Les pères aussi connaissent le baby blues
13 décembre 2023
Les données sont rares sur le sujet et les chiffres français inexistants. C’est pourquoi Sébastien Riquet, sage-femme et chercheur (Université Sorbonne Paris Nord), s’est penché sur ce phénomène du baby blues paternel, qu’il constate au quotidien. Et en effet, les pères eux aussi ont le blues après la naissance de leur enfant.
« Il est essentiel de sensibiliser le grand public et les soignants à la réalité du “baby blues” chez les pères et de briser les stéréotypes associés », affirme Sébastien Riquet, sage-femme enseignant à l’école universitaire de maïeutique d’Aix-Marseille. Pour la première fois en France, son étude (à paraître) donne des chiffres : près d’un jeune père sur deux exprime des symptômes de baby blues.
41 % des pères éprouvent des signes de baby blues
L’étude française, réalisée dans trois maternités de Provence-Alpes-Côte-d’Azur auprès de 150 jeunes papas, révèle que 41 % des pères éprouvent des signes de baby blues au cours des cinq premiers jours suivant l’accouchement (jusqu’à 80 % chez les mères, selon certaines études). Le Maternity Blues Questionnaire a été utilisé pour évaluer ces symptômes, survenant entre la naissance de l’enfant et le 5e jour. Résultats : les symptômes se manifestent précocement, dès les 24 premières heures, voire aux 1er ou 2e jour.
« Un aspect intéressant réside dans la précocité des symptômes chez les pères, relève Sébastien Riquet, comparée à leur survenue chez les mères. » Traditionnellement, on associe le baby blues chez les femmes à un pic d’intensité émotionnelle vers le troisième jour post-partum, lié à des facteurs tels que la montée de lait et les changements hormonaux après l’accouchement. « Ces émotions sont aussi souvent décrites comme liées à une charge émotionnelle intense, complète-t-il, aux doutes sur les compétences parentales, et à une variété de sentiments. Cependant, chez les pères, ces symptômes semblent se manifester de manière plus précoce, se situant généralement entre le premier et le deuxième jour suivant la naissance de l’enfant. »
Le blues de la paternité
Le manque d’interaction précoce avec le bébé est identifié comme un facteur de risque pour le baby blues chez les pères. « Ceux-ci sont plus susceptibles de développer des symptômes de baby blues lorsque ces interactions sont limitées, notamment dans les 48 à 72 premières heures de la vie de l’enfant, constate le chercheur. Les situations telles que la naissance par césarienne ou l’hospitalisation en néonatologie augmentent le risque. »
Mais l’étude française confirme plusieurs éléments déjà évoqués dans la littérature : les pères ayant des antécédents de dépression ou présentant des signes de fragilité psychique sont plus enclins à développer des symptômes de baby blues. « L’antécédent de dépression agit comme un potentialisateur, confirme Sébastien Riquet, augmentant le risque de développer un baby blues plus sévère. Dans notre étude, 17 % des pères qui ont présenté un baby blues ont des symptômes plutôt sévères. »
Comment peut s’expliquer le baby blues paternel ?
Le chercheur tente une explication : « les deux parents, en tant que partenaires « co-parentaux », doivent trouver leur place et coopérer pour répondre aux besoins de l’enfant. La réalité de la concurrence parentale, où les deux parents peuvent ressentir le besoin de s’occuper de l’enfant de manière compétitive, peut entraîner des sentiments de débordement, de fatigue et d’émotions difficiles à gérer, contribuant au baby blues du père, notamment. »
Attention à la « dépression postnatale »
Dans l’enquête périnatale nationale française de 2021, 17 % des mères ont été signalées comme souffrant de dépression post-partum deux mois après l’accouchement. Aucune donnée chez les pères. « Baby blues et dépression postnatale sont deux entités distinctes, précise Sébastien Riquet. Le baby blues, qu’il affecte les mères ou les pères, se caractérise par des symptômes émotionnels transitoires qui se résorbent généralement dans les dix premiers jours suivant la naissance de l’enfant. » En revanche, la dépression postnatale est une condition plus persistante qui peut survenir au-delà de cette période initiale. « Au-delà de cinq jours de baby blues chez le père, une vigilance accrue est nécessaire, et dépassant les dix jours, une attention particulière doit être portée à la possible évolution vers une dépression postnatale », prévient-il.
S’occuper aussi des pères
Le laps de temps entre la naissance et les trois premiers jours est une fenêtre cruciale où le père a besoin de soutien et d’attention. « Certaines études soulignent que les pères peuvent exprimer leurs émotions différemment des mères, mettant en lumière l’importance de reconnaître et de comprendre ces nuances dans le comportement paternel », indique-t-il.
A cette fin, dans les maternités « des programmes éducatifs et de soutien peuvent être mis en place pour informer les parents sur ce phénomène, favoriser la communication au sein du couple, et offrir des ressources pour aider à gérer les premières semaines post-partum, suggère Sébastien Riquet. La création d’un environnement où les parents se sentent à l’aise pour partager leurs préoccupations et recevoir un soutien adéquat est fondamentale. Ceci pour encourager la communication ouverte et l’intégrer de manière proactive dans les soins périnataux. »
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Source : D’après l’interview de Sébastien Riquet, sage-femme enseignant à l’école universitaire de maïeutique d’Aix-Marseille et chercheur associé au LEPS UR 3412 Université Sorbonne Paris Nord
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Ecrit par : Ecrit par Hélène Joubert; Edité par Emmanuel Ducreuzet