais. Une lésion qui ne cicatrise pas, ou mal, pendant 6 à 8 semaines. Le traitement repose sur une antibiothérapie et des bains de bouche antiseptiques… et l’arrêt du traitement par biphosphonates. En règle générale, les choses rentrent dans l’ordre sans séquelles en 3 à 4 mois. Deux de ces médicaments seraient plus impliqués – 95% des cas – dans les rares incidents rapportés. Il s’agit du pamidronate et de l’acide zolédronique.

Des facteurs prédisposants

D’après Bilezikian, c’est la capacité de ces médicaments à empêcher la résorption osseuse qui fait leur efficacité. « Il se peut qu’en réduisant l’activité des ostéoclastes – les cellules responsables du remaniement osseux n.d.l.r. – ils réduisent la capacité de l’os à se régénérer après un traumatisme ou une infection. ». Ce n’est qu’une hypothèse, pas encore une explication. Elle éclairerait cependant les facteurs considérés comme prédisposants.

Il y a d’abord, ce que les spécialistes appellent l’effet dose. La majorité des cas rapportés ne concerne pas des femmes traitées pour ostéoporose. Mais au contraire des patients – hommes ou femmes – soignés avec de hautes doses de biphosphonates par voie intraveineuse (IV), pour des métastases osseuses de cancers, des myélomes notamment. Dans ces cas les doses administrées – en IV et non par voie orale, donc – sont « généralement 4 à 12 fois supérieures à celles prescrites contre l’ostéoporose. »

Il y a aussi, tout ce qui ressemble à un traumatisme de la mâchoire. Choc, accident, infection, soins invasifs et surtout chirurgie. L’auteur souligne ainsi l’importance potentielle de « la dose et la durée de traitement, mais aussi de facteurs concomitants : médicaments (cortisoniques ou immunosuppresseurs) et surtout la santé dentaire du patient. »

Quelles conclusions en tirer ? Bilezikian est prudent. Pas le genre à jeter le bébé avec l’eau du bain. A ses yeux, « ce serait une erreur de priver d’un traitement par biphosphonates des patients à haut risque de métastases osseuses, de fractures ostéoporotiques ou de complications d’une maladie de Paget. (…) En revanche, nous devrions conseiller à ces malades de voir leur dentiste avant la mise en oeuvre de ce type de traitement. » Si des soins dentaires sont nécessaires, autant qu’ils en bénéficient avant, et que l’on attende ensuite la cicatrisation complète avant de traiter.

Il considère pour l’heure que « les bénéfices prouvés des biphosphonates dans leurs indications reconnues dépassent de très loin le risque éventuel d’une ostéonécrose de la mâchoire. » Il rappelle toutefois que « la prudence devrait prévaloir avant de recommander à des malades sous biphosphonates le recours à certaines chirurgies invasives de la bouche. Comme la pose d’implants dentaires » par exemple.

  • Source : N Engl J Med 355;22 2278-81 et ibid. 2348, 30 novembre 2006

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