Les écrivains au service de la médecine
08 octobre 2012
Marcel Proust, Paul Valéry, Raymond Queneau… Nombreux sont ces auteurs qui, atteints d’une maladie chronique, ont trempé leur plume dans leurs plaies. La maladie a-t-elle influé sur leur processus de création ? Et surtout, leurs écrits ont-ils contribué à aider les médecins ? Depuis longtemps déjà, le Pr François-Bernard Michel, membre de l’Académie nationale de médecine, s’intéresse à cette question. Ce spécialiste des maladies respiratoires – par ailleurs grand amateur d’art, écrivain et poète – nous livre son point de vue sur ceux qu’il considère comme « les premiers témoins de leur mal ».
Août 1922. Asthmatique, reclus, Marcel Proust, à 51 ans, n’a plus que quelques mois à vivre. Le mal dont il souffre va l’emporter. Isolé, ne vivant plus que pour écrire, il peaufine son monument, A la recherche du temps perdu. Pour autant, « Proust comme ses contemporains, ne parle pas de sa maladie » précise d’emblée François-Bernard Michel. « Il la prête à quelqu’un. Sa pudeur veut qu’il n’en parle pas directement ».
Le père de la mémoire affective
En entendant parler de l’anaphylaxie, découverte par Charles Richet et Paul Portier lors d’un voyage sur le yacht du Prince Albert 1er de Monaco, Proust s’en approprie les symptômes pour décrire certaines de ses relations mondaines. Dans Le temps retrouvé, il expose comment l’Ambassadrice de Turquie l’importune. Une anaphylaxie affective en quelque sorte. « Au sein de nos relations amicales » écrit-il, « il y a une hostilité momentanément guérie mais récurrente par accès ». En clair, l’ambassadrice lui casse les pieds à chacune de leurs rencontres.
« Chaque fois qu’il est à son contact, comme vis-à-vis d’un allergène il fait une crise. Il transpose sur le plan psychique, un phénomène biologique » commente notre Académicien. « Tout ceci illustre l’expression ‘A mon corps défendant’. L’allergique, c’est ça. Il ne veut pas subir une crise bien évidemment, mais son corps la lui impose ».
Asthme : merci Proust !
François-Bernard Michel va même plus loin lorsqu’il nous explique que « c’est grâce aux écrits de Proust que j’ai appris à domestiquer l’asthme ». Ce spécialiste est en fait l’un des premiers en France à s’être intéressé à cette pathologie dans les années 60. « Je n’en pouvais plus de voir ce défilé de malades, et d’observer leurs crises bizarres » se souvient-il. « C’était à n’y rien comprendre. Ils connaissent des crises mais en dehors de cela, ils sont souriants. Proust m’a permis de continuer, d’aller plus loin ».
Grâce à lui en effet, le Pr Bernard a compris que la plainte passait par les bronches, et non le larynx. « Ces malades essaient d’exprimer avec leurs bronches une souffrance qu’il ne peuvent retranscrire par des mots ». La maladie pour l’écrivain, apparaît bien alors comme un matériau d’écriture. Une catharsis. Proust s’en sert pour puiser au fond de lui-même les souvenirs, les sensations… Et il n’est pas le seul dans ce cas.
L’anaphylaxie de Valéry
Dans les années 1930, l’écrivain Paul Valéry –également asthmatique – exposait justement ses symptômes à son médecin. Ce dernier pourtant, n’en avait cure. « Votre affaire est nerveuse. Calmez-vous, ça ira mieux ! ». Dans les Cahiers, au chapitre Toux, l’auteur rédige pourtant l’une des toutes premières descriptions cliniques du reflux gastro-œsophagien, le RGO : « Cela est au début un imperceptible chatouillement annulaire au détroit de la gorge (…) Cela est insupportable. Il s’agit de gratter cet anneau irrité, de le gratter avec ce qu’on peut, en un point qui est tabou pour les doigts. Alors faute d’organe spécialisé, tout le corps peu à peu s’y met et exécute les mouvements possibles, les tâtonnements rythmiques, ou désordonnés. Cette tentative d’acte sans mains envahit tout par résonance et ébullition (…) je suis comme roué de coups, à en gémir». Il s’agit là d’une situation typique où l’auteur devance ses médecins, en décrivant son mal.
Pour le Pr Michel, voilà qui revêt une importance majeure pour les malades. « Ils sentent qu’ils ne sont pas seuls. Ils sont enfin reconnus en tant que malades… » Et les exemples littéraires se multiplient. Raymond Queneau, Samuel Beckett ou encore André Gide qui, pour parler de sa maladie – la tuberculose – dira qu’elle lui « ouvre certaines portes».
L’écrivain aide-t-il le médecin ?
Pour François-Bernard Michel, il existe deux variétés de médecins. Les techniciens et les lecteurs. Ces derniers confrontent sans arrêt leur pratique à la pensée. Une attitude primordiale au début de l’épidémie de VIH/ SIDA, où les médecins démunis, grâce aux témoignages de patients, ont porté un regard nouveau sur leurs propres pratiques.
Pour autant, aujourd’hui, l’Académicien regrette que les ouvrages s’attachent à « décrire la chair de façon pure et dure. Cela témoigne d’une grave dérive. On confond guérir et soigner. On oublie trop souvent qu’un être humain s’il n’est pas guéri, n’en est pas mort pour autant. Les ouvrages actuels ont tendance à gommer cela ».
Aller plus loin : Dans Proust et Beckett, deux corps éloquents, (Actes Sud), le Pr François Bernard Michel analyse l’impact des souffrances humaines sur la création littéraire.